Le premier contact

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L'affaire n'obnubilant pas à l'époque toutes mes pensées en chaque instant, je me dois de faire ici l'usage d'une ellipse afin de rester concentré sur le sujet qui nous intéresse. Ne m'en veuillez pas.
Or donc, un certain temps passa sans que je n'aperçoive le moindre changement, que ce soit dans notre classe ou dans mon quotidien. Seul Raymond paraissait avoir été réellement affecté par l'arrivée du nouvel élève. Désormais, le nom d'Eugènie revenait constamment dans nos conversation et Raymond évoquait souvent ses plans pour s'en approcher. J'y prêtai l'oreille sans trop d'attention et j'oubliai ses divagations l'instant qui suivait.
Mais l'affaire prit une tournure plus importante le premier lundi qui suivait l'arrivée du nouveau. Moi et Raymond ne nous étions pas vu durant le week-end, et j'avais divisé mes deux jours de repos entre étude et jeux vidéos. D'où il ressort que ce lundi matin j'étais personnellement dans un état mental assez calamiteux, les yeux encore tout brouillés de fatigue, et la tête bourrée d'images de jeu vidéo et de mes cours qui s'entrechoquaient dans un fracas qui ôterait le sommeil à une marmotte.
Ce matin là, je vis arriver Raymond, et tout dans sa physionomie me laissait présager qu'il mourait d'envie de me raconter quelque chose. Autant son sourire infâme qu'il réprimait tant bien que mal que ses yeux flamboyants qui paraissaient lorgner le monde comme un chat affamé confirmaient mes soupçons. Aussi lorsqu'il fut près de moi, je lui lançais de façon assez sardonique, je dois bien le dire:
- "Je t'épargne les salutations inutiles. Allez, racontes moi, puisque tu en meurs d'envie.
- J'ai pu lui rendre visite ce week-end. Ah ah! C'est génial.
- Vraiment? Mais comment ce fait-ce? Il t'a laissé entrer chez lui alors qu'il ne te connaissait pas, ou à peine?
- Enfin Jérémie! N'as tu donc rien écouté vendredi soir quand je t'ai exposé en long en large et en travers le plan parfait que j'ai imaginé pour m'approcher de lui?
- Quelques détails ont pu échapper à mon oreille alerte. Quelques détails comme… l'existence de la chose.
- Tu as de la chance que je sois de bonne humeur, sans quoi je pourrais croire que tu ne te sens pas du tout concerné par mes projets. Mais bref. Comme je te l'ai déjà maintes fois expliqué, j'ai intrigué vigoureusement pour être, dans notre classe, le seul à être désigné pour aller chez lui l'aider à rattraper les cours qu'il a manqué. C'est avec dépit que les délégués de la classe m'ont relégué ce fardeau qui n'en est pas un pour moi. J'ai donc le devoir d'aller lui rendre visite et de l'aider à faire le point sur les cours qu'il a manqué, vérifier les leçons qu'il a déjà faites, et lui passer mon cours s'il en a besoin, sans oublier de l'aider s'il a du mal à comprendre le cours.
- Palsambleu. Je suis ébloui par ton ingéniosité." Dis-je d'un ton peu convaincant. "Et donc?
- Et donc, j'y suis allé ce samedi. Il était chez lui et…"
Mais à ce moment là, comme on peut s'y attendre, nous fûmes bien évidemment interrompus par la sonnerie, rappel cuisant qu'il nous faudrait une fois encore nous livrer à quelque marathon pour ne pas arriver en retard en cours.
Là encore je me permets de passer sous ellipse les événements de la matinée étant donné que, malgré l'intérêt certain des cours, cela ne concerne pas notre histoire.
C'est donc à la pause de midi, où par la grâce d'un emploi du temps mal fichu nous avions deux heures de pause, que Raymond eut tout le temps nécessaire pour poursuivre son récit.
À mon grand dam.
- "Le délégué m'avait donné l'adresse précise. C'était un appartement dans un immeuble assez cossu. Étant entré dans l'immeuble à un moment où la porte était ouverte, je sonnai à la porte sur laquelle était inscrit le nom de Grandet sans m'être annoncé préalablement. J'avais pris soin d'affecter ma mine la plus respectable, pour faire une bonne première impression. J'arborais un air sérieux mais souriant. Le genre qui généralement charme les parents.
Pourtant, je fus agréablement surpris en voyant que c'était Eugènie lui même qui m'ouvrait la porte. Il avait l'air légèrement surpris, et partiellement endormi. Il entrouvrit la porte et me regarda avec curiosité. Je remarquai immédiatement qu'il portait un joli kigurumi avec la capuche rabattue sur sa tête. Il était trop mignon."
