Il serait temps de se poser

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Lily accepta, surtout par méfiance envers les chiens. Ithier resta silencieux le temps qu'ils traversent la zone où dormait et grognait la meute, puis bredouilla quelque chose à propos des températures douces pour la saison. La femme le laissa s'empêtrer dans des tentatives de conversation maladroites. Elle sentait bien où le petit jeune voulait en venir. Au cours de la soirée il avait bu ses paroles, fasciné. Par quoi, Lily sentait qu'elle ne tarderait pas à le savoir, mais elle comptait bien éconduire le blondinet. Elle s'était déjà mise en couple avec quelques hommes peu sûrs d'eux, dont un à la limite de la candeur... et ne comptait pas réitérer. Ca se terminait pareil. Ils se sentaient écrasés par son assurance de commerciale et partaient. Ou lui retiraient leur confiance en la voyant s'entraîner à gauche à droite à captiver un auditoire restreint.

Enfin, parvenus à la moitié du chemin Ithier cracha sa pastille.

-Lily, tu es la femme la plus instruite, passionnante et intéressante que je connaisse.

-Tu n'as que vingt ans Ithier, tu en connaîtras d'autres.

-Je pense que nulle autre n'en sait autant sur des sujets aussi divers que toi. Tu t'y connais en dressage de chiens, en placements financiers, en cuisine, en chevaux, et tu voyages désormais du sud au nord du continent. Tu as même pu donner quelques conseils à mon père. Sur l'élevage de chiens ! Ca fait huit générations qu'on élève et dresse des chiens de guerre !

-Eh bien, la preuve qu'il reste toujours quelques chose à apprendre... soupira Lily.

-Même ça, on sent que tu y as réfléchi, tu l'as vécu...

En s'emportant, Ithier gagna en assurance. La femme décida de le désillusionner sans plus attendre.

-Ecoute. Il est hors de question que je vive ici, et je te vois mal renoncer à la succession de tes parents.

Son soupirant insista. Sa maison n'avait rien à voir avec Üfed, elle pourrait même choisir de représenter la famille auprès de la seigneurie de Ronnard et de vivre au château du comte. Sans laisser le temps à Lily de répliquer, Ithier enchaînait :

-Ainsi tu pourras mener une vie de château et t'adonner à toutes les passions que tu voudras, et je te saurais heureuse, en sécurité et je pourrais te voir régulièrement.

Lily diagnostiqua un coup de foudre. Elle savait que ça existait, sa relation la plus longue avait démarré sur un coup de foudre. Mais elle ne trouvait rien à Ithier. Il poursuivit longuement sur sa lancée, réfléchissant déjà à leur vie commune. La brune s'efforçait de le faire redescendre, lui répétant qu'elle ne comptait pas vivre au comté.

Son soupirant ne tarissait pas d'éloges. En une conversation de deux heures, il en concluait qu'elle était intelligente, cultivée, bienveillante et passionnante. Lily renonça à le faire redescendre. Il suivait le même cheminement que le sien une décennie plus tôt, au détail près que l'homme représentant sa définition de la perfection l'avait aimée en retour. Jusqu'à présent, la seule méthode que la désirée savait sûre consistait à ignorer totalement l'indésirable. Pourtant, la jeunesse d'Ithier lui donnait des scrupules. Il lui restait une dizaine de minutes en la compagnie du jeune homme.

Elle improvisa, détourna la conversation vers les chiens de guerre, ce qui permit aux dix minutes de passer plus vite. Arrivés aux portes du village, elle planta Ithier sous le regard méfiant des gardes.

-Bonne nuit Ithier. Quand vous gagnez en assurance, vous donnez l'occasion à votre entourage de constater vos qualités. Sachez que demain je compte partir à la première heure, et ne plus revenir. Inutile pour vous de penser plus longtemps à ma personne.

Et Lily partit, permettant aux gardes de claquer la porte au nez du soupirant. Comme prévu, le lendemain matin, elle expédia un petit-déjeuner carbonisé, donna encore quelques xaros au garçon d'écurie pour le remercier des soins donnés à Nebel, rendit les tissus jaunes et reprit sa route vers le nord.

