Le Procès

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J’avance le long de la haie que m’ont faite mes congénères. Nombre d’Elfes sont venus assister à ce moment de honte, d’humiliation qui va être le mien en cet instant. Il ne m’étonnerait point que l’ensemble du pays Elfique soit présent aujourd’hui. Il pleut sur la ville et le tonnerre résonne comme un écho, montrant sa colère envers l’acte que j’ai commis, et l’acte dont on m’accuse d’être le complice. Je ne sais même pas s’il s’agit de la vérité, si elle a bien commis cet acte ou si c’est une ruse pour avoir ma tête.

Avant d’être un prisonnier en attente de son procès, j’étais commandant de la Garde Elfique, un poste à l’importance conséquente, mais jalousé par de nombreuses personnes. Ma curiosité m’avait offert nombre d’ennemis, connaissant de nombreux détails sur les politiques Elfes. Et si les autres races nous prenaient pour des êtres vertueux, sans aucun défaut, ils déchanteraient bien vite en apprenant tout ce qui se passe en coulisse. C’est probablement la raison de mes pas me menant à mon procès.

Ceux qui me surveillent, d’anciens camarades avec qui je buvais encore la veille, me conduisent vers la grande salle d’audience, là où se réunissent tous les chefs des différents clans pour débattre et prendre les décisions concernant le pays. La tension est palpable chez ceux avec qui j’ai partagé nombre de repas par le passé.

Je ne peux pas leur en vouloir. Emmener celui qui les a commandés, les a entraînés depuis de nombreuses années et les a conduit à devenir de formidables guerriers, vers l’un des procès qui décidera de son sort ne doit pas être une expérience qu’ils apprécient. Mais, j’avance la tête haute. Quels que soient les maux dont on m’accuse aujourd’hui, je saurais me défendre et je gagnerais ce procès.

L’endroit où se déroulera l’audience, un espace à ciel ouvert, composé d’une multitude de gradins et d’une estrade où siègent les chefs de clans. La rumeur qui parcoure la foule se tait en un instant, tandis que je descends les marches des gradins, les marches me menant à ce moment si important. En descendant, je peux voir les différents chefs et hommes politiques du pays. Les mines patibulaires de certains qui m’ont connu jeune pousse et souhaitent, probablement, ne pas me voir mort me réchauffe le cœur. Mais, la mine sévère des plus influents et corrompus Elfes ne tend pas à me rassurer.

Au cours de ma longue carrière, plus de trois cents ans de vie et de champ de bataille, j’ai combattu et vu plus de sang que n’en verra jamais un Homme durant toute sa vie. J’ai bataillé contre des monstres qui glaceraient le sang aux conteurs les plus avertis, et j’ai déjoué nombre de ruses visant à me tuer ou à attenté à ma vie. Malgré cette éternité bien remplie, pourtant, je ne peux m’empêcher de sentir l’appréhension monter en moi. L’appréhension et la colère. Je ne supporte pas ces vieux fous d’Elfes millénaires qui se croient supérieurs à tous et se permettent les pires infamies. Mais je préférerais cent fois combattre un troupeau d’ogres, plutôt que passer des heures à débattre ou m’époumoner avec eux pour faire entendre ma voix.

Mes anciens camarades s’arrêtent devant l’estrade des vieux croulants et me laissent, non sans me murmurer des paroles d’encouragements. Je souris en les entendant. Si ma chance m’a abandonné, ce n’est pas le cas de mes actes en tant que Commandant. Mais, j’aurais bien le temps de les remercier, une fois que je serais gracié, et de payer ma tournée à la taverne, leur présentant, par la même occasion, celle qui partagera ma vie et à qui je la devrais après ce procès.