À ce moment, je me permis d'interrompre Raymond.
- "Il portait un quoi?
- Un kigurumi.
- Euh… Ça n'a rien à voir avec les kangourous je suppose?
- Tu ne sais pas ce qu'est un kigurumi! Mais si voyons! C'est ces genre de pyjamas en forme d'animal comme un panda, un chien, une licorne. Et ça peut faire aussi office de déguisement.
- C'est les machins avec des oreilles sur la capuche?
- C'est ça."
Je me mordais les lèvres.
- "C'est d'un goût…" fis-je.
- "Mais en bref, il portait un kigurumi d'ours brun. Pourtant il n'avait pas l'air tellement gêné que je le voie comme ça. En fait, c'était plutôt comme si il était trop endormi pour ça. Et puis, tu sais comme quelqu'un peut être bien plus confiant et sans gêne quand il est chez lui. Tel l'ours dans son antre.
Mais bref. Après une seconde d'hésitation, je lui faisais mon plus beau sourire et disais:
- Bonjour. Je suis Raymond. Je viens t'aider à rattraper les cours.
Et au passage je lui montrais mon cartable pour que les choses soient bien claires. Puis il répondit:
- Ah… bon… Et bien… rentre alors, fais comme chez toi.
Et à ces mots il m'ouvrit grand la porte.
J'entrais consciencieusement, en observant tout autour de moi. Le moindre indice permettant de mieux cerner sa personnalité et celle de sa famille était absolument vital. La première chose qui attira vraiment mon attention était un crucifix accroché au dessus d'une porte au bout du couloir. Indice non négligeable donc.
Immédiatement, Eugènie, très civil, m'exposa chaque pièce.
- La première porte à gauche ici c'est ma chambre. Si tu dois aller aux toilettes, c'est juste à côté, et la salle de bain c'est au fond du couloir. Euh… là c'est le bureau… là c'est la chambre de mes parents. À droite il y a la cuisine et le salon…
J'entendis alors une voix s'élever dont je n'identifiais pas la provenance et qui cria:
- Alors! C'est qui!
Et Eugènie s'empressa de répondre:
- C'est un camarade de classe qui vient pour le rattrapage.
- Ah! D'accord. Faites pas trop de bruit.
Eugènie se tourna vers moi.
- C'est mes parents qui font la sieste. Évitons de les déranger.
Un peu gêné, je demandai:
- Est ce que je t'ai réveillé?
- Oh non, moi je… hem. Je faisais rien de particulier.
Il parut soudain réaliser quelque chose.
- Hem. Tu peux attendre ici un moment? Il faut juste que… j'aille ranger certains trucs dans ma chambre pour pas que ça soit trop… un capharnaüm. Ça ne te dérange pas?
- Non, bien sûr.
- Attends moi, je serai pas long. Fais comme chez toi!
Et à ce moment là je le vis filer dans sa chambre à toute vitesse. Une fois seul, je décidais d'en profiter pour explorer un peu l'endroit, à la recherche d'indices sur sa personnalité. Dans le couloir, il y avait une petite bibliothèque sur laquelle je ne vis que des livres classiques. Une certaine collection d'Agatha Christies, les mémoires de Casanova, plusieurs livres scientifiques dont je ne comprenais même pas le titre, ainsi que des livres de cuisine. Je déglutis en voyant une bible, et aussi le coran, et un livre que je soupçonne être le kamasutra.
En passant devant le bureau, je jetai un coup d'œil dans la pièce. C'était en fait tout sauf un bureau, mais peut être m'avait il simplement exposé la fonction théorique de cette pièce. J'y voyais un capharnaüm de matériel et d'outils de bricolages entassés dans un coin. Au fond, il y avait un meuble sur lequel était posée une enceinte et à côté je vis des boîtes de disque dont les titres ne me disaient rien, mais je retenais les noms Powerwolf et Manowar. Je ne savais pas ce que c'était. En tout cas, le reste de la salle servait visiblement de penderie. Je voyais une multitude de robes aux couleurs affriolantes. Mais je ne poussais pas pour autant mon analyse.
Je me retournai vers le salon. Salle sobre avec un balcon. Il y avait, au centre de la pièce, une table couverte de papiers avec, trônant en son centre, un ordinateur portable.
Du reste, il y avait un fauteuil et une table basse. Simple et de bon goût. Sur cette table basse il y avait un livre ouvert, mais alors que je m'approchai pour voir ce que c'était, Eugènie surgit derrière moi et m'interpella sur un ton sarcastique.
