Chapitre 18 : L’Éveil des Ombres
Attirée par les hurlements stridents, la milice privée chargée de la sécurité du site réagit dans un silence lourd, trop familier avec l’horreur. En quelques secondes, ils dévalèrent les escaliers menant au niveau -2, leurs bottes martelant les couloirs sombres, les armes prêtes à faire feu.
Sans un mot, une rafale de balles jaillit, éclatant autour de la créature. Chaque impact résonnait comme un cri sourd, une tentative désespérée de la contenir avant qu’elle n’éclate une fois de plus les entrailles du laboratoire. L’air vibrait sous la chaleur et l’odeur métallique du sang et de la poudre, tandis que des éclairs de lumière zébraient les murs et projetaient des ombres grotesques sur les visages tendus.
Certains soldats, les traits figés par la peur, se détournèrent pour secourir les blessés. Mais chaque mouvement semblait se dissoudre dans le chaos, chaque geste désespéré perdu dans le tumulte, comme si le temps lui-même s’était retourné contre eux. L’horreur n’était plus seulement devant eux, elle les enveloppait, les étouffait, les poussant au bord de la folie.
Plus loin, à l’abri des regards, Jonas gisait dans l’ombre. Son corps, partiellement démantelé par la créature et criblé de balles, exhalait une chaleur étrange et métallique, mélange de sang et de poudre brûlée. La lumière vacillante des éclairs qui traversaient le couloir faisait briller la peau déchirée et les éclats de métal de ses vêtements, projetant des ombres grotesques sur les murs.
Il était recroquevillé, inerte, chaque respiration semblant retenue par la douleur ou par le froid mortel qui s’infiltrait dans ses muscles. L’air autour de lui sentait le fer et la terre retournée, et un silence pesant, presque oppressant, avait remplacé le tumulte du combat. Ses yeux, à demi ouverts, reflétaient les éclairs de lumière, comme pour témoigner une dernière fois de l’horreur qui venait de se déchaîner. Mort, mais restant dans l’espace comme une présence tangible, un avertissement muet pour quiconque oserait encore défier la créature.
Kennywood, Jeff et Selina furent parmi les premiers à être récupérés par l’équipe médicale, leurs corps meurtris mais encore animés par un souffle de vie. Autour d’eux, d’autres membres de l’équipe, le visage et les vêtements maculés de sang, étaient traînés hors du cauchemar par des mains expertes, chaque geste précis dans ce chaos d’urgence.
Les perfusions s’enchaînaient, les bandages se superposaient, et le cliquetis des instruments et le bruissement des couvertures formaient une symphonie macabre. Dans le tumulte de l’évacuation, la douleur était retenue, murmurée entre respirations haletantes et gémissements étouffés, comme si chacun craignait de rompre l’équilibre fragile de cette nuit déjà saturée d’horreur. Les lumières clignotantes des appareils médicaux projetaient des éclats rapides sur les visages fatigués, capturant l’épuisement, la peur et la volonté obstinée de survivre.
Les semaines s’écoulaient avec une lenteur presque irréelle, comme si le temps lui-même hésitait à avancer. L’air était saturé d’odeurs de désinfectant et de plastique brûlé, mêlées aux relents métalliques du sang séché. Dans les couloirs des hôpitaux improvisés, des murmures à peine audibles s’échappaient des chambres, des voix fragiles et tremblantes qui tentaient de combler le vide laissé par la violence récente.
Les corps guérissaient lentement, recouverts de cicatrices qui brillaient parfois sous la lumière crue des néons, mais les âmes, elles, restaient fracturées, piégées dans des souvenirs trop lourds à porter. Jeff et Selina tentaient de trouver des mots, des gestes, pour combler le silence, mais chaque sourire semblait forcé, chaque phrase fragile et vacillante.
Kennywood, lui, portait le poids de cette nuit comme une armure invisible. Ses yeux, souvent perdus dans un vide insondable, semblaient scruter un monde que personne n’osait atteindre. Le moindre bruit, un pas dans le couloir, un gémissement lointain, faisait frémir son corps comme s’il revivait constamment l’horreur. Dans sa posture, dans ses silences, il y avait tout le fardeau de ce qu’ils avaient traversé, un poids que ni le temps ni les mots ne pouvaient alléger.