On dit des Elfes qu’ils ne se marient jamais avant d’avoir atteint les cinq cents ans, pour avoir la maturité nécessaire pour choisir la bonne épouse ou le bon époux. Mais, dans mon cas, je sens qu’il s’agit de mon âme sœur jusqu’au plus profond de mon cœur. Je n’ai que très peu aimé durant ces trois cents ans de vie, trop occupé à défendre des territoires ou en conquérir d’autres, ou alors à entraîner de nouvelles recrues. Ma vie n’a été que larmes, sang et sueurs, jusqu’à ce que je la rencontre.

On dit aussi que les Elfes ne sont pas faciles à séduire, mais cette femme sublime pourrait faire fondre le cœur de pierre d’un Golem si elle le voulait. C’est avec elle que j’ai trouvé l’amour véritable, et avec elle que je souhaiterais fonder ma future vie. Une vie, qui je l’espère, ne sera faite que d’amour.

C’est avec cette idée en tête que j’affronte le regard du remplaçant de l’ancien chef de clan. Lord Tharniel. Un ancien combattant qui, alors qu’il était sur le champ de bataille, avait déjà un pied dans la politique du pays. Certaines rumeurs font état de nombreuses batailles qu’il n’aurait déclenchées que par aspect politique, pour gagner des points ou évincer ses concurrents au poste de chef de clan. Bienheureusement, le poste lui a été ravi par un Elfe que l’on croyait mort depuis des années, tué sur un champ de bataille, mais qui est revenu miraculeusement des années après.

Malheureusement, aujourd’hui, il a enfin fini par obtenir ce qu’il cherchait depuis tout ce temps. Un rictus presque imperceptible déforme les traits de son visage. Je dois être le seul à le voir puisque personne d’autre ne réagit, mais je ne peux m’empêcher d’avoir un haut-le-cœur en le sachant responsable de ce procès. Sa voix, celle d’un stentor résonne et fait taire les restes de rumeurs qui secouaient la foule.

 - Bienvenue ! Bienvenue, mes chers concitoyens. Aujourd’hui, en ce jour maudit, nous nous réunissons afin de lever le voile sur un crime effroyable. Un acte de la plus haute ignominie. Le meurtre de Lord Paskiel, Lord depuis son retour en l’an de grâce 418 et Elfe avisé qui a conduit à l’expansion de notre cité suite au Traité de paix avec les cités humaines entourant le pays. L’acte effroyable commis il y a quelques jours, et comme vous le savez, ne peut avoir été commis que par l’un des nôtres, n’en est que plus terrifiant. Deux trahisons ont été commises, deux trahisons qui nous pousseront, irrémédiablement, vers le sentier de la guerre. Et aujourd’hui, vient l’heure de punir celui qui a commis ce crime. Celui qui est responsable de cet acte effroyable, le commandant Karlahiel !

Garde la tête haute, ne montre aucune faiblesse devant ces charognards. Tu dois montrer que ses attaques, son discours n’est rien et qu’il ne repose sur aucune preuve. Elle, elle détient la clé qui te permettra de retrouver ta liberté et, bien vite, de vivre ta vie avec elle et de partir de ce pays.

Je me répète ces phrases inlassablement dans mon esprit pour ne pas flancher. Bien que j’ai vécu nombre de choses, la pression de ce lieu si important, et la foule imposante est difficilement supportable. Et quelqu’un d’autre, plus faible mentalement, aurait pu craquer et confesser des crimes qu’il n’aurait pas commis.

 - Vous vous demandez certainement, quelle preuve nous avons pour accuser ainsi le commandant, reprend le Lord. Eh bien, voyez par vous-même.

Sur ces mots, un homme se montre, portant un drap à bout de bras. Il l’amène directement devant le chef de clan et le dépose sur son bureau, remerciant le serviteur avant de déplier le linceul. Devant la foule, il lève bien haut, pour que tous puissent la voir, une dague ouvragée avec soin. Deux dragons or et noirs s’enroulent autour du manche de l’arme et sa lame, effilée, est couverte d’un sang séché.

