Chapitre 31 : Le Sceau des ombres

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Pauline s’arracha à son sommeil avec un cri étranglé. Sa poitrine se soulevait par à-coups, son souffle brûlant comme si elle avait couru des heures. Ses draps étaient trempés de sueur, collés à sa peau, et la chambre obscure semblait vibrer encore des échos de son cauchemar.

Elle porta ses mains à son visage, cherchant à se convaincre qu’elle était bien éveillée, mais l’image persistait : ces silhouettes sans visage, ce cercle de flammes, et cette couronne d’ombres qu’on avait déposée sur son front.

Elle ferma les yeux un instant, mais une sensation glaciale remonta le long de son échine : la couronne était toujours là, invisible, comme gravée dans sa chair.

Un souffle ténu s’éleva alors, presque inaudible, comme si quelqu’un chuchotait à son oreille. Elle sursauta, scrutant la pièce plongée dans la pénombre. Rien que le clapotis d’une goutte d’eau tombant du toit et l’ombre des poutres.

Pourtant, la voix résonnait encore dans son esprit :

Tu es l’élue…

Pauline se recroquevilla, le cœur battant à tout rompre. Était-ce simplement le reste de son rêve, ou quelque chose l’avait-il suivie dans le monde éveillé ?

  • Que s’est-il passé ? balbutia-t-elle
  • Tu as eu un malaise, mentit-il. Tiens bois un peu d’eau fraiche, ca va te faire du bien.

Ses yeux tombèrent alors sur sa paume fermée. Elle ouvrit lentement les doigts : une pierre noire luisait faiblement à la lueur de la lune, lisse et polie. Comme si elle respirait. Elle brillait d’une lueur étrange, presque hypnotique.

— C’est un artefact que j’ai obtenu lors d’une cérémonie avec les Indiens initiés de mon village. On dit qu’il porte bonheur à celui qui le possède. J’ai tout de suite pensée à toi au vu de tout ce qu’il vient de se passer.

Pauline lui tendit la pierre, tout en fixant le sourire toujours figé sur le visage de Jeff, au fond de ses yeux, Pauline percevait une lueur sombre, un éclat qui ne lui était pas étranger. Elle se rappela les histoires que Selina Rochard lui avait comté, ces récits troublants sur la magie noire que Jeff et certains Indiens auraient pratiqué. Selina connaissait Jeff Davis depuis plus de deux décennies, elle lui avait confié ces détails terrifiants, comment Jeff et les Indiens parlaient de sacrifices, d’invocations de puissances obscures, des forces qu’on aurait dû laisser endormies. À ce moment précis, alors que son esprit reliait enfin ces fragments d’histoire, quelque chose la frappa avec une clarté glaçante.

Ce n’était pas seulement le fait que Jeff ait été associé à des pratiques sombres... Ce que Selina lui avait révélé allait bien au-delà des simples rumeurs. Ils avaient découvert quelque chose lors de leur expédition en Afrique du Sud. Un savoir ancien que Jeff avait partagé avec les villageois de Munduruku, Il incarnait une magie noire, si vieille et impitoyable que même les rumeurs du village n’étaient que des échos de cette horreur. Cette magie-là, cachée dans les profondeurs de l’ombre, semblait bien plus terrifiante que tout ce qu’elle avait imaginé jusqu’alors...

— Pourquoi veux-tu que j’ai cette pierre, Jeff ? demanda-t-elle, la voix légèrement affolée en se redressant de sa couche.

Une partie d'elle voulait s'emparer de la pierre comme attirée, mais l’autre, plus sage, l'alertait des conséquences. Jeff ne répondit pas immédiatement, les yeux fixés sur elle d’une manière qui semblait plus avide que protectrice.

— Parce que je veux que tu réussisses. Je veux que tu sois heureuse, parce que je t’aime comme ma propre fille, Pauline. Je sais surtout ce que tes parents t’ont fait lorsque tu n’étais qu’un bébé. Ceci te protègera !

Il replaça la pierre noire dans sa paume, puis ferma un à un les doigts de Pauline.

— Elle te protégera, comme tes parents l’auraient voulu.

