journée en famille

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Journée en famille

Lorsqu’il annonça qu’ils allaient retourner pour s’unir la famille d’Horacio était très surprise à l’idée d’un mariage si précoce. Le père voyait en son fils un modèle de coureur de jupons à l’antillaise tel qu’il l’avait été, promis selon lui à une union tardive. Il espérait avant tout qu’il deviendrait une main forte pendant de longues années dans ses affaires commerçantes. Le jeune homme lui, HORACIO ou Dino. De son vrai nom, n’était pas du tout sur cette ligne de pensé. Il comptait véritablement fonder une famille avec Emme aussitôt ses diplômes obtenus. C’était là un mariage d’amour.

Toujours bercés malgré eux par le rythme de vie et le calendrier étudiant, ils arrêtèrent une date : ce sera pendant l’été, les autres périodes de l’année étant réservées à des activités plus studieuses. Ils ne voyaient que le bonheur devant eux et mettaient les manifestations de réticences sur le compte de l’empressement qui venait bousculer les habitudes et la routine des membres de la famille qu’ils n’avaient pas revues depuis quelques mois. Les jeunes amoureux ne voyaient que le bonheur devant eux.

Le père du jeune Horacio était assez velléitaire et l'idée de voir son mal, le premier né tomber sous le charme si prématurément ne l’enchantait pas. Il n’accordait alors aucune importance aux préparatifs se figurant qu’au dernier instant son fils ainé allait y renoncer comme lui-même avait procédé pour ses nombreuses conquêtes. La mère d’Horacio, elle, était agréablement surprise mais compte tenu de leurs problèmes financiers dus aux investissements risqués, la douce dame ne voyait pas comment organiser une cérémonie nuptiale fastueuse. Une famille qui avait toujours montré ses fastes, résultat des labeurs du père et d’une mère bien établie socialement, il n'imaginait pas être ridiculisés à travers leur tenues trop sobres, loin des marques ostentatoires qu’ils auraient affichées si les affaires florissaient. Puisqu’il était aussi question de restreindre le nombre d’invités et qu’il n’était pas en mesure de montrer l’étendue de leur richesse. Ils demandèrent au jeune homme de repousser la date et d’attendre une autre saison. Sûres de leur décision et de leur engagement, les jeunes amoureux prirent l’initiative de s'organiser et de mener à bien leur projet.

Aux Antilles lorsqu’on se marie on épouse toute une famille. Les invitations chez ses beaux-parents étaient nombreuses. Les jours suivant les repas familiaux se multiplièrent, bien que simples selon eux, car les revenus avaient été amputés de quelques dettes et impôts. Emme découvrait à ce moment les relations familiales aux Antilles ,les conversations, locutions locales ,les ragots et soucis de savoir ce qui se passait chez les autres .Les plaisanteries et les moqueries étaient invités à table avec une facilité dont elle s’étonnait .Il y reignait une complicité fraternelle peu inclusive dont le manque de tact pouvait mettre mal à l’aise .Une des sœur ,Estelle semblait jouer sur ce tableau comme si elle testait pour s’amuser la tolérance d’Emme ,mesurant à quel point elle pouvait tirer sur la corde avant qu’une querelle ouverte ne naisse. On disait que la grossièreté d’Estelle lui avait valu quelques critiques de la part de sa belle-famille. Horacio et Emme mettaient cela sur le compte de la bêtise ou du manque de tact alors que les autres frères et sœurs devenaient progressivement les ombres d’Estelle. Elle avait joué le rôle de l’ainé car c’était la première à être parti du domicile familial après un mariage précipité car on craignait qu’elle soit enceinte à la suite d’une de ses escapades. Non pas parce qu’elle avait plus d’avantage que les autres mais surtout par ce que depuis son jeune âge elle avait été très intéressée par l’amour ,les relations de couples et la recherche d’un bon parti ,du moins tel qu’elle l’imaginait .La réussite était pour elle dans l’apparence physique, la texture des cheveux et voyant qu’elle pouvait nuire à la réputation de la famille si elle se laissait aller dans les bras d’un jeune homme au teint très clair ,son père l’avait poussé à se marier très jeune à un homme qui correspondait à ses critères à elle mais pour qui il devait trouver un métier .

A table, les conversations se noyaient dans un brouhaha ou chacun essayait de parler plus fort que l’autre tandis que les plats passaient de main en main autour de la table. Emme se sentait de plus en plus à l’étroit, presqu’exclue de conversations qu’elle n’arrivait pas à partager, se rapprochant d’Horacio, il manifestait une joie mêlée de désarroi face à sa famille qui ne faisait pas d’effort pour montrer leur meilleur profile. On tapait au dos de celle qui avait faillis ’étouffer à force d’engloutir plats après plats. C’était la plus jeune des filles qui à la dernière occurrence en voulant se resservir avait commencé à manger le plat des restes avant d’être interrompu violemment par les plus grandes et devenir l’objet de plaisanterie .Ses parents avaient manqué de fermeté et d’efficacité dans l’éducation de cette petite .Ils étaient épuisés en fin de journée et souvent désemparée face aux nombreux caprices de cette petite dernière .elle n’en faisait qu’à sa tête et ne connaissait aucun interdit .C’était une situation qu’Horacio comptait gérer au mieux

-Ils exagèrent ! dit Horacio se tournant vers Emme d’une voix étranglée par l’embarras. Puis il força un sourire. Je n’avais jamais porté ce regard, ce n’est pas tous les jours ! Dit-il embarrassé.