***
De retour dans le laboratoire isolé d’Afrique du Sud, une routine lourde et silencieuse s’était installée, mais personne ne pouvait chasser l’image de Jonas de leur esprit. Chaque regard, chaque geste semblait peser d’un poids invisible. Dans le couloir, Kennywood marchait d’un pas rapide, les mains tremblantes alors qu’il réajustait ses instruments. Il riait parfois, nerveusement, comme pour conjurer l’ombre de la catastrophe, mais ses yeux trahissaient une tension qui ne disparaissait jamais.
Autour de lui, son équipe travaillait avec une précision mécanique, bavardant à voix basse, presque pour se rassurer, ignorant leurs propres frissons quand un claquement métallique résonnait dans le laboratoire. La peur n’avait pas disparu, mais l’avidité et l’ambition la masquaient. Chaque expérience devenait plus audacieuse, chaque protocole plus risqué. Ils se lançaient à corps perdu dans une quête aveugle, convaincus que derrière les symboles et les diagrammes se cachait une illumination, un pouvoir que la science seule n’avait jamais osé toucher.
Pourtant, plus ils approchaient de l’inconnu, plus l’air semblait se faire lourd, chargé d’une tension presque tangible. Les murmures de l’équipe se faisaient hésitants, comme si chaque son éveillait une présence invisible. Même Kennywood, habituellement sûr de lui, fronçait les sourcils, jetant des coups d’œil rapides autour de lui, sentant instinctivement que quelque chose dans le laboratoire avait changé, et que leur curiosité pourrait bien les dévorer.
Au début, les phénomènes étaient subtils, presque imperceptibles. Des objets se déplaçaient lentement, comme attirés par une force invisible, et les chercheurs se contentaient de les ignorer, pensant que la fatigue ou l’excitation leur jouaient des tours. Les instruments vibraient sans raison apparente, mais la réalité semblait se plier à leurs découvertes et les progrès fusaient. Pourtant, un malaise grandissant s’insinuait parmi eux, un sentiment sourd qu'ils n’osaient pas confronter. Ils se disaient que leurs manipulations des lois de l'univers commençaient enfin à porter leurs fruits, que les étranges phénomènes n’étaient que des effets secondaires de leurs expériences. Mais ce n’était pas cela.
Un soir, alors que l’obscurité enveloppait le laboratoire et que des éclats de lumière vacillants dansaient sur les murs, Kennywood sentit une fraîcheur glaciale glisser le long de sa nuque, comme si une présence invisible s’y déposait. Un frisson lui parcourut l’échine, irrépressible et sourd. Il se retourna brusquement vers un instrument posé sur la table : il tremblait, mais pas de la manière habituelle des vibrations mécaniques. Non, c’était plus… organique, presque vivant.
La pièce, jusque-là silencieuse, semblait respirer autour de lui, chaque souffle imperceptible écho d’une force étrangère et invisible. Les murs paraissaient se rapprocher, l’air devenait lourd, chargé d’une tension sourde qui semblait s’infiltrer dans sa poitrine. Il scruta les visages de son équipe : leurs traits crispés, leurs yeux fuyants trahissaient la même peur qu’il ne voulait pas admettre à voix haute. Un silence oppressant régnait, comme si le moindre mouvement, le moindre souffle, pouvait réveiller quelque chose de prêt à surgir des ombres.
Puis, une voix, faible, presque étouffée, s’éleva derrière Kennywood : « Quelque chose ne va pas ici… » Il se retourna, mais l’air restait vide, immobile. Le silence, lourd et presque palpable, sembla se resserrer autour de lui. Un frisson glacial parcourut son échine. Les objets qui tombaient ou se déplaçaient n’étaient plus de simples anomalies ; ils bougeaient avec une intention, comme si une force invisible les guidait pour le mettre en garde.
La lumière vacilla de nouveau, projetant des ombres qui ondulaient et s’étiraient sur les murs comme des doigts noirs. Kennywood sentit son cœur s’emballer, tandis qu’un poids oppressant semblait comprimer sa poitrine. Il n’était plus seul dans la peur : les yeux de ses collègues, hagards et wide ouverts, se cherchaient dans l’ombre, trahissant la même terreur muette. Aucun mot ne franchissait leurs lèvres, mais le malaise vibrait entre eux, palpable, presque suffocant, comme si le laboratoire lui-même retenait son souffle.
