Chapitre 8 : Thynkor, le cartographe.

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*** Mont boisé, territoire de la tribu Var’nalesh – Trois ans avant le départ en mer. ***

Ses pas s’enfonçaient légèrement dans l’humus, dont les effluves se mêlaient aux parfums de sèves et multiples fragrances florales. À mesure qu’il gagnait le cœur de la forêt de Thal'Naeryn, ces odeurs suaves s’estompèrent pour laisser place aux miasmes entêtantes d’eaux croupies et de putréfaction. Le vert vif des feuillages céda à des teintes ternes et partout devant lui des arbres morts.

Des plantes inconnues, hérissées d’aiguilles, proliféraient dans ce marais putride. Elles arboraient sans élégance une floraison dérangeante, leurs pétales semblables à la cire fondue de bougie et leur teinte pourpre incitait à la prudence ; Ils exsudaient la mort. Il frissonna en apercevant les monticules de cadavres chitineux des pollinisateurs trop téméraires. Ces fleurs étaient les armoiries hostiles d’un empire belliqueux.

Des larves grouillantes pullulaient sur les cadavres gonflés de rongeurs à demi immergé dans le marécage. L’air chaud et humide l’étouffait de plus en plus. Des nuées d’insectes semblaient patrouiller la zone, prêts à fondre sur les intrus. Mais que protégeait ce ballet de sentinelles invisibles ?

Il discerna, à l’autre extrémité du bourbier, une ouverture dans la base de la ravine qui le surplombait. L’excitation de la découverte et de l’exploration l’envahit aussitôt. Il avança d’un pas prudent. Des bulles éclatèrent à la surface alors que son pied s’enfonça jusqu’au mollet. Il se ravisa prestement. Un autre accès plus sûr se présentait à quelques mètres.

Une patrouille bourdonnante se rapprocha, brisant le silence de mort qui s’imposait au lieu. Immobile, il observa avec attention son déplacement saccadé. Il s’avança d’autant qu’elle s’éloignait. Une douleur vive le fit soudainement tressaillir. Une aiguille végétale lui avait éraflé le dos de la main. Aussitôt la plaie gonfla et sa peau le démangea, mais il poursuivit vers son objectif, déterminé. Encore quelques pas. Mais à chacun d’eux, des remous inquiétants survenaient, partout, autour de lui.

Il se sentait observé, sans qu’il ne distingue personne, le marécage l’épiait, attendant son heure. Des mouvements de reptation, imperceptibles et fugaces le firent tressaillir. Sa témérité le forçait à poursuivre sa quête. Son instinct, lui, hurlait de s’en détourner. Il distingua plus nettement l’entrée. Plus haute que large. Plus sombre que la nuit. Soudain et éphémère, un visage, blanc ou ivoire, comme les os, dans la noirceur de la cavité. Il était sûr de ce qu’il avait vu. Ses poils se hérissèrent. Son cœur s’accéléra, frénétique. Alors qu’une sueur froide perla sur tout son corps, la nuée frémissante fondit sur lui.

Une piqûre dans le cou. Puis le bras. Les insectes se ruaient sur son visage. Il se protégea la bouche et le nez d’une main. Les repoussait de l’autre. Ils voulaient le détruire de l’intérieur, l’empêcher de respirer. D’autres piquaient encore, partout, s’accrochaient à lui. Aucun répit. La panique le submergea en quelques instants. Il agita les bras comme un dément. Giflant par dizaines les insectes hystériques. Ils revenaient sans cesse. Inarrêtables, infatigables. Il trébucha en fuyant l’essaim. Son corps s’écrasa dans la tiédeur nauséabonde du marécage. Des sangsues et d’autres parasites l’assaillirent. Une aubaine pour eux. Les insectes abandonnèrent leur cible devenue invisible à leurs capteurs. Il regagna haletant les arbres aux feuillages verts et s’écroula contre un gros tronc couvert de mousse, à la frontière de l’évanouissement.

De longues minutes furent nécessaires pour qu’il retrouve son souffle. Il se débarrassa de la vermine ancrée à sa peau et râcla la boue séchée. Il massa quelques instants ses membres gonflés et endoloris par les morsures, les piqûres des insectes et des plantes épineuses.

— Mieux vaut éviter cet endroit, souffla-t-il.

Thynkor sortit son matériel. Compas, parchemin, encre et plume. Une triangulation rapide de sa position et en quelques traits la zone sinistrée se matérialisa sur la carte. Il y ajouta un symbole Ysharii qui signifiait « Danger ». Un symbole de plus en plus fréquent. Il ignorait encore que le nombre d’occurrences augmenterait bien davantage avec le temps.

Deux ans auparavant, il quitta Khol’myrisi, la capitale de la tribu d’Ysa’marath. Thynkor s’était donné pour but de cartographier Val’ishar. Nombreux furent ceux qui tentèrent, en vain, de l’en dissuader. Ses amis et ses proches, craignaient pour sa vie. Leur île était leur « berceau » mais elle n’en demeurait pas moins dangereuse, surtout pour un explorateur solitaire. Depuis des millénaires, les Ysharii avaient appris à éviter les dangers de leur monde, mais lui, voulait les cartographier, les explorer.

Thynkor arpenta ainsi Val’ishar pendant cinq longues années. Il retranscrivit sur ses parchemins les moindres recoins de l’île, annotant les zones les plus périlleuses dont il détailla les causes. Ses premières cartes mentionnaient des dangers naturels, les dernières quant à elles étaient annonciatrices de l’apocalypse.

Il regagna Khol’myrisi, quelques semaines avant le conseil des chefs devant le pilier des étoiles, mais Inkara, trop préoccupée par les souffrances de son peuple, n’accorda pas l’importance escomptée aux annotations détaillées du cartographe, bien qu’elle fût stupéfaite par l’expertise et par la qualité des cartes, une des raisons pour lesquelles elle l’enrôla, après le conseil, en tant que navigateur et cartographe des Éclaireurs de Val’ishar.

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