Quand bien même le Soleil avait brillé par son absence durant la dernière semaine d’août, le sempiternel et inextricable redoux climatique de septembre, réglé comme du papier à musique, était de retour dans les bacs. Un phénomène quasi périodique qui, malheureusement, ne profiterait pas aux habitués du Cabaret Vert en cette triste année 2020. Annus horribilis ! Un fichu pangolin avait gâché la fête et provoqué l’annulation du festival au grand dam des « sanglichons » accros à l’électro-hardcore, des amateurs de crêpes au maroilles, de poutine et de fromage de bite, des jongleurs de diabolo et des fumeurs de weed. Tout ce petit monde allait devoir ronger son frein en attendant l’été prochain.

Bien loin de ces préoccupations, le Gitan, officieusement en congé maladie, avait installé son motorhome aux “Rapides de Phade”, un modeste camping semi-ombragé à l’écart de la ville, où les pêcheurs venaient s’adonner au lancer à la mouche, bercés par une quiétude souveraine et le clapotis de l’eau. Attablé sous la tonnelle, Bellocq contemplait le ballet fascinant d’un couple de cygnes tuberculé se posant sur les eaux basses de la Semoy couvertes de renoncules et de potamots crépus.

• À toble ! annonça Jessica en sortant du bahut, une cocotte en main.

Histoire que son amour de flic ne meure pas idiot, et le plus tard si possible, elle avait décidé de lui concocter sa fameuse cacasse à cul nu, spécialité ardennaise s’il en est.

• Tu m’gâtes, ma belle ! s'extasia le gourmand en reniflant au-dessus de la gamelle en fonte.
• C’est pos grand’ yauque, ma gros : juste des pototes et du lord ! Faut juste éviter qu’le graillon colle dans la pêle à frire.

À la fortune du pot, il se jeta sur son assiette pour se charger l’estomac. La visite fructueuse à l’orphelinat et le texto de Marie-Delphine, reçu en fin de matinée, lui avaient ouvert l’appétit. La dévouée bigote lui avait confirmé ce qu’il supputait déjà : le 06 de Gervais était bien celui de Face de Craie et le groupe sanguin de Berry : AB- ; celui-là même retrouvé sur la scène de crime. À la lumière de ces nouveaux éléments, il semblait enfin apercevoir le bout du tunnel même si des zones d’ombre persistaient encore.

• Un déssért, Gitan ? le tira de ses pensées la tambouilleuse, une fois les assiettes vides.
• Ma foi, acquiesça-t-il.

Jessica, d’humeur badine, s’engouffra alors dans le camping-car. Et tandis que retentirent à l’intérieur les premières mesures de “Good vibrations” des Beach Boys, elle en ressortit quelques instants plus tard, vêtue d'une nuisette et équipée d’une bombe de crème fouettée.

• I... I love the colorful clothes she wears…, claironna Mike Love tandis que Jessica, lascive, secouait le syphon de haut en bas.

Puis elle pressa délicatement le gicleur pour déposer une noisette de mousse blanche sur le bout de son index. Sans équivoque, elle ferma les yeux et enfonça très lentement, dans un mouvement de va-et-vient, son doigt dans la bouche. Bellocq extatique devant pareil spectacle empli de sous-entendus commençait à l’avoir dure, une balle chargée dans le canon.

• Ce s’ro une torte aux poils maison à la créme chantilly ! Ça t’vo ? minauda-t-elle. J’ai pos eu l’temps d’posser à la boulange.
• À la bonne franquette ! se frotta-t-il les paluches.

Entreprenante, elle s’en saisit et le Gitan chaud bouillant se laissa guider sans résistance à l'intérieur de la roulotte.

• J’voudrais pos qu’tu reportes le ventre vide et les couilles pléines, ajouta l'insatiable friponne.

Il fallait savoir savourer les instants de relâchement et d’insouciance quand ils vous tendaient les bras, car une petite voix dans la tête du commandant ne cessait de lui répéter que l’accalmie, dans cette histoire, serait de courte durée.

I'm pickin' up good vibrations

She's giving me the excitations

I'm pickin' up good vibrations

She's giving me the excitations…