A chaque jour qui passait, l’ambiance devenait de plus en plus étouffante. Les résultats s’enchaînaient, mais à quel prix ? Était-ce la réalité qui se déformait autour d’eux, ou était-ce eux-mêmes qui perdaient peu à peu leur prise sur elle ? Ils avaient franchi une ligne invisible, une partie d’eux commençait même à se demander s'ils n'avaient pas ouvert comme un portail qu'ils ne pouvaient plus refermer.
Au fil du temps, les phénomènes devinrent de plus en plus étranges, et sinistrement tangibles. Les échos, d’abord vagues, s’accrochaient aux couloirs déserts du complexe, résonnant bien après que les dernières voix des chercheurs s’étaient éteintes, laissant derrière eux un silence lourd, étouffant, presque palpable.
Puis vinrent les bruits sourds, comme des battements irréguliers ou des froissements furtifs dans les murs des pièces vides, comme si quelque chose — ou quelqu’un — se glissait dans l’ombre. Quand ils couraient chercher la source, le vide répondait, implacable, mais chaque pas leur donnait la sensation glaciale d’être suivis, frôlés par une présence invisible qui traçait leurs contours dans l’air.
Le froid s’infiltrait jusqu’aux os, mordant les mains et les chevilles, et chaque respiration semblait se figer dans leur poitrine, lourde et traîtresse. Les murs paraissaient se rapprocher, lentement mais inexorablement, et parfois un souffle invisible effleurait la peau, provoquant des frissons incontrôlables. Même le moindre craquement, un frémissement de métal, un cliquetis de porte, semblait amplifier cette tension, comme si le complexe lui-même se tordait et respirait autour d’eux, prêt à les engloutir dans un silence suffocant et malveillant.
Kennywood s’acharnait à maintenir une façade de calme, mais la peur s’insinuait en lui comme une fissure invisible. Les chuchotements qui résonnaient dans son esprit se faisaient chaque jour plus distincts, comme si quelqu’un, ou quelque chose, s’adressait directement à lui depuis les ténèbres.
— Ce ne sont que… des effets secondaires, répétait-il à son équipe, d’une voix qui se brisait parfois. De simples distorsions de la réalité. Rien de plus.
Mais personne n’y croyait vraiment. Ses yeux rougis, ses gestes nerveux et son regard fuyant trahissaient une lutte intérieure qu’il perdait peu à peu. Ses nuits étaient peuplées de cauchemars si vifs qu’il se réveillait en sueur, persuadé qu’une silhouette l’observait depuis l’ombre de sa chambre. Le matin, ses mains tremblaient lorsqu’il tentait de tracer les schémas complexes, ses pensées dérivaient sans cesse vers ce vide oppressant qui semblait grandir autour d’eux.
L’équipe entière se désagrégeait sous l’influence invisible qui les assiégeait. Certains murmuraient seuls, comme s’ils dialoguaient avec une présence que les autres ne percevaient pas. D’autres griffonnaient frénétiquement des symboles incompréhensibles, les yeux écarquillés, obsédés par des formes qu’ils prétendaient voir flotter dans l’air. L’épuisement, la paranoïa, la méfiance s’infiltraient comme une contagion. Des disputes éclataient pour des détails insignifiants ; des cris résonnaient dans les couloirs la nuit sans qu’on ne sache jamais qui les avait poussés.
Jeff Davis, le plus rationnel de tous, commençait lui aussi à vaciller. Ses nuits n’étaient plus que des fragments disloqués de sommeil, hachés par des chuchotements qu’il jurait entendre jusque dans ses rêves. À plusieurs reprises, il s’était surpris à parler à voix basse, répondant à des phrases qu’aucun être humain n’avait prononcées. Quand il croisait son reflet dans les vitres du laboratoire, il avait parfois l’impression que ce n’était plus vraiment lui qui le regardait, mais quelque chose d’autre, tapi derrière ses propres traits.
