La rincée des canailles

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Une semaine s’était écoulée depuis la terrible fusillade à l’abbaye de Laval-Dieu. Monthermé, la perle des Ardennes, s’était réveillée groggy, blessée dans sa chair ; il était temps à présent de panser ses plaies et d’enterrer ses morts.

Furieux, le procureur avait diligenté une enquête interne pour retrouver les responsables qui avaient permis à quatre chasseurs d’entrer dans l’église armés de fusils chargés. La préfecture leur avait d’ailleurs refusé préalablement le droit de tirer, à l’extérieur, le salut de trois volées ; salut réservé d’ordinaire aux militaires et aux policiers.

La gendarmerie, quant à elle, avait déjà cher payé le lourd tribut de son incompétence. Le brigadier Berthot était reparti les pieds devant, direction Melun, pour une mise en bière avec ruban rouge à titre posthume, tandis que l’adjudant Le Garrec, en congé maladie à durée indéterminée, allait devoir soigner sa lente dépression en Bretagne, sous le climat tempéré du Gulf Stream. L’amicale de chasse n’était pas en reste : deux morts, un blessé grave dont le pronostic vital était engagé et un traumatisme cranio-cérébral sévère. Sans compter les commotions et fractures diverses parmi les Baraquins piétinés dans la foule.

Seul le Gitan, érigé en héros après son intervention, avait échappé à la vindicte de la magistrature. Mais la victoire était amère ; pour la première fois de son existence, le commandant Bellocq avait ôté la vie. Et quand bien même fut-elle celle d'un meurtrier, l’homme était rongé de remords. Il avait beau admirer Charles Bronson, il n’était pas le genre de flic qui tire à la légère et piétine les droits constitutionnels du citoyen. D'autant que le père Jean-Jean, ayant cassé sa pipe, avait emporté dans sa tombe tout un tas de questions restées sans réponse.

Malgré les félicitations du procureur et la foule en liesse qui l’avait acclamé, le flic s’était senti envahi d’un vague à l’âme. Et Jessica, rassurée de le voir enfin débarquer le soir au camping-car, l’avait étreint comme jamais.

  • Oh mon Gitan, j’étais si inquiéte. On n’porle que d’ço à la radio.
  • Tout va bien, mentit Bellocq, la gorge serrée.

Pour la première fois depuis leur rencontre, les deux amants s’étaient endormis sans aller au bonheur.

***

Au même moment, Gervais s'apprêtait à rejoindre son doux foyer après une dure journée de labeur à l'orphelinat. Il s’était préalablement envoyé l’équivalent d’un verre à moutarde de vodka pure pour stimuler sa tringle défaillante, avant de faire escale chez une de ses collègues avec qui il entretenait depuis quelques mois une relation intime et extra-conjugale.

Puis rejoignant en titubant, une heure plus tard, son Fiat Multipla garé sur la place Jean-Baptiste Clément, il ne put contenir un râle d'agacement en constatant qu'un blaireau avait collé son Renault Trafic un peu trop près de sa portière. Il dut rentrer le ventre pour se glisser entre les deux véhicules et ne pas accrocher les rétroviseurs. Et au moment où il put enfin agripper la poignée du monospace, la portière latérale coulissante du Trafic s'ouvrit derrière lui. Surpris, il tourna la tête et aperçut une longue silhouette sombre en parka, le visage dissimulé sous une cagoule. Gervais n'eut pas le temps de filer, sa carcasse prise au piège. L'homme cagoulé lui asséna une décharge de pistolet Taser entre les côtes, suivi d’un coup de nerf de bœuf sur le casque. Puis il agrippa le gros sous les aisselles, le tira dans le bahut et reclaqua rapidement la portière.

La camionnette démarra au quart de tour, s'éloignant dans la nuit, en direction des hauts de Monthermé.

***

Gervais se réveilla, la gueule dans le pâté, ignorant pendant combien de temps il s'était absenté. Le coup de matraque reçu avait laissé un souvenir douloureux et embrouillé sur son crâne dégarni. Noyé dans la pénombre, des mouches dans les yeux, il lui fallut quelques secondes avant que ses pupilles ne s’acclimatent. Seul un étroit abattant grillagé, à hauteur de plafond, laissait entrer un léger filet de lumière dans la pièce.

Celle-ci était une cave verrouillée par une porte métallique, où le sol de terre battue et les murs de pierres de taille exhalaient une odeur renfermée de moisi. Il était allongé sur le matelas sommaire d’un vieux lit à barreaux et pouvait sentir les ressorts du sommier lui rentrer dans l’échine. À côté du paddock, se dressait une vieille commode rose patiné sur laquelle de vieux livres pour enfant et un poupon baigneur prenaient la poussière.

  • Ohé ! Y a quelqu'un ? cria-t-il, inquiet.

