Une image troublée

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Après une énième hésitation, la main de Jenny déchire l'enveloppe dans un tremblement incontrôlé. Un grand papier, recouvert d'une écriture bleue, est caché à l'intérieur depuis près de deux ans. Plié en quatre, il renferme une photo d'elle et de son père. Sur le cliché, la jeune femme ne devait pas avoir plus de dix ans. C'était peu de temps avant la séparation de ses parents. La feuille était tâchée à quelques endroits. Kim avait dû pleurer en lui écrivant ces lignes. Il devait être déçu de sa fille aimée. Elle n'avait pas tenu sa promesse. Pourtant lui, n'avait jamais failli. Il avait toujours respecter ses voeux. Malgré ses déplacements, il n'avait jamais oublié sa petite étincelle. Il l'appelait souvent comme ça, espérant la faire rougir. Emue par ces souvenirs lointain, la trentenaire s'assoit à nouveau sur le canapé pour découvrir la dernière missive de son père.

- Pourquoi ne l'ai-je jamais ouverte jusqu'à présent ?, songe Jenny.

- Par culpabilité, semble lui répondre Park Dojeon.

- Encore toi...

Mettant la télévision en sourdine, la jeune femme se met à lire son courrier. Inconsciemment, elle semble avoir laissé Park Dojeon être témoin de son courage. Sans doute pour se rassurer, pour se dire qu'elle n'est pas seule dans cette épreuve. Elle sait qu'elle ne peut compter sur sa mère pour cela. Pauline n'a jamais compris le lien fusionnel qu'elle entrenaît avec Kim. Ils n'étaient pas du même sang, après tout. Certes, Kim était entré dans la vie de sa petite fille alors qu'elle avait à peine cinq ans. Mais la perplexité de Pauline résidait dans le fait que sa fille soit beaucoup plus proche de cet homme que d'elle-même. Sans doute avait-elle nourrit une certaine rancoeur à propos de ce phénomène qui pourrait parraître étrange. Pauline n'avait jamais su comprendre sa propre fille. Elle avait beau lui avoir donné la vie, elle n'éprouvait pour cette dernière aucun amour inconditionnel. Kim semblait bien plus impliqué émotionnellement dans l'éducation de Jenny qu'elle. Alors lorsqu'ils avaient rompu, le peu de complicité qui existait entre elles s'était lentement effilochée.

Ma petite étincelle,

Je t'écris ces mots, probablement par lâcheté. Et aussi, un peu par culpabilité. Je n'ai jamais trouvé la meilleure manière pour t'annoncer les choses correctement. J'avais tellement peur de te perdre alors que tu es déjà si loin de moi... J'espère que tu pourras me pardonner et que tu viendras me voir bientôt. Tout ce que je t'ai raconté de la Corée, tu dois le vivre de toi-même. Peut-être même que je pourrais t'accompagner. Je sais que tu es une fille courageuse, que tu fais tout pour aider au mieux ta maman. Mais j'ai peur qu'avec le temps, tu finisses par t'oublier.

Lorsque je t'ai rencontré pour la première fois, tu étais si joyeuse que j'en ai oublié tout ce qui me pesait sur le coeur. Je ne m'attendais pas à tomber sous le charme d'une petite française. Malgré les épreuves que tu traversais déjà à ton âge, tu respirais la joie de vivre. Des yeux pétillaient d'intelligence et de générosité. Tu voulais voir le monde et découvrir tout ce qui est possible de découvrir. Dés l'instant où tu es venue vers moi, j'ai su que je t'aimerais de tout mon être. J'ai su à cet instant que je voulais te voir grandir, être à tes côtés autant que je le pouvais. Tu m'as accordé ta confiance et cela a été le plus beau cadeau que tu aurais pu me faire.

Cependant, il y a une chose dont je ne t'ai pas parlé. Parce que l'occasion ne s'est jamais présentée. Peut-être aussi parce que j'avais peur de perdre ce lien que nous avions construit tous les deux. Je pense que je regretterais mon silence toute ma vie. Je t'ai sans doute privé de quelque chose qui aurait pu t'être bénéfique. Ne crois pas que ce que je vais te dire dans ce courrier, change quelque chose de mon amour pour toi. Rien ni personne ne pourra m'enlever ce bout de coeur que tu as conquis. Voilà, comme je ne sais comment trouver les mots, je vais faire au plus simple. J'ai un fils. Il est un peu plus vieux que toi et il est aussi gentil que toi. Je ne saurai comment te le décrire. De toute façon, je ne crois pas que je sois totalement impartial à ce sujet. Tu te feras ton propre avis lorsque tu le rencontreras. Je lui ai déjà parlé de toi. J'aimerais que vous fassiez connaissance. Ce serait là, mon dernier voeu. Et peut-être même mon voeu le plus cher.

 Les lignes deviennent des vagues au fur et à mesure que la jeune femme lit les mots de son père. Jenny a dû mal à croire que Kim ait un fils, de chair et de sang, et qu'il l'ai abandonné pour venir en France. Elle sait trop bien les conséquences que peuvent avoir un tel geste auprès d'un enfant. Même si elle n'a jamais manqué de rien, en majeure partie grâce à ce père adoptif qu'elle croyait connaître, il y a toujours eu un vide dans son coeur. Une incompréhension qui a grandi avec elle. Des questions qui resteront sans réponses. Elle ne l'a jamais caché à Kim. La jeune fille lui parlait toujours de tout ouvertement. Sans doute parce qu'il l'écoutait avec attention, sans jamais la juger ou montrer une quelconque déception.

Comment a-t-il pu faire vivre cela à son propre fils ? S'il avait été encore là, Jenny aurait sauté sur son téléphone pour avoir des explications. Elle lui aurait posé les mêmes questions qu'elle avait toujours eu envie de poser à son propre père biologique. Pourquoi l'a-t-il laissé ainsi ? Est-ce qu'il n'a jamais regretté ? Est-ce qu'il n'a jamais voulu revenir ? Est-ce qu'il savait la peine qu'il avait causé ? Sans doute pas. Sinon, il n'aurait jamais été aussi lâche.

- Ce ne doit pas être vrai. Cela ne peut pas être ce qu'il paraît. Papa était trop bon pour laisser tomber son fils. C'est quelqu'un de bien, pas comme mon père, se répète Jenny.

Perdue dans ses pensées, elle a totalement oublié les deux artistes qui terminent à présent leur émission. Ses mains chiffonnent malgré elle, les feuilles qu'elle tient fermement depuis le début de sa lecture. Elle a beau essayé, elle ne comprend pas. Tout cela n'a aucun sens. Est-ce que maman savait ? Tout le monde lui aurait donc menti. Dans quel but, cacher l'existence de cet autre enfant ? Rien n'avait de sens. Jenny compose le numéro de sa mère, espérant avoir des réponses. Comme à chaque fois, elle tombe sur la messagerie. Pauline n'est jamais disponible lorsqu'elle a besoin d'elle. Par contre, l'inverse est inadmissible pour sa mère. Elle a toujours été ainsi : sa propre personne passe en premier. Sa fille ne peut pas lui en vouloir. Le fait est qu'elle aimerait pouvoir être elle-même égoïste. Seulement, ce n'est pas dans sa nature.

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