C’est l’œuvre d’un maître Nain, un forgeron capable de produire des lames magnifiques pour peu qu’on y mette le prix. Même si la haine entre les Elfes et les Nains est encore vive, cet artisan vit reclus dans les régions des Terres Libres. Cette arme a servi de nombreuses années et a mis fin à la vie de nombreux ennemis de mon peuple. C’est une arme parfaitement équilibrée, qui a été faite pour quelqu’un de spécifique et qui ne peut être maniée par n’importe qui. L’éclat du rubis incrusté dans la poignée est terne.

Si j’en sais autant sur cette lame, c’est parce qu’elle m’appartenait… jusqu’à ce que je me la fasse dérober. Cette information n’avait pas été rendu publique vu mon statut de commandant. Je ne pouvais avouer m’être fait voler l’une de mes précieuses armes. Sa vue me trouble, encore plus le sang séché qui témoigne de la mort de mon vieil ami.

Lord Paskiel, un Elfe qui avait déjà cinq cents ans, quand je n’étais qu’un jeune bourgeon. Il m’a appris à combattre et a fait de moi le guerrier que je suis aujourd’hui. Il m’a initié à de nombreux secrets de la magie et souhaitait que je prenne sa suite. Je refusais toujours, le plus respectueusement. Les responsabilités de commandant étaient suffisamment éreintantes comme ça, sans y ajouter celle d’un clan tout entier. En y repensant, j’aurais dû accepter. Cela m’aurait évité ces ennuis.

Mais, cette preuve n’est pas suffisante pour me faire plonger, il faut bien plus pour m’inculper du meurtre que je n’ai pas commis.

 - Cette arme, vous la reconnaissez, n’est-ce pas ? La dague du commandant Karlahiel. On dit que nombre de nos ennemis sont tombés sous ses assauts meurtriers. C’est cette arme qui a été utilisée pour tuer le Lord Paxiel.

La foule pousse un cri de stupeur, et un sourire vient étirer les lèvres du chef de clan. Il est théâtral comme toujours et doit apprécier donner ce spectacle devant toute la population Elfe. Mais, comme je le pensais, cette preuve n’est pas suffisante pour m’accuser.

 - Mais, je suis conscient que ce n’est pas une preuve suffisante pour l’accuser, reprend-il comme s’il avait lu dans mes pensées. Comme vous le savez, une loi immuable, gravée en nous, nous empêche de nous prendre à nos congénères. Si nous le faisons, nous subissons les contrecoups de la malédiction. Néanmoins, un témoignage édifiant vous permettra de mieux comprendre la situation.

Quelle personne pourrait témoigner contre moi ? Pour un crime que je n’ai pas commis. Et c’est là que je la vois arriver. Elle descend les marches dans une robe salie par la poussière et le sang, et la colère commence à m’envahir. Que lui ont-ils fait ? Nous avons été séparés, nous étions dans des cachots séparés et c’est la première fois que je la revois en trois jours.

Ses cheveux blonds sont broussailleux et ressemblent à de la paille, et ses yeux bleus trahissent un manque de lumière tant ils sont petits.

Elle ne porte qu’une robe vieillie par la poussière. Mais, même dans cet accoutrement, elle est toujours aussi magnifique à mes yeux, et en la voyant, tous mes problèmes s’envolent, toute l’appréhension de cette situation part en un instant. Je n’ai qu’une envie, c’est de sentir à nouveau le contact de ses bras, sentir ses baisers langoureux et ses caresses. Je ne doute pas de ma future libération, dormant avec elle au moment où le meurtre a été commis. Même si un Elfe ne doit pas faire preuve d’ironie ou de sarcasme, je ne peux m’empêcher d’avoir le sourire en imaginant la tête de Tharniel quand il verra que ses accusations ne tiennent pas la route.

Mais l’arrivée de la femme suscite une vague de stupeur parmi la foule. Les Humains et toute autres races ne sont pas autorisés dans notre pays et en faire rentrer un est passible de la peine capitale pour toute personne de rang inférieur à celui de lieutenant. Pour un commandant tel que moi, il s’agirait d’une démission de ses fonctions et d’une assignation à l’île des Pêcheurs, un endroit où les criminels vont purger une peine de cinquante ans pour leur apprendre à respecter les lois ancestrales.

