You're never walk alone, la ket !

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La politesse ? Jessica connaissait ; elle en faisait bon usage tous les jours avec les clients du restaurant qu’il fallait servir sans broncher : les pisse-froid, les pouvez-vous-nous-diviser-la-note-par-sept, les vicelards-aux-mains-baladeuses, les-enfants-qui-courent, les-enfants-qui-hurlent, les repassez-dans-cinq-minutes-nous-ne-sommes-toujours-pas-décidés, les sans-gluten, les sauces-à-part et les remettez-nous-du-pain-et-qu'-ça-saute !…

Il en fallait de la patience et de la diplomatie pour supporter tous ces cons.

Mais l’homme qui avait fait son entrée accompagné d’un gendarme dans le casse-graine, ce mardi 4 août à midi, sapé comme un milord dans son costard en lin ne ressemblait pas à un client ordinaire. Très swinging London, il ne manquait ni de panache ni d’originalité, affichant une ostensible nonchalance.

La plantureuse demoiselle avait senti le regard pétillant du briscard posé sur ses épaules tout au long du service ; ce n’était pas pour lui déplaire. Autant les lourdauds et les fiers-à-bras la laissait de marbre, autant le trouble que le moustachu avait provoqué chez elle, ce jour-là, lui avait court-circuité l’hypophyse et remué les muqueuses. Le gaillard était une grenade à phéromones ; une arme de destruction lascive avec boule cambré et poutre apparente. Confuse, elle s’était emmêlé les pinceaux et en avait oublié, l’espace d’un instant, les tables et les commandes refroidissant sur le passe-plat. Cependant, le gentleman n'avait pas fait d’esclandre pour l’attente et l’avait volontiers excusée d’avoir servi un pichet de cabernet en lieu et place du côtes-du-rhône requis.

Après s’être envoyé ses tripes en deux coups de cuillère à pot et un expresso allongé, il lui avait laissé un pourliche de dix euros dans la coupelle avant de prendre congé.

***

Il revint le soir pour souper ; seul cette fois. Après avoir dégusté un velouté d’asperge à l’ail des ours, une part de tarte aux maroilles et un colonel en dessert, il s’attarda au bar quand toute la clientèle était partie. Jessica, elle, avait déjà redressé les tables et était passée derrière le comptoir pour nettoyer le percolateur.

  • Votre ail des ours, là, quel régal ! l'interpella-t-il, histoire d’entamer la discute.
  • C’est une ail sauvage qu’on cueuille dans les sous-bois. Y en a beaucoup por chez nous. D’où que c'est qu'vous v'nez ?
  • De Reims, l’informa-t-il.
  • J’l’aurais porié, la ket ! Ò cause de vot’accent.
  • Je m’appelle Charlie. Et vous ?
  • Jessica ! lui serra-t-elle la paluche tendue. Vous êtes le policier qui enquéte sur la mort d’Freddy Van Buick, non ?
  • Les nouvelles vont vite, dites-moi !

Une fois les présentations faites, Le Gitan lui proposa de boire un drink avant la fermeture. Elle s’y plia avec joie, optant pour une coupe de champagne.

  • Quoi que c’est qu’vous prenez ? lui demanda-t-elle.
  • Étonnez-moi !

Elle se pencha alors sur un casier de bières posé à même le sol. L’homme ne put s’empêcher, au passage, d’admirer, extatique, le valseur cambré de la demoiselle sous son rase-motte en cuir. Elle décapsula une bouteille de trente-trois centilitres dont la forme oblongue ressemblait à une quille de bowling. Elle laissa échapper lentement la pression puis versa délicatement un breuvage orangé à la mousse blanche et épaisse dans un verre incliné qu’elle lui tendit ensuite.

  • Une Orval ? déchiffra-t-il l’étiquette de la roteuse.
  • Un Orval, la ket ! rectifia Jessica. C’est d’la biére trappiste.
  • Le monastère amer ! constata-t-il après une première gorgée.

Passées l’amertume sèche et l’odeur de houblon suranné, ce fut une attaque plus citronnée et moelleuse légèrement boisée qui envahit les papilles. Un parfum de fruits compotés cuits au four, terreux en fond.

  • Putain, qu’c’est bon ! jura-t-il. Je suis en connexion avec le Seigneur et sa Sainte Mère l’Église.
  • In beer we treust ! pontifia-t-elle, ne manquant pas de répartie.

Il acheva sa mousse en trois gorgées avant de refréner un rototo au fond du gosier.

  • Doucement ! C’est une biére de dégustation. Qué soûlard çui-là ! fit-elle mine de le gronder.
  • MC Soûlard, répliqua-t-il du tac au tac, Je suis l’ail des ours qui pique ton cœur !

Elle partit dans un fou rire, secouant ses énormes pastèques au-dessus du bar, pour le plus grand plaisir du flic qui n’en loupait pas une miette et qui sentait poindre au fond de son calcif, les prémices du zizi-bâton.

Il faut bien l’avouer : un Rémois qui buvait de la bière et une Ardennaise qui buvait du champagne ; on n'avait pas fait mieux dans le rapprochement diplomatique depuis les accords d’Oslo en 91.

Telle bière, telle pisse ! Après sa troisième binouze, le commandant fila aux toilettes se soulager d’une envie pressante tandis que Jessica, consciencieuse, faisait le tour de la salle et des arrières pour éteindre les loupiotes. Ils se retrouvèrent sur le trottoir à 1 heure du matin dans le calme et la chaleur de cette nuit estivale. Empreint d’assurance et d’ivresse monastique, il invita la belle à venir faire l’état des lieux de son camping-car. Quelque peu réticente à l’idée de coucher le premier soir, elle finit néanmoins par céder. Elle considéra que, passé minuit, c’était le deuxième soir.

C’est ce qu’on appelle avoir des principes à géométrie variable.

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