Graduellement, les routes devinrent pavées, comme des voies romaines. La voyageuse erra une semaine, profita de l'auberge d'un nouveau village à l'architecture similaire à la cité frontalière, et en quittant ce dernier songea à devenir sédentaire. Bien sûr, elle aimait errer à travers bois, plaines, successions de champs et de terres en jachères, et découvrir de nouveaux paysages tous les jours. Mais parler à son cheval plus qu'à d'autres personnes devenait lassant, Freiyx ne donnait aucun signe, et surtout ne pas avoir de foyer, aucune autre possession que l'équipement de Nebel, les saccoches et leur contenu ; cette accumulation lui pesait.

Après un mois de plus à ce régime-là, au milieu de l'été, Lily apperçut de loin une véritable ville, dépassant certainement les dix mille habitants. Les maisons rouges dépassaient les palissades de briques et de bois, les toits plats restaient utilisés comme jardins, le terrain se valonnait aux alentours.

Dès qu'elle approcha, l'odeur d'égoûts à ciel ouvert la dissuada d'y rester. Le même rituel qu'ailleurs pour vérifier sa nature humaine et ses intentions se répéta, et bien que l'agitation ambiante lui plaise, l'odeur supplantait tout. Elle repéra des comportements d'incivilité qui lui rappelaient Paris, des clochards, des personnes ivres mortes abandonnées dans les rues et de nombreux vols à la tire. Avec sa dague, elle s'estimait en mesure de survivre, et plus encore si elle se procurait une masse. Mais l'odeur la chassait de la ville. Aussi ne passa-t-elle qu'une nuit sur les lieux. Même Nebel semblait mieux respirer hors des murs.

À force d'errances, Lily arriva dans un village sans véritable nom, perdu dans une grande clairière, prospérant grâce à la multitude et la variété d'arbres fruitiers alentours. Des cerisiers se mêlaient aux chênes envahis de gui, à l'extérieur d'un cercle blanc de griê'ks. Le verger à demi sauvage lui plaisait bien. Seuls de minuscules sentiers menaient au village dépourvu de fortifications.

Le plus grand bâtiment rappelait une grange à la surface démesurée. La trentaine de bâtiments de bois aux toits légèrement inclinés semblaient égarés, ou avoir été semés au hasard. Lily repéra quelques chevaux de selle et de trait, moins de boeufs, et un nombre insignifiant de poules en liberté. Les habitants vaquaient à leurs occupations, la surveillant du coin de l'oeil. Des charpentiers réparaient le toit d'une maison sous un arbre, près d'elle.

-Bonjour messieurs ! les salua-t-elle avec amabilité. Comment se nomme ce village ?

-Bonjour madame, répondit l'homme en haut de l'échelle.

Il descendit, et garda son maillet à la main.

-On l'appelle juste "le village", répondit-il enfin. Qu'est-ce qui vous amène ?

-Le hasard du voyage. Y a-t-il un lieu où je pourrais passer la nuit ?

Le charpentier se tourna vers ses collègues. Ils s'échangèrent quelques regards, des gestes vifs et éloquents. Aucun télépathe ne devait résider ici, ce qui plut instantanément à Lily.

-L'auberge. Votre cheval pourra aller avec les autres. On vous le volera pas.

Lily le remercia, et lui demanda où se trouvait l'auberge. L'un des apprentis fut désigné pour la mener jusqu'au bâtiment central.

Habituée à la situation, elle attacha Nebel où elle put en attendant qu'on lui permette de le mettre au pré, et s'invita dans l'établissement que rien ne différenciait des autres. La salle comptait un nombre surprenant de tables, au vu du nombre d'habitants et de l'isolement des lieux.

Les cuisines situées derrière le comptoir, grandes ouvertes, permirent au maître des lieux de remarquer sa cliente. Il laissa sa vaisselle, prévint une personne invisible pour Lily qu'il s'absentait deux minutes et vint l'accueillir.