Pauline serra l’artefact glacée par les paroles qu’elle venait d’entendre. Était-ce un fardeau ou un héritage ? Elle n’en savait rien.

  • Qu’est-ce que tu entends par là ? insista-t-elle, plus fort cette fois, les sourcils froncés, la gorge serrée.

Son cœur battait à tout rompre, une tempête de questions éclatait dans son esprit. Pourquoi n’avait-elle jamais su ? Pourquoi ces mots lui donnaient-ils l’impression de marcher sur un sol qui s’effritait sous ses pieds ? Une peur viscérale s’empara d’elle, mêlée à une certitude étrange : ce qu’elle allait entendre changerait tout

Mais ce qu’elle ne savait pas, c’est que lorsque Jeff pensait à ses parents, c’était avec une jalousie sourde, un ressentiment déguisé en admiration. En réalité, derrière ses compliments, il y avait une amertume palpable, une rancœur enfouie. Ses parents, des chercheurs acclamés, avaient toujours été au centre des attentions, tandis que Jeff restait dans l’ombre, négligé et méconnu. Leurs succès avaient toujours été comme une épine dans son cœur.

Et pourtant, face à Pauline, ce n’était pas cette jalousie qui transparaissait, mais un mélange d’affection sincère et de culpabilité.

— S’il te plait Jeff, parle-moi, supplia-t-elle.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? répéta Pauline, son regard accroché au sien, comme pour chercher une vérité qu’il refusait encore de lui donner.

Il déglutit, ses doigts pressant nerveusement les mains de Pauline.

— Tes parents n’étaient pas seulement des chercheurs, Pauline. Ils... ils ont fait des choix. Des choix que je n’ai pas toujours compris... ni approuvés sur le moment. Mais cela ne change rien : ils voulaient te protéger. Tout comme moi maintenant.

Elle fronça les sourcils, saisissant l’amulette du bout des doigts comme pour la regarder de plus prêt. Un frisson la parcourut à son contact, comme si quelque chose d’ancien et de vivant s’y cachait.

— De quoi parles-tu ? Quels choix ?

Jeff détourna le regard, incapable de soutenir ses yeux qui brûlaient de questions.

— Ils ont… ils ont changé quelque chose en toi, Pauline. Pour te rendre unique. Différente. Pour faire de toi... quelque chose qui leur survivrait.

Ces mots, si lourds et incompréhensibles, résonnèrent en elle comme une onde de choc. Son cœur se serra, chaque pulsation devenant plus douloureuse. Elle recula d’un pas, l’artefact tremblant dans sa paume.

— Tu mens, murmura-t-elle, mais sa voix manquait de force, comme si une partie d’elle savait déjà qu’il disait la vérité.

Jeff leva une main hésitante, comme pour apaiser une tempête qu’il avait lui-même déclenchée.

— Je ne mens pas, Pauline. Tu dois comprendre… tu n’es pas comme les autres. Tu es l’élue des ombres, c’est pour ça que tout ce que je fais, c’est pour toi.

La pièce semblait se resserrer autour d’elle. Le souffle court, Pauline chercha désespérément une issue, une explication, mais il n’y avait que Jeff, son visage tendu et ces mots qui tournaient dans sa tête, implacables : « Tu n’es pas comme les autres, tu dois l’accepter. »

— Tu sais, continua-t-il, le sourire légèrement figé, ta réussite, ta carrière… tout cela me fait penser à ce que tes parents auraient voulu pour toi. Ils ont toujours cru en toi. Mais ils ne savaient pas tout…

Il laissa sa phrase en suspens, un frisson parcourut le long du dos de Pauline.

— Je suis sûr que ce porte-bonheur t’apportera la force de continuer peut-être leurs travaux, de réaliser ce qu’ils n’ont pas pu accomplir. Garde-le, je t’en prie.

Le ton de Jeff se fit plus insistant, presque désespéré, une angoisse sourde envahit Pauline. Elle devina qu’il voulait la lier à quelque chose, mais ne parvenait pas à comprendre à quoi. Alors elle lui fit confiance car pour elle, il était bien plus qu’un ami, elle l’aimait comme un père, une figure paternelle qui lui avait tant manqué, s’étant attachée à lui au décès de ses parents.