Si je viens à être reconnu coupable, je pense qu’ils ne verront pas d’inconvénients à ce que j’aille sur l’île avec Mila. Et à la fin de cette période d’emprisonnement, je pourrais retourner chez moi avec elle. Et profiter de mon éternité avec la femme de ma vie. Une éternité d’amour, une éternité à remercier la Déesse d’avoir mis cette femme sublime et exquise sur mon chemin…

 - C’est lui…

La voix cristalline de Mila me fait sortir de mes pensées, mes poils se hérissent et tous mes sens sont en éveil quand elle me désigne. Je ne comprends pas, elle a dû faire une erreur.

 - Pouvez-vous être plus précise ? Lui intime Lord Tharniel.

 - C’est lui… qui a tout manigancé. Il m’a trouvé blessé à la frontière du pays, et m’a fait entrer clandestinement dans le pays au cours de la nuit, en me promettant monts et merveilles. Il a dit que si je tuais le chef de clan, il lui succèderait et pourrait m’accorder tout ce que je souhaite.

 - Un bien mauvais mensonge. Le commandant n’étant pas inclus dans la succession de mon prédécesseur, il s’est joué de vous.

Je la vois, une expression de surprise se gravant sur son visage… Que se passe-t-il ? Pourquoi raconte-t-elle tous ces mensonges ? Qu’est-ce qui cloche ? Mais le rictus presque imperceptible de Lord Tharniel m’éclaire. Il a dû la soudoyer pour qu’elle raconte toutes ces calomnies.

 - Mensonge ! Je m’écrie. Mila, je peux te protéger, quel que soit les menaces qu’il a proférées à ton encontre, je peux te garder sain et sauf. Il ne t’arrivera rien…

 - Silentem

La formule a été prononcée par l’un des chefs de clan et un bâillon me clôt la bouche. Je ne peux qu’assister impuissant à la suite de mon procès, écarquillant les yeux.

 - Je n’ai pas été menacé pour prononcer ces mots, dit Mila. Je ne dis que la pure vérité. Le commandant m’a donné son arme et m’a indiqué un plan infaillible pour avoir accès au Lord Paskiel. J’ai attendu la nuit, et j’ai commis l’acte.

La foule se soulève devant cette révélation et des injures sont prononcées envers la femme. Celle-ci baisse la tête, une expression de culpabilité sur le visage. Elle me lance un rapide coup d’œil, mais je ne suis plus que colère envers elle. Mes sentiments ont changé du tout au tout, et je ne ressens plus que de la haine. Je ne sais pas pourquoi elle a fait ça, pourquoi m’a-t-elle trahi ? Je croyais qu’elle partageait mes sentiments, qu’elle m’aimait autant que je l’aimais. Mais, il semble que je me trompais.

C’est en réfrénant ma colère que j’entends la voix de Lord Tharniel prononcer mon nom et les actes d’accusation. Mais, j’écoute à moitié, ne me concentrant que sur le visage de Mila, fuyant mon regard et sur la colère que je ressens envers elle et sa trahison. Je n’entends qu’à peine le chef de clan qui prononce la formule. Je ne vois qu’à peine le cercle de magie qui s’ouvre sous moi. Je ne ressens rien alors que je chute à travers le portail qui a été ouvert.

Les années ont passé. Cinquante ans, cinquante longues années à être dans la solitude de l’île des Pêcheurs. Personne n’est venu, personne n’a voulu rendre visite à l’ancien commandant de troupes armées. Une amourette, une simple amourette a réussi à détruire toute la vie que j’avais forgée en trois siècles d’existence. Le portail s’ouvre à nouveau après ces cinq décennies comme il le fait à chaque fin de sanction et je le traverse…

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