L'homme prenait sensiblement soin de sa moustache frisotée. Il devait avoir le même âge que sa nouvelle cliente, et portait quelques cicatrices de boutons d'origine incertaine. Fluet, il parla avec une surprenante voix de stentor.

-Bonjour madame, que puis-je pour vous ?

-Bonjour monsieur, pourrais-je passer quelques nuits ici ?

-Bien sûr !

-Aussi, pourriez-vous me dire où je pourrais permettre à mon cheval de se détendre ?

-Naturellement. Un de mes employés va tout vous dire.

Lily sursauta lorsqu'il mugit un nom en se penchant par-dessus le comptoir, en direction d'escaliers discrets.

-Lod ! Venez par ici !

Une minute plus tard, un homme dans la vingtaine déboulait des escaliers près de la cuisine. Il salua Lily dès qu'il la remarqua, et à sa demande l'amena au pré du village où se reposaient les chevaux. Les chevaux de selle appartenaient à des courriers, et les chevaux de traits servaient en général au débardage, ou bien les villageois les prêtaient pour les labours de leurs fournisseurs de céréales.

Heureux de ne plus porter de selle ni de filet, Nebel partit comme une flèche une fois au pré. Sa propriétaire voulut rester pour s'assurer qu'il ne se battait pas avec les équidés déjà présents, mais Lod lui montra plusieurs pré-adolescents aux aguets, payés pour veiller à la sécurité des animaux. Sceptique, elle demanda des précisions sur ce qu'ils faisaient en cas d'attaques entre chevaux. Lod lui montra plusieurs tissus noués aux barrières, que les enfants devaient agiter pour effrayer les belligérants. Ainsi que la cloche à faire sonner lorsque cela ne suffisait pas, ou en cas de récidive.

Connaissant son cheval, plus enclin à la fuite qu'aux combats hiérarchiques, Lily se sentit tout de même contrainte de lui tourner le dos. Une petite grange accolée au pré permettait aux cavaliers de passage de déposer leurs affaires équestres. L'un des jeunes surveillants des chevaux graissait justement une selle, avec une dextérité témoignant de l'habitude. La nouvelle arrivante lui tendit une poignée de pièces pour l'entretient de son matériel.

Ceci réglé, la voyageuse put déposer ses affaires dans une chambre spacieuse, fermant à clé et, comble du luxe bénéficiant d'un coffre. La couleur brun-roux lui indiqua du bois de griê'k. Sous l'écorce blanche et lisse comme un os se trouvait ce bois, lourd et résistant. Elle trouva assez étrange que ce petit village permette à l'auberge un tel luxe. Toutefois, le passage régulier des coursiers pouvait expliquer le luxe des lieux.

En sortant de la chambre, la femme fut surprise de voir que Lod l'attendait en souriant.

-Souhaitez-vous manger quelque chose ? s'enquit-il.

Lily refusa poliment. Il lui offrit ensuite de lui montrer les environs, ce qu'elle accepta, trop heureuse de pouvoir converser avec quelqu'un. Lod lui souffla rapidement qu'ils avaient remarqué que les voyageurs seuls désiraient plus que tout renouer contact avec la civilisation. Et Lod aimait rendre service, selon ses propres dires.

La fin de matinée fut dédiée à la visite de ce village initialement composé d'une seule famille de forestiers, peu à peu rejoints par des chasseurs, jusqu'à ce que le père de l'actuel aubergiste, notant le passage régulier de courriers, implante le bâtiment. Plusieurs familles s'intallèrent ensuite, plantant des arbres fruitiers dans les bois. La plupart des habitants travaillaient à l'auberge, ou dans tous les corps de métiers liés aux constructions en bois.

Lily jubilait. Un village en pleine évolution. Elle décida d'y passer plus d'une nuit. Son envie de trouver un foyer fixe pesa dans sa prise de décision, et ne vit pas le temps passer en présence de Lod.

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