ACTE III, Scène 4 : ondulation

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Deligny, assis à son bureau, tient son portable d’une oreille et un téléphone filaire de l’autre.

À sa gauche, trois personnes sont assises à une table, toutes au téléphone. À sa droite, même cinéma. Certains se lèvent, naviguent d’une table à l’autre, vont se rassoir, se relèvent, sortent de scène, re-rentrent, prennent des notes, brassent des papiers…

DELIGNY. – Oui… Non… Attendez… Non, non, vous ne pouvez pas écrire ça, ce n’est pas du tout ce que j’ai dit !... Et non !... Oui, je sais, vous n’êtes pas le seul à me le dire… Ne vous inquiétez pas, on va reprendre depuis le début. Accordez-moi juste un instant, j’ai un correspondant sur l’autre ligne… (à l’intention de l’autre interlocuteur) Écoutez, est-ce qu’on peut se rappeler d’ici dix minutes ?... Si, si, ça ira. Donnez-moi dix minutes et je suis à vous. (il raccroche et reprend son correspondant initial) À nous ! Alors je vous réexplique. Tous les plus gros ministères seront bicéphales… Oui… Un ministre représentant le parti de droite et un ministre représentant le parti de gauche… Oui vous avez bien compris… Pourquoi ? Ah voilà la question cruciale !... (il écoute la personne et sourit avec satisfaction) C’est à peu près ça. Ils seront obligés de travailler ensemble et de se freiner ou de se stimuler l’un l’autre… Ingérable ? Absolument pas ! Ça va faire partie de leur feuille de route. Ils ont des échéances. Julia Sarmente veut que les choses changent et elle veut des résultats. Ils ont des objectifs… Oui… Ah non… Ah, je vois que vous avez lu le communiqué de presse !... Exactement !... Accepter ? Mais ils n’ont pas le choix ! … Ah non ! Nous avons été parfaitement transparents et nous les en avons informés dès que nous les avons sollicités ! Ils ne peuvent pas dire qu’ils ignoraient que leur rémunération serait réduite au strict minimum !... Alors oui, en effet, ça nous permet de financer ce « gouvernement obèse » comme vous le dites si bien et surtout… attendez… surtout ça nous permet aussi d’enfin montrer l’exemple… Nous voulons autant que possible tendre vers l’exemplarité… Oui… (il se met à rire) Non, nous n’allons pas basculer dans le fascisme ! Pour vous l’exemplarité c’est du fascisme ?... Eh bien, vous voyez… Du populisme ?... Écoutez… Vous êtes journaliste, vous faites votre métier, vous appartenez à un média politiquement orienté, donc je ne peux pas vous dicter ce que vous allez écrire, ça c’est le boulot de votre responsable éditorial… Non, ce que je veux dire c’est que vous pouvez choisir de qualifier ces mesures de fascistes ou de populistes, nous nous n’y pourrons rien. Nous ne faisons que répondre à vos questions. Donc pour vous répondre, sincèrement, je n’en sais rien… Non, je n’en sais rien… Est-ce que c’est populiste, je n’en sais rien !... C’est à vous de tirer les conclusions de notre échange et de vos analyses… Je sais…

Sarmente entre sur scène. Deligny lui fait signe.
Elle vient se poster à côté de lui pour écouter la conversation.

DELIGNY. – Comprenez, Julia Sarmente et Pierre Bernal ne veulent plus entrer dans ce genre de débats… Non, ça ne les intéresse tout simplement pas… C’est grave ?... Oui, peut-être, mais c’est l’impulsion qu’ils ont choisie. Ils veulent des actes, des décisions… Ils veulent se donner les moyens de réussir leur pari et pour cela des ministères bicéphales leur semblaient le meilleur moyen… Oui, c’est ça… Et pour les financer, on réduit les rémunérations… Voilà, vous avez compris. Pas de fascisme, pas de populisme… L’Exemplarité ? Mais j’ai envie de vous retourner la question : qu’en pensez-vous, vous-même ?... Encore une fois, c’est vous le journaliste, moi je ne fais que répondre à vos questions… D’accord… Mais avec plaisir !... Mais bien sûr !... Pas du tout… Très bien, prenez votre temps, je reste à votre disposition…. C’est ça… Oui, à bientôt.

Il raccroche. Sarmente le taquine.

SARMENTE. – Belle prise !

DELIGNY. – Avez-vous compris de qui il s’agissait ?

SARMENTE. – Mes plus virulents détracteurs ?

DELIGNY. – Précisément.

SARMENTE. – C’était très bien, ce ton détaché que vous avez pris, Deligny, pour leur faire comprendre que vous n’écririez pas l’article à leur place et que vous ne rentreriez pas dans le jeu des jugements et des adjectifs dévastateurs… Vraiment, bravo.

DELIGNY. – Je vous avoue qu’en réalité, je lui ai dit ça parce qu’il m’a agacé. Il a commencé à qualifier vos décisions de fascistes, ensuite de populistes… J’attendais totalitaires et dictatoriales… !

SARMENTE. – (elle sourit) C’est dur, pour eux, de comprendre dans quelle direction nous souhaitons aller. Ça bouleverse tellement de choses, ils ne savent plus où ils en sont… (elle change de sujet) Qu’est-ce qu’il t’a demandé avant de raccrocher ?

DELIGNY. – (éclate de rire) Ah oui ! Incroyable ! Il veut m’envoyer le texte avant publication pour que je le relise !

SARMENTE. – (elle siffle entre ses dents) Parfait. On les tient… tous. Et cette posture détachée, je veux que tout le monde la prenne dorénavant. Ça sera notre ligne. Ne plus se laisser manipuler par leur langage et leurs tentatives de nous coller des étiquettes. Nous sommes désormais au-dessus des partis et des étiquettes. Nous sommes l’alliance.

Noir.

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