Elle est morte

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J’ai essayé. Promis, j’ai fait de mon mieux. Mais à mesure que je composais, que les mots se déchaînaient, que les phrases s’enchaînaient, je me sentais comme enchaîné. Un vers écrit, et aussitôt effacé. Comme si ma muse refusait que je le dise ainsi. Triste période de ma vie où l’inspiration était insipide, où aucune phrase n’était limpide. A cause de cela, moi aussi, j’ai fini par regretter. J’ai regretté de m’être mis à écrire, et ma muse regretta que je sois devenu celui qui écrit. Elle détestait que je sois devenu celui dont elle aspirait à être l’inspiration. Il est vrai que je n’ai jamais été fameux. Que dans le monde alphabétique, aucune lettre ne me connaissait. Aucune encre n’avait entendu parler de ma plume. Aucune feuille n’avait entendu parler de mes écueils syllabiques. Et aucun récit n’était au courant de mon personnage tragique. Alors j’ai regretté son regret, et elle regretta mes regrets. Et l’effervescence de son regard n’était plus.

— À qui parles-tu ? questionna ma muse.
— A qui ? fis-je. À ceux qui me lisent.
— Donc à personne.
— Si.
— Personne n’est capable de lire ce qui n’a jamais été déposé sur une feuille.
— Si. Ceux qui lisent pour de vrai. Ceux qui font d’une page blanche un miroir. Ceux qui ne lisent pas les phrases, mais les interlignes. Ceux qui lisent en fermant les yeux. Ceux qui lisent comme lisent les illettrés.
— C’est-à-dire ceux qui ne lisent pas ? questionna encore ma muse.
— Non. Je parle de ceux qui lisent ce que tu n’as pas insufflé de ta malédiction.
— Et pourquoi tu écris en faisant appel à moi si tu me détestes ?
— Parce que j’ai cru à ton mythe. Mais maintenant, je sais. Pour réécrire, tu dois mourir. Alors je t’en prie. Ma muse. Cela me rend nerveux de te voir en si bonne santé, à vrai dire, je suis si triste de te voir si heureuse. Si seulement tu pouvais souffrir, juste pour rire, te taire éternellement sans me trahir, pour me faire jouir du plaisir de te voir mourir. On a vécu malheureusement loin des autres, dans les sentiers de l’amour, on a aimé détruire pour mieux reconstruire. Mais on a mal fait, de mes méfaits tu t’es méfiée, je t’ai plantée, et toi, tu as aimé, vu en cela une épreuve de l’amour issue d’une preuve d’amour. Je t’ai haïe, certes, de ton inertie, mais c’était pour mieux t’aimer, pour mieux te détruire, pour mieux reconstruire, pour mieux jouir. Je t’en supplie, je ne te demande que de mourir, car on sera heureux pour l’éternité après. Je te redonnerai vie. S’il te plaît, meurs et reviens. Meurs et revis, souffre et jouis, détruis et reconstruis, déteste et apprécie, sois mauvaise et bonne, maudis-moi et aime-moi. Je t’en supplie, sois tout, moi je me contenterai d’être rien. Sois nous, je me contenterai d’être les autres. Sois, et je me contenterai de n’être plus. Alors, meurs une première fois, et vivons éternellement dans l’au-delà. Je te promets, je te rejoindrai, après ta souffrance, après cette vie d’errance. Il ne subsistera que notre amour, sanglant et joyeux, éphémère et immortel, nous serons unis jusqu’à ce que le sablier de l’éternité cesse de s’écouler.
— Tu promets ?
— Promesse d’écrivain.

Qu’elle a souffert, ma muse. J’avais besoin d’elle. Mais elle, non. Elle m’insufflait les beaux mots tandis que je lui crachais les vilains mots. Je voulais écrire pour me soulager. Je n’ai récolté que le destin d’un homme saoul, âgé et au mauvais sort. J’avais besoin d’écrire. Je voulais écrire. Alors je crus savoir écrire. Mais mon écriture n’était qu’une suite de mots dénués de sens, et pleins de sang, de celle qui, en son sein, abreuvait de ses seins mes mines d’encre. Je l’ai tuée. À coups de plume. Giclant cette encre sur ses feuilles. Je l’ai tuée. D’un coup de mine, et elle gicla loin de ma lanterne. Elle s’est tuée, loin de moi, à coups de vilains mots. Je l’aimais. Elle me réconfortait. Elle me supportait. Je la câlinais. Elle me souriait. Je l’ai frappée et l’écriture l’a tuée. Je l’ai tuée, ma muse. Pour mieux réécrire.

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