La science ne suffisait plus. Le laboratoire, autrefois sanctuaire de savoir, était devenu une cage saturée de peur et de folie, où chaque souffle, chaque ombre, chaque silence s’épaississait comme une menace. Les voix ne chuchotaient plus seulement à leurs oreilles ; elles s’étaient immiscées dans leurs pensées, dans leur chair.
Ils n’étaient plus seuls depuis longtemps.
Le laboratoire, autrefois sanctuaire de découvertes et de promesses scientifiques, ressemblait désormais à une prison sans issue. L’air y était devenu plus lourd, saturé d’une moiteur étouffante qui collait à la peau comme une seconde chair. Les murs semblaient se rapprocher lentement, respirer presque, comme s’ils cherchaient à les avaler dans leur silence oppressant. Chaque pas résonnait d’un écho démesuré, chaque souffle arrachait à leurs poumons une sensation douloureuse, et le simple fait de rester debout se transformait en une lutte sourde contre une angoisse qui rampait en eux.
Ils tentaient de rationaliser. D’affirmer que ce malaise n’était que le prix de leurs manipulations hasardeuses, les effets collatéraux d’un savoir interdit qui avait fissuré le tissu même de la réalité. Mais au fond, chacun savait qu’il s’agissait d’autre chose. Une force plus ancienne, tapie derrière les voiles du monde, s’éveillait à travers leurs expériences. Elle s’insinuait dans les interstices de leur conscience, comme une ombre sourde et patiente, les observant à chaque instant.
Leurs pensées se heurtaient aux avertissements du Père Santiago, aux symboles gravés dans les manuscrits, aux récits anciens d’esprits ennemis de l’humanité. Des mots qu’ils avaient méprisés, balayés d’un revers de main en les traitant de superstitions archaïques. Mais dans le silence glacé du laboratoire, ces voix oubliées revenaient, plus présentes que jamais, et chaque syllabe résonnait désormais comme une malédiction accomplie.
La nuit s’abattit de nouveau sur le complexe, englobant les couloirs d’une obscurité presque vivante. Un froid mordant s’insinuait dans chaque recoin, et le moindre son — un frottement métallique, un souffle d’air déplacé — se muait en menace imminente. Derrière chaque ombre, derrière chaque cri étouffé, quelque chose veillait. Invisible mais palpable, elle s’approchait. La panique, d’abord un murmure intime, se grava dans les murs, contaminant chaque esprit.
Puis, soudain, un hurlement déchira le silence. Un technicien, isolé dans une salle adjacente, fut retrouvé projeté contre le verre de sécurité, son corps convulsant comme s’il était traversé par une marée invisible. Ses yeux, révulsés, semblaient fixer quelque chose derrière le voile de la réalité, quelque chose que personne d’autre ne voyait. Le verre vibra sous ses spasmes, ses mains ensanglantées cherchant désespérément à s’accrocher à une surface inexistante. Puis son corps s’affaissa brutalement, vidé de toute vie, comme si son âme elle-même avait été arrachée.
Un silence glacial s’abattit, brisé seulement par les respirations haletantes et les sanglots étouffés de ses collègues. L’événement n’était pas une erreur, ni un simple accident : c’était la confirmation qu’ils avaient réveillé ce qui n’aurait jamais dû sortir de l’ombre.
Paul Carginol, un collègue respecté, chercheur prometteur du niveau -2, disparut sans laisser de trace. À trente-cinq ans, brillant et méthodique, il avait toujours su garder son calme face aux découvertes de Kennywood. Ses collègues, plus jeunes comme plus expérimentés, trouvaient en lui un point d’ancrage rassurant, une voix de raison au cœur du tumulte. Mais cette nuit-là, après une session de travail interminable dans une aile reculée du laboratoire, il ne reparut jamais. Pas d’appel. Pas d’alerte. Rien.
L’absence pesa immédiatement sur le groupe comme une chape de plomb. Les lampes au néon clignotaient au-dessus de leurs têtes, projetant des ombres déformées sur les murs. Chacun se surprenait à retenir sa respiration, comme si le moindre souffle risquait d’attirer quelque chose tapi dans l’obscurité. Ils fouillèrent les couloirs, appelaient son nom, mais leurs voix se perdaient dans un silence anormal, absorbées par des murs trop épais, comme si le bâtiment lui-même avait cessé de leur appartenir.