- Je vois que tu visites!
Avant même que j'aie pu me retourner, il passait devant moi. J'ai eu l'impression à ce moment là qu'il voulait m'empêcher de regarder ce livre. Toujours est il qu'il m'a souri avant de dire qu'il était prêt pour qu'on aille dans sa chambre.
Comme tu t'en doute, moi, je tremblais presque d'excitation. Au moment d'entrer dans sa chambre, il parut hésiter. Puis finalement il ouvrit la porte et entra. Je le suivis et je vis…
Procédons par ordre. La première chose que je remarquai c'était les bibliothèques. Il y en avait deux, colossales. Au fond de sa chambre, une bibliothèque était pleine à craquer de bandes dessinées. Hélas, je n'ai pas pu les identifier. En revanche, l'autre bibliothèque, je passais à côté et je pus identifier à mon grand étonnement parmi de nombreux romans certain titres parmi les plus grands classiques de la science fiction ou de l'heroic fantasy. Il y avait là le cycle des princes démons, le cycle de Tschaï et Cugel l'astucieux de Jack Vance; l'ensemble de la série du trône de fer, les chevaliers d'émeraude, les annales du disque monde, les romans de R.A Salvatore, toute la série de La Fin des Temps; ainsi que d'autres livres moins connus mais tout aussi incontournables comme Les Aventuriers du Foedel 20184, Le royaume de Mordeffroi, Les courants du mal, et même l'intégrale de Sang et Fumée.*
En bref il y avait là des livres qui dénotaient d'un certain goût auquel je ne m'attendais pas de sa part. Il y avait aussi des livres de donjons et dragons et autres babioles de rôlistes que je ne reconnaissais pas très bien. En voyant l'attention que j'y portai, il parut en être embarrassé et s'excusa pour son désordre.
- Ne fais pas attention à ça. Je n'ai pas eu le temps de faire le ménage depuis qu'on a emménagé.
- Oh ce n'est rien. J'étais intéressé par tes livres.
Je regardai en vitesse le reste de la pièce. Tu sais comme je peux être observateur si j'ai une bonne raison de l'être. À gauche de l'entrée, il y avait son lit, mais il était recouvert par une couverture de lit grise. Toutefois, je distinguais dans ce qui dépassait qu'il avait une housse de couette rose avec un personnage dessiné dessus, mais impossible d'en savoir plus. Je constatai aussi qu'il y avait des trous dans le mur au dessus du lit. Sans doute des punaises. Il devait donc y avoir un poster à cet endroit peu de temps avant, et je soupçonnais Eugènie de l'avoir caché au moment où il était soi disant allé ranger sa chambre. Je me demande ce que ça pouvait bien être, mais s'il l'a caché, alors il devait avoir une bonne raison.
Au bout de la chambre, il y avait une table avec un ordinateur et des cahiers étalés en désordre. Et, note comme je suis observateur, il y avait sous le meuble un tiroir verrouillé. Ce qui a attiré mon attention, c'est que normalement dans ces cas là, la plupart des gens laissent la clé non loin du tiroir, mais ce n'était pas le cas. Je n'ai pas vu la clé, ni sur la serrure, ni sur le bureau.
Enfin, je remarquais au fond de la chambre une porte qui menait sur je ne sais quoi.
- C'est quoi cette porte là? Lui ai-je demandé.
En fait, je m'attendais à ce qu'il me réponde que c'était son débarras ou quelque chose comme ça, mais à la place il répondit assez mystérieusement:
- Ça, ne t'en préoccupe pas. C'est secret.
Je n'ai aucune idée de ce qu'il a voulu dire par là, mais en tout cas, je trouvai ça bizarre.
On s'est tous les deux assis à son bureau. Il a même déplié une chaise spécialement pour moi, mais avant qu'on se mette à travailler j'ai remarqué quelque chose à côté de son bureau. C'étaient des sortes de… bonshommes en plastique de trois centimètres de haut avec des socles, des figurines en fait. Quand je lui ai demandé ce que c'était, il a eu l'air un peu offensé et a déclaré:
- C'est ma collection de miniatures. Pourquoi?
J'ai compris que c'étaient des soldats en figurines, mais ils étaient vraiment bizarres. C'était bien fait, mais leur design était effrayant, ils étaient verts avec des sortes de bubons géants, complètement difformes. Je lui ai demandé si c'était de la post-apo, et il m'a répondu d'un air courroucé que c'était, tiens toi bien, des guerriers de Neurgeul."