Après quelques minutes, le loquet de la porte s’ouvrit enfin, laissant apparaître la silhouette sombre et cagoulée qui l’avait agressé sur le parking. C’était un homme, à en juger par sa carrure, grand et sec. Prudent, celui-ci s’approcha lentement et en silence, gardant son nerf de bœuf à portée de main.

  • Tu peux enlever ta cagoule, Jimmy, je t’ai reconnu. Tu cognes à cent mètres, lui dit Gervais en reniflant du groin. Où est Sergio ?

L’homme ne broncha pas.

  • Jimmy, je sais que c’est toi, persista l’éducateur excédé.
  • Moi pas Jimmy, nia l’homme de cette voix traînante reconnaissable entre toutes.
  • Sergio ! finit par hurler Gervais en se redressant sur sa couche. Montre-toi !

Il cria si fort que le cagoulé recula d'un pas en brandissant son casse-tête, prêt à frapper le récalcitrant. Mais l’ouverture d’une trappe à l’étage freina ses velléités. Gervais se tut alors et se laissa retomber sur le lit, soulagé que ses cris aient été entendus. Après avoir descendu lentement l’escalier qui menait à la cave puis emprunté l’étroit passage jusqu’à la cellule, Sergio Van Buick, la mâchoire serrée et l’œil torve, apparut enfin dans l’embrasure de la porte. Le gaillard, torse-poil et tatoué comme un mur de chiottes, exhibait sur sa peau de vieux souvenirs de taule.

  • Que signifie toute cette mascarade ? s'empressa Gervais de lui demander. Qu’est-ce que je fous là ?
  • Faut qu’on discute à propos de ce qui est arrivé à mon frère, lui dit le mastard.

***

Sergio avait sorti une de ses bouteilles de gnôle, distillée maison à base de prunes et d'alcool de bois ; de l’antigel de contrebande, chargé en méthanol, qu'on pouvait boire au goulot sans risquer de choper un herpès labial ou une mononucléose. Il trinqua avec Jimmy tandis que Gervais déclina l’invitation. Bien qu’habitué d’ordinaire aux pousse-au-crime, il n’avait pas le gosier en Téflon pour supporter cette eau de feu qui vous cassait la poitrine et vous décapait les boyaux ; du brutal dont les brothers semblaient se délecter.

  • Je sais que Freddy et toi, vous étiez associés, lâcha Sergio en claquant sa langue contre le palais. Mon frère était un vantard de première ; il n’a jamais su tenir sa langue. C’est toi qui l'as aidé, il y a huit mois, à choper cette gamine à l’orphelinat : Bérénice. J’me trompe ?

Gervais comprit qu’il était inutile de nier.

  • Associé ? C’est un bien grand mot, nuança-t-il néanmoins. Je me suis contenté de lui laisser la grille ouverte et de fermer les écoutilles. Le reste n’était pas de mon ressort. L’enlèvement était une idée à lui et il ne m’a pas laissé le choix.
  • Et vous comptiez r'mettre ça, n’est-ce pas ? Jimmy m'a parlé d'une rouquine sur laquelle Freddy avait flashé.
  • Freddy parti chercher sa fiancée, acquiesça le demeuré.
  • Je ne suis pas au courant, se défendit Gervais. Et puis, entre nous, ça aurait été trop risqué : deux fugues en huit mois auraient fini par attirer l’attention. À dire vrai, ça fait longtemps que je n’avais aucune nouvelle de ton frangin. Jimmy a dû mal comprendre.

Sergio fit un signe à ce dernier qui s’approcha de l'éducateur et lui flanqua un violent coup d’assommoir dans les aumônières. Gervais hurla de douleur et pissa littéralement des yeux. Puis le blond maousse fouilla dans la poche de son pantalon et brandit un téléphone portable sous les yeux de l’éploré.

  • J'ai zieuté sur ton GSM, Face de craie ! le mit-il au parfum. Il m'a suffi d'taper ta date de naissance pour le déverrouiller, gros malin. Alors me raconte pas d’bobards ! Freddy t’a textoté la nuit où il est mort, le 3 août vers 23 heures, pour que tu lui ouvres le portail de l'orphelinat. La mémoire te revient ou j'te lis la suite ?

Pris en défaut, Gervais baissa les yeux.

  • C’est vrai, finit-il par capituler. J’ai bien tenté de l’en dissuader mais il ne voulait rien entendre. Il est venu cette nuit-là pour embarquer une fille ; Berry qu’elle s’appelle. Mais j’ignore ce qui s’est passé ensuite. Je te le jure ! J’ai appris la mort de ton frère dans le journal, comme tout le monde.
  • Et la gamine ?
  • Elle est réapparue le lendemain matin à l’orphelinat comme si de rien n’était.
  • J'te laisse une chance d’éponger une partie de ta dette : ramène-nous-la avant qu’elle ne bavasse sur Freddy ! On t'contactera le moment venu.

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