Quand enfin ils retrouvèrent son carnet posé sur sa table de travail, ce ne fut pas un soulagement, mais un choc glacé. Le cahier n’était pas abandonné, il était placé, presque offert. Sa couverture, autrefois banale, dégorgeait d’une matière noire, mouvante, luisante, comme un organisme vivant. Elle palpitait doucement, réagissant aux vibrations de la pièce, comme si elle écoutait. Personne n’osa le toucher d’abord, mais la substance semblait attirer leurs doigts, tendre des filaments invisibles vers eux.
Quand le carnet s’ouvrit enfin, une bouffée glaciale parcourut l’air, s’insinuant dans leurs os. Les pages n’étaient plus que tâches obscures, noires et gluantes, qui semblaient avoir avalé l’écriture de Paul. Entre les strates d’encre corrompue, de nouveaux symboles apparaissaient : cercles imbriqués, lignes brisées, figures griffonnées avec une frénésie inhumaine. Certains jurèrent les avoir vus bouger, se reformer sous leurs yeux.
Un silence absolu suivit. Leurs regards se croisèrent, tremblants, et chacun comprit la vérité qu’aucun n’osa prononcer : Paul n’avait pas disparu. Il avait été pris, absorbé, remodelé par quelque chose qui dépassait l’entendement. Une entité sans nom, ancienne, affamée. Et pire encore, elle avait laissé une trace, une empreinte tangible dans ce monde. La matière noire n’était pas une relique, mais un messager. Elle respirait, elle attendait.
Les jours suivants, le laboratoire entier sembla contaminé. Les néons vacillaient plus souvent, projetant des éclats d’ombres mouvantes qui ne disparaissaient jamais vraiment. Chaque claquement de pas résonnait trop fort, comme amplifié par une gorge invisible. Dans les dortoirs, certains chercheurs se réveillaient en sursaut, jurant avoir entendu Paul chuchoter leur nom à l’oreille. L’air avait pris une densité étrange, saturé d’une odeur métallique et humide, comme si les murs suintaient quelque chose de vivant.
Plus personne n’osait travailler seul. Pourtant, Kennywood, loin d’être effrayé, se consumait d’une obsession dévorante. Là où ses collègues voyaient un avertissement, lui voyait une confirmation. Pour lui, la disparition de Carginol n’était pas une perte, mais une preuve. Un seuil avait été franchi, et derrière se cachait une vérité d’une puissance absolue. Qu’importe le prix, qu’importe la monstruosité tapie dans l’ombre : il voulait l’atteindre.
Et à mesure que son obsession grandissait, les autres comprirent, avec une terreur glaciale, que ce n’était peut-être pas seulement Paul qui avait été changé. Quelque chose s’infiltrait déjà dans leurs esprits, et l’entité invisible qui avait pris Carginol ne se contenterait pas d’un seul corps.
L’équipe, elle, était partagée. Une crainte sourde les tenait prisonniers. Pourtant, ils prirent une sage décision : celle de quitter le laboratoire, s’éloigner de cette zone maudite. Mais pour James Kennywood ce savant fou, ce n’était pas une fuite, pas tout à fait. Ils choisiraient un autre lieu, un complexe encore plus isolé, pourquoi pas au cœur des forêts denses du nord du Brésil ou en Alaska, là où les yeux du monde ne les trouveraient pas. Ce serait leur refuge, l’endroit où ils pourraient poursuivre leurs recherches, à l’abri des regards… et des murmures qui les hantaient.
Au fond d’eux, une pensée persistait. Une intuition. Quelque chose d’encore plus grand, plus ancien, les observait. Peut-être étaient-ils déjà allés trop loin. Peut-être que ce qu’ils avaient réveillé n’était pas destiné à être compris, mais à être… ignoré. Une nuit, alors qu'ils préparaient leur départ précipité, un bruit sourd fit vibrer les murs du laboratoire. L’air s’électrisa d’une tension lourde, et un frisson glacé leur parcourut la peau. Un grondement bas, comme un avertissement de la forêt environnante, fit écho dans le silence oppressant. Les yeux se tournèrent instinctivement vers la porte.