À ce moment précis, alors que j'étais parvenu à rester passif un moment, je réagis vivement.
- "Neurgeul? C'est quoi ça?
- C'est compliqué. Par la suite je me suis renseigné dessus. Et j'ai finalement trouvé que ça s'orthographiait Nurgle, mais ça se prononce Neurgeul.
- Ça n'explique pas ce que c'est.
- En gros, c'est une faction dans un jeu de figurine. Un wargame.
- Mais encore?
- Bof. C'est compliqué. Eugènie a essayé de m'expliquer mais avec un vocabulaire que je ne comprenais pas. Il a parlé de pourriture de Neiglish et de tout un tas d'autres notions que j'ai pas bien compris. Mais ça avait l'air de lui tenir à cœur. Il m'en parlait comme un passionné. Je me suis donc dis que c'était une autre information intéressante."
Soudain, Raymond s'arrêta de parler. Il resta silencieux d'un air rêveur. Bien que je ne pense pas être quelqu'un d'impatient, je le pressais tout de même.
- "Et après. Qu'est ce que vous avez fait.
- Oh, ben… on a travaillé. On a regardé toutes nos leçons respectives et je lui expliqué ce qu'il ne comprenait pas. C'était… comment dire? Magique? On avait beau travailler, je me suis senti très proche de lui. Il est tellement mignon, même vu de près. Et en plus, je me tenais tellement près que je pouvais sentir son odeur. Je ne m'en serais jamais douté, mais il sent super bon."
Raymond ferma les yeux, comme pour se remémorer ces sensations, me laissant le contempler avec suspicion.
Je m'apprêtais à lancer quelque répartie cinglante que me dictait mon esprit, mais je me ravisais devant sa mine béate. Il avait l'air vraiment heureux, et je n'eus pas le courage de gâcher cela, quand bien même ça me démangeait. Alors je me contentais de demander:
- Et au final, le résultat?"
Raymond ouvrit les yeux et déclara avec un sourire malicieux:
- "Il ne s'est rien passé d'autre de notable ce samedi.
- Ah.
- Mais…
- Aïe!
- Mais ce jour là, j'ai déjà réuni pas mal d'informations. En plus d'avoir pu lui parler et nouer des liens avec lui, j'ai pu en apprendre plus sur ses centres d'intérêts. Et je dédiais ma journée du dimanche à faire des recherches sur internet pour en savoir plus.
- Je vois. Et quels résultats as tu trouvé si tant est qu'ils soient intéressants?
- Et bien tout d'abord, Powerwolf est un groupe de metal allemand. Ils ont la particularité de s'être construit au fil de leurs albums une sorte de mythologie passive basée sur un concept de lycanthropes guerriers évangélistes piochants dans la culture catholique avec un soupçon de démonisme. Enfin, là je te fais mon analyse.
- Pourrais tu expliciter un peu plus.
- Et bien, ils font de nombreuses références au catholicisme, aussi bien dans l'imagerie que dans leurs chansons. On y trouve beaucoup de paroles en latin, parfois des passages en chants grégoriens, et ils ont même un orgue dans le groupe ce qui est assez impressionnant.
- Et le rapport avec les lycanthropes?
- Cherches pas. C'est metal.
- Et l'autre là, Manowar?
- Bof. Un groupe de metal américain beaucoup moins original.
- Mais sais tu au moins si c'est Eugènie lui même qui écoute ça ou si c'est ses parents?
- Aucune idée. Mais dans tous les cas, ça donne une idée de la famille.
- Un peu bizarre tout de même. Des gens qui laissent un exemplaire du kamasutra dans une bibliothèque accessible à tous, ont un bureau qui sert à la fois de salle de stockage, de garde robe, et à écouter du metal; et possédant à la fois une bible et un coran. Ça a l'air d'une famille un peu spéciale.
- Sûrement. Mais j'en ai aussi appris plus sur Nurgle, la pourriture de Neiglish et tout ça. C'est… intéressant. Mais il y a mieux.
- J'ai peur de deviner.
- En effet, il y a autre chose sur quoi je me suis renseigné…
- Le travestissement?"
Raymond hocha la tête. Je soupirai tandis qu'il déclarait, l'air très fier de lui:
- "J'ai consulté un de mes… un de mes magazines habituels. Et j'ai trouvé dans les publicités un autre magazine qui devrait pouvoir combler mes attentes. Dès demain je pourrai m'abonner à ce magazine. J'ai vraiment hâte d'en apprendre plus."

Quand je vous disais que Raymond était un pervers…

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