Chapitre 3 (fin retravaillée)

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Il se passa quelques jours avant que la couette ne frémisse à nouveau.

Sous l’effet des différents fluides corporels qui s’étaient échappés de Grégoire, les draps avaient durci et formaient une coque rigide autour de son corps.

Cette gangue émit un craquement, une fissure apparut à sa surface, puis une autre.

Soudain, la couette éclata et une main sortit, transparente comme une bulle d’air, suivie d'une deuxième. Le corps gluant de Grégoire émergea tout entier et s’éleva dans la chambre, tel un ectoplasme. Ses yeux globuleux et fixes observèrent un instant la pièce comme s’ils la découvraient pour la première fois.

En face de lui le reflet de la vitre lui offrit un spectacle qui le laissa sans voix. Et pour cause, une longue trompe qui s’enroulait et se déroulait devant lui comme une langue de belle-mère et remplaçait sa bouche.

De son corps humain, allongé et poilu sortaient deux bras et deux jambes qu’il déplia et replia sans comprendre, les pensées aussi désordonnées que la chambre dans laquelle il volait.

Dans son dos, deux gigantesques ailes battaient de manière saccadée. Colorées, translucides, elles semblait si fragiles qu’un courant d’air aurait pu les déchirer. Ses antennes frémirent, Grégoire émit un ultrason en contemplant la coque vide dont il avait émergé. Des images revinrent en mémoire, par flashs, celles d'une vie terrestre, terne alourdie par la pesanteur, une vie de tracas, une vie d’inertie.

Une vie horizontale.

Les visions s’évanouirent comme une volute de fumée et la réalité reprit ses droits. Grégoire comprit soudain que le reflet, dans la vitre, c’était lui, que la coque vide sur son lit était son ancienne enveloppe corporelle.

Adieu, enveloppe triste et rampante, bonjour nouveau corps ! Papillon géant, léger et agile!

Il était vivant et un nouveau monde de possibilités s’ouvrait à lui. Il avait tant d'enthousiasme à revendre, tant de projets à mettre en place. Ah, c'est certain, il n'allait pas commettre les mêmes erreurs. Il allait prendre la vie à bras-le-corps. Trouver un travail qui lui plairait, il en existe certainement pour les hommes-papillons ! Faire du cinéma, pourquoi pas ? Il avait toujours rêvé d’être acteur ! Ne fréquenter que les bonnes personnes. Et pourquoi pas, rencontrer une belle papillonne et lui faire plein de petites chenilles qui dévoreraient le papier peint !

Grégoire sentit la fatigue l'envahir. Il se posa sur une table, s'allongea et s'enveloppa dans ses ailes pour dormir. Des pensées simples et colorées peuplèrent ses rêves.

Lorsqu'il se réveilla, ragaillardi, il s'envola dans la pièce, sirota un verre abandonné et planifia de nouveaux rêves. Et s'il sortait prendre l'air, là maintenant ? Et s'il partait se promener dans le parc profiter de la verdure et des arbres en fleurs ? Et s'il survolait la ville pour voir à quoi elle ressemblait vu de haut ? Mais que diraient les gens en le voyant ? Allait-on le piéger dans un filet à papillons pour l'étudier ? Un scientifique fou allait-il l'épingler sur un mur ? Ou pire encore, un enfant allait-il lui arracher les ailes, "pour voir ce que ça fait" ? Ses pensées s'assombrirent, il décida de rester au chaud, à la maison.

Grégoire passa ainsi plusieurs journées à papillonner dans le salon, à élaborer des dizaines de projets tout aussi séduisants les uns que les autres, ne sachant lequel mettre en oeuvre.

Peu à peu, sans qu'il s'en rende compte, son vol perdit de son élégance, ses forces faiblirent, il se cogna aux objets, renversa une commode. Sa tête tournait, il manqua même de se brûler les ailes à l'ampoule du plafond. Enfin, il percuta une vitre et glissa tout le long pour s'effondrer au pied de la fenêtre. Son existence touchait à sa fin, son espérance de vie sous la forme d’un papillon se résumait à quelques jours seulement, il le sentait, le savait, sans en avoir peur. Il en va ainsi de tous les insectes, leur nouvelle forme est éphémère, il le comprenait comme on comprend une évidence, comme on comprend que l'on tombe si on arrête de battre des ailes.

Sans le savoir, Grégoire venait de gâcher sa nouvelle existence de la même manière que la précédente, en remettant à plus tard l’exécution de ses rêves.

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