— Qu’est-ce que c’était ? murmura Selina, sa voix étranglée par la peur, tandis que ses doigts se crispaient sur la poignée, ses yeux fixés sur l’obscurité au-delà.
Kennywood, pourtant implacable dans sa quête, ressentit une appréhension qu’il n’avait pas prévue. Un frisson glacial s’insinua sous sa peau.
— C’est probablement juste un animal, tenta-t-il de rassurer tout le monde, mais ses mots resonnaient dans le vide, perdus dans l’écho des bruits qui persistaient. Quelque chose n’allait pas.
Les grondements se poursuivirent, croissant en intensité, comme un murmure lugubre, une voix ancienne qui semblait surgir des profondeurs du sol. Une présence… les observait. Ils avaient ouvert une porte qu’il serait impossible de refermer.
L’angoisse montait, sourde, écrasante. Chaque seconde étirait l’espace autour d’eux comme une toile prête à se déchirer. Ils savaient qu’il ne restait plus d’alternatives. Alors, dans un silence pesant, ils scellèrent leur décision : rassembler les manuscrits, les données, tout ce qui pouvait contenir la vérité, puis réduire le laboratoire en cendres à l’aide d’explosifs savamment placés.
Le plan était simple, presque désespéré : tout effacer. Tout détruire. Mais, au fond d’eux, une voix muette susurrait que cette destruction ne serait pas une fin… seulement une ouverture, béante, vers quelque chose de plus vaste.
Descendant une dernière fois au niveau le plus profond, ils passèrent devant les cages où les probantes restaient figées. Ces créatures, ni tout à fait humaines ni totalement mortes, fixaient le vide de leurs yeux déformés. Leurs corps tordus, meurtris par les mutations, semblaient attendre, comme si elles pressentaient la fin. L’air était saturé d’une tension électrique, presque métallique. Chaque pas résonnait comme une faute.
Les charges furent placées avec une précision chirurgicale. Chaque clic, chaque verrou enclenché sonnait comme une sentence. Pourtant, leurs mains tremblaient. Le doute s’immisçait, venimeux : et si, en détruisant, ils libéraient ce qu’ils tentaient d’enfermer ?
Le compte à rebours se déclencha. Le tic-tac régulier résonna dans les murs, battement macabre qui se mêlait à leurs respirations hachées. Dans les cellules, les sujets d’étude se mirent à gémir, certains frappant faiblement les vitres, comme s’ils pressentaient l’imminence. Puis, au milieu du silence, un bruit… d’abord discret, comme un souffle. Puis un cri étranglé, étouffé par les ténèbres. Quelque chose bougeait.
Ils n’attendirent pas davantage. Ils quittèrent le complexe, gravissant les couloirs comme des fuyards traqués par l’ombre. À l’extérieur, l’air glacé de la nuit sembla un instant les libérer. La route s’ouvrait devant eux, vers la chaîne des Drakensberg, vers la promesse illusoire de la liberté.
Mais à mesure que le véhicule s’enfonçait dans la forêt, l’atmosphère se chargeait d’un malaise insidieux. Les arbres se resserraient autour d’eux, silhouettes noires oscillant comme des spectres muets. L’air devint plus lourd, imprégné d’une odeur de cendre et de fer. Chaque virage resserrait l’étau invisible, jusqu’à leur donner la sensation d’étouffer.
Kennywood, crispé au volant, jeta un regard inquiet vers les ombres entre les troncs. Quelque chose les suivait. Quelque chose rampait, silencieux, glissant d’un arbre à l’autre.
Puis, un cri. Sec, déchirant, arraché à la nuit. Et le silence.
La détonation retentit derrière eux. La terre vibra comme un monstre réveillé, et l’horizon s’embrasa dans un souffle titanesque. Mais au même instant, une secousse jaillit sous leurs roues. Le sol se souleva, leur véhicule bascula, projeté hors de la route, aspiré dans l’obscurité de la forêt.
Là, dans les ténèbres, ils la virent enfin. L’ombre. Gigantesque. Déliée de ses chaînes. Elle avançait lentement, avec la patience d’un prédateur certain de sa proie. Et dans ce silence suspendu, une certitude glaça leurs cœurs :
Le laboratoire avait explosé. Mais le véritable cauchemar… ne faisait que commencer.
Annotations
Versions