Malheureusement la vérité était bien plus sombre. La pierre était bien plus qu’un simple artefact ; elle était une promesse, mais aussi un piège. La jalousie de Jeff pour ses parents et son désir de la manipuler prenaient une dimension effrayante.

Pauline sentait que ce qui avait commencé comme une simple visite de courtoisie risquait de la mener sur un chemin qu'elle ne pouvait pas encore envisager. L’atmosphère de la pièce devenait oppressante, chargée d'une énergie sombre qui semblait s'infiltrer dans ses pensées. Elle s’approcha de lui, la pierre dans la main, son regard se figeant instantanément sur sa surface. Quelque chose sur celle-ci semblait la retenir, comme si une force invisible l'enveloppait. Son cœur battait plus vite, ses doigts se crispant autour de l'objet froid. Pendant un instant, elle resta immobile, les yeux fixés sur l’artefact, comme hypnotisée, incapable de détourner son attention.

Puis, brusquement, elle cligna des yeux, reprenant conscience. La pierre toujours fermement serrée dans sa main, elle fit un pas en arrière, prête à fuir. Mais au dernier moment, quelque chose la fit hésiter. Son souffle s’accéléra, une tension étrange lui nouant la gorge. Ses lèvres tremblèrent tandis qu’elle murmurait, contre toute raison, d’une voix rauque :

— Merci, mais je ne peux pas. Je dois y réfléchir, dit-elle d’une voix légèrement tremblante, trahissant son hésitation, tout en gardant l’amulette dans ses mains.

Mais au petit matin, sans comprendre pourquoi, la jeune femme s’éclipsa de la maison avec l’artefact. Jeff la fixait de loin en silence, souriant malgré lui, son regard perçant presque implacable. Des ombres dans la pièce semblaient se mouvoir et se rapprocher d’elle, comme si la magie qu’il avait évoquée s’étirait pour la capturer. La densité de la pierre dans la paume de Pauline était étrange, presque vivante, elle pouvait ressentir son pouvoir, sa chaleur subtil mais inéluctable.

Elle marqua un temps d’arrêt, ses doigts, toujours serrés autour de l’artefact. Ses doutes se faisaient de plus en plus forts, et pourtant, il y avait toujours cette autre partie d’elle, celle que ses parents avaient façonnée dès sa naissance, semblait être attirée par ce caillou si unique. Un frisson parcourut dans tout son corps. Jeff, malgré ses actions obscures, lui avait toujours été proche. Peut-être que tout ceci n'était qu'une épreuve, une manière de lui montrer ce qu’elle devait accepter, et puis elle avait échappé à bien pire, peut-être était-ce un nouveau défi à affronter.

Le souvenir de ses parents lui revint en mémoire. Ils avaient joué un rôle crucial dans sa transformation, tout ça pour qu’elle soit capable de comprendre et d’accepter ce genre de choix. Et maintenant, devant cet artefact, elle sentait qu'elle ne pouvait plus fuir ce destin. Peut-être que cette pierre détenait les preuves qu’elle cherchait depuis si longtemps, les réponses sur qui elle était vraiment et pourquoi elle avait été choisie.

— D'accord, dit-elle pour elle-même, je l'accepte.

Elle regarda encore la pierre dans sa main qui semblait luire d’une clarté maléfique, comme si elle réagissait à sa décision. Pauline comprit en quittant Jeff, qu’il n’y avait plus de retour en arrière possible. Malgré ses doutes, elle venait d'accepter un fardeau bien plus lourd que ce qu’elle aurait pu imaginer.

Dans l’ombre de la hutte, le Père Santiago attendait, silencieux. Jeff se tourna vers lui.

  • Tu voyageras avec elle. Tu veilleras à ce que personne ne découvre ce qui a été fait.

Santiago inclina la tête et répondit :

  • Elle ignore encore tout de son rôle. Mais le jour viendra où elle ne pourra plus fuir.

Épuisée, le regard encore hanté par l’éclat de son cauchemar, Pauline serra la pierre contre son cœur, incapable de dire si elle tenait une arme, une malédiction… ou le sceau de son destin.

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