L’épidémie avait eu raison du personnel de la société HT Security, mais pas seulement. Entassés dans le gymnase, ils en avaient précipité l’efficacité. Les quelque quatre cents salariés, avaient été contaminés par la grippe porcine. Laissé en quarantaine dans le gymnase quelques jours pour éviter toute propagation extérieure, ils avaient finir par guérir. Mais ils avaient été libérés trop tôt, ce qui avait facilité la propagation du virus à toutes les sphères des connectés. Le plus atteint d’entre eux, restait sans conteste Karl Lansfield, le PDG de l’entreprise. Il avait passé plusieurs jours dans le coma. Il sortait tout juste de l’hôpital.

 En revanche, la matrice de pensée n’avait pas résisté à cette attaque aussi violente que massive. Désormais, les connectés devaient réapprendre à vivre sans elle, ce qui avait créé de nombreux désordres. La privation et l’état de manque, avaient ravivé certaines agressivités. L’incidence économique était aussi très importante. De nombreuses sociétés, qui vivaient grâce à l’intelligence artificielle, se retrouvaient désormais en difficultés financières. Mais ce n’était rien, face aux remous politiques, qui allaient entacher presque tous les partis, ajoutant à l’instabilité ambiante. Quant au coupable, il avait fini par être identifié.

 Trois semaines après l’événement, la police retrouva le corps inanimé de Paul Kramer. Il avait garé sa voiture sur une petite route perdue dans la montagne. D’après l’autopsie, le décès était dû à une overdose. Il avait laissé une longue lettre, dans laquelle il expliquait son geste. Il ne supportait plus les disparités sociales, qui se trouvaient exacerbées depuis l’omniprésence de la matrice de pensée. Dans sa lettre, il dénonçait surtout un bon nombre d’intrigues politiques et de scandales financiers, qui n’étaient jamais apparus au grand jour. Il dessinait les travers d’une information filtrée, sous la férule du Grand Conseil, du Cercle des Érudits et de celle des Gardiens. Ensemble ils avaient tout fait pour donner l’illusion d’une société idéale. Personne n’était épargné par sa plume. Il dénonçait de la même façon, les exactions commises par Simon Roddy le gourou de la secte Pure Human. Il décrivait par le menu, les phobies irrationnelles de son ex-compagnon d’armes Karl Lansfield, dont il ne supportait plus les comportements excessifs.

 Enfin, il expliquait avoir conçu le virus Samfix pour tenter d’atteindre la matrice. Il revendiquait également la conception du virus Liberty, déclarant l’avoir diffusé dans le bureau de Lansfield et dans l’ensemble des locaux de sa société, en utilisant le système de ventilation pour s’assurer d’une contamination efficace. Il terminait son texte, et justifiait son geste, comme « un acte pour rendre mémoire et justice à toutes les victimes directes et indirectes de la matrice de pensée ».

 Tous les médias s’étaient emparés de l’affaire, décortiquant sa lettre, cherchant à comprendre d’éventuels motifs cachés qui auraient pu l’amener à ce geste fatidique. Personne n’avait la moindre réponse.

 Il y avait au moins un homme qui en connaissait l’origine et quelques motifs, mais il se garda bien d’en faire état. Il avait mieux à faire. Tenter de reconstruire sa vie était devenu sa priorité. Toutefois, par sentiment de culpabilité peut-être, ou pour rendre hommage à Paul Kramer, il écrivit aux médias sous lettre anonyme pour leur délivrer des informations qu’il avait en sa possession. Son témoignage eut l’effet d’une bombe à retardement, lorsqu’il révéla que le Cercle des initiés, ceux qui avaient créé le code source de la matrice, l’avait programmée dès le début, pour que toute information compromettante ne voit jamais le jour.