De l’autre côté dans la cuisine un éclat de rire fit sursauter Emme, un ami venait d’arriver et se joignait à la troupe pour partager le déjeuner. Il salua toute la tablée en arborant un sourire de ravissement.

-Je vois que vous allez bien ! regardez-moi toute cette nourriture qui va me faire grossir ! dit-il d’un ton souriant. C’était un garçon de bonne famille très respectueux qui venait de temps en temps rendre visite à un des frères qui avait été jadis son camarade de classe et qui avec le temps était considéré comme ayant un lien de parenté tant il partageait les routines familiales et les festivités. Une assiette fut ajoutée, il précisa encore qu’il n’allait pas s’attarder à table car il craignait de s’arrondir.

Aussitôt le déjeuner terminé l’engrenage d’une sorbetière à l’arrière-cours commença à se gripper sur des glaçons mal positionnés. C’était l’ainée des sœurs toujours très besogneuse qui était sortie de table pour aller terminer la préparation du dessert.

Au bout d’un moment tous se levèrent de table. Les plus âgés s’assoupissaient, vaincus par la richesse des mets et une glycémie augmentée. Ils restaient là assis tandis que l’une des filles s’affairait à amener les desserts qu’on allait leur servir. Les yeux hagards et les mains tremblantes il saisirent le bol de glace surmonté d’un biscuit avec ravissement, tout en promettant de ne pas reproduire l’excès le lendemain.

-Reprends le biscuit, c’est trop pour aujourd’hui dit la belle-mère d’un ton amusé.

Une fois le dessert servi, des petits groupes de discussion se formaient, certains racontaient leur semaine, d’autres ragotaient ,jouaient à un jeu de société , se reposaient affalés sur un divan après ce lourd repas .Les filles ainées s’affairaient à laver la vaisselle et préparer quelques mets rapides pour la soirée tout en commentant les discussions du déjeuner .Emme et Horacio restaient à table à discuter de tout et de rien avec la belle-mère qui s’était installée dans son sofa à côté de la table jusqu’à ce qu’un sommeil eu raison d’elle et l’avachi complètement sur le sofa. Horacio savait qu’il fallait se lever et la laisser ainsi une petite heure, temps pendant lequel il profitait pour échanger avec ses sœurs et les convives en gardant à ses côtés sa bien-aimée. Emme restait là, paisiblement à observer et à écouter les conversations auxquelles elle ne participait que faiblement .C’était une personne dont la discrétion n’était ni feinte ,ni calculée : C’était sa nature, une délicatesse spontanée ,une manière respectueuse d’être auprès de l’autre .Sa bienveillance et la pondération interpellait .Cette retenue était souvent perçue dans cette famille aux rapports percutants comme de la timidité craintive .Mais plus tard ,elle découvrit qu’on la croyait hautaine ,distante ,presque méprisante alors qu’elle pensait comme à l’accoutumé laisser la place aux autres dans leurs habitudes.

On entendit des éclats de rires masculins et des claquements résonner en provenance de l’autre côté de la cour .Les filles emmenèrent des verres et des citrons sur un plateau et les posèrent au coin d’une table sous un jeune manguier ou se trouvaient trois voisins et amis ,des hommes d’âge mur qui jouaient au domino avec le beau-père .On savait que s’était parti pour des heures et que le jeu risquait de se terminer par une querelle ou l’un d’entre eux finirait par promettre de ne plus revenir .On ne s’étonna pas de voir qu’au fil du temps le nombre de joueurs se restreignait et les parties devinrent plus rares jusqu’à ne plus avoir lieu chez les parents d’Horacio . Il faut dire que le père d’Horacio était très caractériel et qu’il ne supportait pas de perdre surtout lorsque sa défaite était suivie d’une mauvaise plaisanterie. Le domino était un jeu très populaire aux Antilles. C’était un jeu dont on ne pouvait prédire la fin tant les relations pouvaient être tendues après une bonne partie de rigolade. Les plus jeunes venaient de temps en temps regarder et encourager les joueurs et récoltaient quelques éloges sur leur éducation lorsqu’ils saluaient les joueurs. Les autres discutaient sur le balcon ou s’amusaient dans le jardin. Ce jeu de stratégie et de chance est devenu très populaire aux Antilles depuis qu’il a été introduit par les colons au dix-huitième siècle. Dans les milieux populaires, la plupart des déjeuners en famille se terminaient par une partie de domino. Les bruits de dominos claqués sur la table se mêlaient aux rires et paroles qui se perdaient en un écho sur les murs des maisons environnantes tandis que les femmes réorganisaient la cuisine rangeait la vaisselle ou préparaient quelques petites portions à emporter pour les familles présentes qui leur seraient proposées à leur départ après le service du gâteau. C’était pour Emme des moments riches ou elle apprenait beaucoup sur les traditions culinaires et les manières de ceux qui n’avaient pas quittés le territoire qui perpétuaient des gestes coutumes et manières de faire sans en être conscient comme s’il eut s’agit d’un héritage génétique.

C’est aussi lors de ses repas qu’Emme appris à mieux connaitre sa belle-famille et à percevoir qu’il y avait quelque chose d’étrange dans les agissements de sa belle-sœur Estelle, dont seule la distance du temps lui permettrait peu à peu à comprendre les méandres et la complexité ...

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