Chapitre 5

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Tyr observait la discorde s’installer parmi les siens, impuissant. La petite salle qui leur avait servi jusque-là de quartier général était maintenant remplie de cris d’objections et du tambour des poings sur la table. Les dieux divisés se lançaient sans vergogne insultes et regards assassins. Comment lui, le gardien de la sagesse et de la justice, avait-il pu laisser la situation se dégénérer à ce point ? Son seul et unique rôle était de maintenir la tribu des Ases unie, et voilà qu’il échouait lamentablement. Son esprit se perdit alors peu à peu dans de sombres visions du royaume d’Asgard mis à feu et à sang et de l’équilibre entre les mondes détruit par sa faute. Peut-être leur destin à tous en était-il ainsi ? L’oracle n’avait-elle pas parlé du ragnarok, récemment ? Il n’en était plus sûr. Toute menace leur avait semblé écartée depuis que les géants se tenaient discrets et que les enfants de Loki avaient été exilés ou emprisonnés…

Soudain, un sentiment terrible s’abattit sur lui. Foudroyé sur place, son coeur manqua un battement. C’est alors qu’il croisa, au milieu du chaos ambiant, le regard de Thor qui semblait tout aussi consterné que lui. Tyr lu dans son visage qu’il était habité du même pressentiment qui venait alors de le surprendre, et sans même s’adresser la parole, ils quittèrent la salle ni vu ni connu. Les deux confrères savaient immédiatement où ils devaient se rendre s’ils voulaient éviter que les choses ne deviennent encore plus graves.

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À l’intérieur du gouffre sans fin qu’était la prison de leur père, Sköll et Hati s’affairaient à lentement déchirer le Glepnir de leur dents. Rien n’occupait leur esprit autre que cette tâche de la plus haute importance. Le silence n’était meublé que par le bruit des crocs et du tissu qui s’effrite, ainsi que le vrombissement subtil que produisait le pouvoir d’Hel. Les yeux fermés et les bras tendus devant elle, la soeur de Fenrir concentrait toute son énergie afin de produire une sorte de filet à la fois brillant et transparent qui enveloppait tout son corps. Les mailles du filet d’énergie ressemblaient à autant d’étincelles se mouvant dans des directions opposées, sans jamais s’éteindre ni faiblir. Ainsi recouvert du pouvoir de la déesse, le grand loup était tombé dans un sommeil encore plus profond, si profond, que l’on aurait pu le croire mort. Ainsi déconnecté de son propre corps, Hel pouvait le soustraire temporairement à sa souffrance.

C'est alors qu'un choc terrible lui arracha un cri bref et l’envoya s’écraser contre une des parois de la grotte, neutralisant dans le même temps le cocon réparateur qui enveloppait son frère. Sköll et Hati se retournèrent d’un mouvement vif, figés par la surprise. Ils eurent à peine le temps de se rendre compte de l’arrivée des intrus, que leur tante leur hurla de ne pas s’arrêter. Fenrir était toujours endormi, il n’y avait pas de temps à perdre. Les deux loups s’empressèrent de retourner à la tâche, terrifiés.

Hel rattrapa brièvement son souffle, une main collée sur le côté où avait frappé le marteau de Thor. Malgré sa silhouette frêle, la déesse avait une résistance surnaturelle, mais l’énergie qu’elle avait jusqu’alors dépensée pour garder son frère endormi l’avait quelque peu affaiblie. Elle observa Tyr qui s'avançait aux côtés de Thor. Comment avaient-ils fait pour se douter de leur présence ici ? La déesse chassa aussitôt ces pensées sans importance et se reprit. Elle intercepta Thor qui se dirigeait à toute vitesse vers son neveu et sa nièce. Dans l'air, Hel se concentra sur l’énergie des vers luisants accrochés au plafond. Une pluie d'insectes se déversa alors sur le dieu du tonnerre qui continua à avancer. Les vers se mirent à chauffer, puis à exploser un après l'autre. Le sang brûlant des larves rôtissait le dieu sur place. Thor se débattait en vain, tentant de retirer celles qui lui tombaient dessus en lâchant de grands cris.

Pendant ce temps, Tyr avait dégainé son épée, laissant à contrecoeur son camarade se débrouiller seul, il fonçait droit sur la déesse de la mort. Bien qu’il ne possédait plus qu’une seule main, tout Asgard savait combien Tyr était redoutable à l’épée, et comment son épée en particulier, n’était pas à prendre à la légère. Hel luttait déjà contre le sifflement étourdissant du fil de la lame qui tranchait l’air. Elle serra les dents, et rassembla l'énergie ambiante en un bouclier luminescent qui vint arrêter le coup d’épée de son adversaire. Le choc fut violent, et la puissance de l’arme légendaire la fit reculer de plusieurs pas. Le dieu de la sagesse avait endossé son deuxième rôle, celui de la guerre juste, et il assaillait la déesse sans relâche. Ses déplacements étaient vifs, ses coups brutaux, et ses réflexes, plus aiguisés que jamais. Hel tentait en vain de l’attaquer ; elle chercha une brèche dans son esprit, une faiblesse dans son corps, quelque chose qui lui eut permit de prendre le dessus, ne serai-ce que quelques secondes, mais ne trouva rien. Le combat semblait interminable, la déesse ne pouvait passer à l’offensive dans son état, mais était résolue tenir le plus longtemps possible.

L’épée de Tyr continuait de produire ce son insupportable, ce grincement aigu qui lui lacérait les tympans et semblait vouloir perforer son crâne. La migraine la gagnait et devenait de plus en plus forte. Chaque mouvement défensif lui arrachait un gémissement. Sans crier garde, Tyr perça sa défense. Une douleur vive la traversa alors que l'épée de son adversaire lui transperça l'épaule.

Thor, qui avait réussi à se libérer de l'assaut des vers luisants, se dirigeait à nouveau vers ses deux cibles. Couvert de brûlures et mut par une colère ardente, il poussait des grondements terribles. Les deux loups se préparaient au pire.

La déesse, de son côté, était au bout de ses forces, en reculant pour tenter de se mettre à l’abri des attaques de Tyr, elle trébucha, et s'écroula au sol. Le dieu de la sagesse se prépara à donner le coup fatal. Quelle ironie, pensa-t-il, la déesse de la mort allait connaître le trépas, et il se demanda pendant un instant si cela n’était pas contre nature. Puis il abattit son épée.

La déesse ferma les yeux durant quelques secondes en anticipant un coup qui ne viendrait jamais. Lorsqu’elle les rouvrit, elle s’aperçût qu’une gueule immense venait de se refermer sur Tyr.

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