Prologue - La fin d'une ère

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 Les échos de l'ultime bataille résonnaient dans le palais de Sérasia. Le peuple avait, pour la plus grande partie, rejoint les refuges souterrains au sein de la forteresse. Toutes ces personnes impuissantes ayant fui le fracas de la ville, ayant fui pour sauver leur vie, comptant sur le pouvoir d'une poignée de guerriers pour les sauver... Idor les regardait depuis l'entrée de la vieille trappe de bois. La panique l'avait mené à suivre le mouvement de foule qui, dès les premiers éclats annonciateurs d'une terrible guerre, s'était oppressée devant ce trou dans une vaine tentative de se sentir protégée du danger extérieur. Mais comment pouvait-on se penser en sécurité terré dans ce lieu qui, une fois clos, ne laisserait aucune échappatoire ? Dans une vague de lucidité, le vieil homme comprit. Sa place n'était pas ici, au milieu des centaines de regards larmoyants, des gémissements et des mains implorantes... Alors qu'un garde le sommait d'entrer dans la cache en menaçant de bientôt fermer la trappe, Idor s'empressa de se relever et de repartir en arrière. Il ne comptait pas combattre, il en aurait été incapable, jamais il n'avait maîtrisé une arme ou quoi que ce soit s’en rapprochant, mais il ne voulait pas non plus mourir en vain. Il serait utile à sa manière, il le savait.

 Une seule chose le préoccupait désormais, remonter en haut de sa tour au milieu de ses vieux parchemins, et retrouver un texte très ancien qui attendait son heure. Une heure qui était venue. Face aux regards effrayés du peuple qui s'ensevelissait vivant de sa propre volonté dans le sol de la forteresse, il s'était souvenu de ce vieux parchemin... Comment dans un moment pareil avait-il pu l'oublier ? Tous les signes étaient présents pourtant. En tant qu'archiviste des prophéties du palais de Sérasia, il lui était interdit d'oublier ce manuscrit qui annonçait la fin tragique de son monde, le monde de milliers de personnes... Mais cette fin annonçait un renouveau, lointain certes - lui ne le connaîtrait pas car il savait que sa dernière journée touchait à sa fin, comme celle de tous les citadins de Sérasia - mais un renouveau quand même. Ce parchemin était le dernier vestige des paroles d'un homme sage dont le nom avait disparu avec le temps, les derniers mots d'un prophète. Aujourd'hui ces personnes de grande renommée n'existaient plus. Jugés trop puissants, ils avaient été éradiqués afin que chaque pays soit sur un pied d'égalité...

 Arrivé au sommet de la tour, devant la salle où les reliques prophétiques étaient entreposées, Idor sortit de sa poche une grosse clef de métal terne. Il l'apposa dans le trou de la serrure et la fit tourner deux fois. Au dernier déclic, la porte s'ouvrit dans un grincement vers l'intérieur, laissant apparaître des étagères et des tables poussiéreuses surchargées de parchemins et de livres. La lumière filtrait au travers d'une petite fenêtre, éclairant de fines particules qui virevoltaient dans l'air. L'ambiance de cette pièce avait toujours apaisé Idor. Il contempla le désordre qui lui était si familier, les papiers en peau, usés par les siècles passés et écrits dans des langues depuis longtemps oubliées, que lui, l'archiviste, s'appliquait à traduire et à classer depuis des années. Les chandelles disposées un peu partout étaient pour la plupart presque entièrement fondues. Dans un soupir, Idor s'approcha de la seule étagère ordonnée de la pièce. Il prit un gros livre, en bon état comparé aux parchemins, à la couverture rouge et or. C'était un de ceux où il s'était appliqué à recopier soigneusement les prophéties qu'il avait réussi à traduire au cours de sa carrière. Mais celui-ci était spécial comparé aux autres. Il n'y retranscrivait que les prédictions énonçant la destinée du royaume de Sérasia ou du monde, celles d'une importance capitale.

Idor feuilleta les premières pages, il connaissait ce livre par cœur. Arrivé au bon endroit, il relut une énième fois les paroles traduites d'un homme depuis longtemps disparu :

Quand la foule effrayée sera cachée

Au plus profond de sa terre

Et que combattront les derniers guerriers,

La Lumière connaîtra sa défaite.

Tel le Feu, l'Ombre détruira tout

Dans un chaos de fin du monde,

Présage de pauvreté et de misère,

Les âges sombres se présenteront partout.

Telle l'herbe revigorée par les flammes,

L'enfant naîtra de l'Arbre,

Humain présent au sein de deux mondes

Il apportera l'espoir au peuple.

 Idor analysa ce texte qu'il avait mis au jour deux ans plus tôt. La foule effrayée sera cachée au plus profond de sa terre décrivait parfaitement les habitants de Sérasia cherchant vainement à se protéger en se réfugiant dans les souterrains aménagés du château. Les derniers guerriers, les dénommés Héros représentaient les derniers combattants d'élite, environ une centaine, lâchés contre l'Ombre nommée Scur, un maître de la noirceur parvenu à détruire le faible équilibre du monde. Scur, l'être qui semait le chaos, un être disait-on descendu des Dieux Anciens. Une centaine de Héros, aussi forts soient-ils, n'avait aucune chance face à des légions de monstres et de démons. Ils ne feraient pas le poids. Les échos de la guerre n'étaient autre que leur dernière tentative pour repousser l'échéance de la fin, leur dernier soupir.

 Idor, convaincu que le moment de l'accomplissement de cette prophétie était arrivé, arracha sans cérémonie la page du gros livre et détala vers la volière sans prendre la peine de refermer la porte des archives derrière lui. Durant sa course, les sons d'un affrontement effroyable se rapprochaient inexorablement. Les bruits sourds commençaient à faire trembler les murs, créant par endroits de fines lézardes serpentant jusqu'au plafond, laissant échapper de petits volutes de poussière. Le vieil homme se dépêchait, ignorant ses douleurs articulaires, son temps ici était compté, il en était conscient. Parvenu à la volière, il attrapa une des colombes blanches au bout des ailes bleuté. Ces volatiles étaient caractéristiques du royaume de Sérasia, ils ne vivaient que dans les alentours et étaient toujours capables de trouver leur destinataire. Après avoir urgemment griffonné quelques mots au dos de la page prophétique et sorti une petite cordelette de sa poche, Idor attacha soigneusement le papier à la patte gauche de l'animal qui la tendait obligeamment. L'archiviste fixa ensuite les beaux yeux dorés de l’oiseau en lui disant simplement :

- Je t'en supplie, mène cette lettre au Gardien de la Forêt de la Vie. Donne ce papier à Afarel.

 À la mention d'Afarel, la petite colombe sembla acquiescer et, dans un bruissement d'ailes, prit son envol pour accomplir sa mission. Idor sortit alors de la volière. Il se trouvait sur l'un des remparts intérieurs de la grande ville fortifiée. Il contempla une dernière fois les bâtisses et les échoppes, ces lieux où il avait passé tant de jours paisibles. Puis, dans un soupir de résignation, il s'assit, s'adossant à la pierre. Là, il attendit que le fracas grandissant de la guerre s'achemine jusqu'à l'intérieur de la forteresse, pour que l'ombre de Scur vienne tout détruire. Sa dernière pensée fut adressée à la colombe, il espérait de tout son cœur qu'elle arriverait à bon port...

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