Chapitre 26 - Partie 2

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Je m’en rappelle à chaque fois que je fais une partie. C’était chez mes parents, évidemment. Elle était assise avec Nate sur le canapé. Nate rigolait avec mes parents. Thomas parlait avec Maud. Moi, j’étais dans mon coin. Calé contre le chambranle de la porte, bras croisés. J’essayais de m’en foutre, mais je voyais tout.

Le plaid posé négligemment sur ses jambes. La main de Nate sur son genoux. Comme dans une pub ou une sitcom pourrie. Ils avaient l’air… bien. Trop bien. Et moi, je voulais qu’ils ne se touchent pas plus que nécessaire. Cette simple main sur elle, c’était trop. Mais j’ai serré les dents.

Je me concentrais sur mes chaussures, sur le verre que je tenais. A me demander si oui ou non je devais lui offrir le cadeau que j’avais trouvé pour elle. Parce que c’était quelque chose juste pour elle, pas pour eux en tant que couple. Ça me paraissait tout à coup trop intime. Déplacé. Même si j’avais toujours envie de le lui offrir.

Et puis soudain elle était devant moi. Un petit paquet dans les mains. Papier froissé, scotch de travers. Une quantité démesurée de bolduc.

  • Cadeau ! a-t-elle lancé en me le tendant.
  • Pour moi ?

Elle a hoché la tête avec cet air de gamine qui me fait fondre.

  • Je l’ai trouvée il y a des mois ! J’espère que ça te plaira.

Cette réflexion m’a bouleversé. Ils nous faisaient des cadeaux, mais c’était toujours des trucs qu’ils trouvaient ensemble - Nate et elle. Là, c’était quelque chose entre elle et moi. Juste nous deux.

J’ai ouvert, un peu tendu. Et la bourse était là. En cuir véritable, dans une nuance de bleu sombre. Un peu rigide mais souple. Bien cousue.

J’aime bien les dés. Parce qu’on peut faire tout et n'importe quoi avec. Jeu de rôle, jeu en famille, jeu à boire, jeu de sexe… Tant de variantes pour de si petits objets. J’en ai toujours avec moi. Mais à l’époque je les trimballais un peu à l’arrache. Je me disais tout le temps que j’allais les perdre et ça me soulait un peu. C’est un détail que je lui avais dit au détour d’une énième conversation au téléphone. Une mention de quelques secondes à peine. Mais elle n’avait pas oublié.

Ce cadeau, c’était pas un “truc sympa en passant”. Un machin symbolique pour les fêtes comme une écharpe ou une connerie achetée à la va-vite parce qu’il fallait cocher une case sur la liste des personnes à qui offrir un cadeau.

Je l’ai prise dans mes bras. C’était déjà une habitude entre nous. Personne n’y verrait quoique ce soit. Et j’en avais besoin. De l’avoir contre moi. Elle qui m’entendait, m’écoutait et retenait.

  • Merci. J’ai quelque chose pour toi, moi aussi.

J’ai posé mon verre sur la table, filé vers ma chambre et suis revenu avec mon propre emballage. A peu près aussi mal fait que le sien. C’est comme ça que je lui ai offert ce putain de t-shirt hippocampe qu’elle traine partout, elle aussi.

Je fais rouler les dés dans ma paume, un sourire con aux lèvres. Un mouvement dans mon champ de vision me ramène à l’instant présent. Radieuse, Maud me rejoint sans un mot. A peine installée, je propose :

  • Tu veux jouer ?
  • Aux dés ? Tu sais que tu vas perdre ? assure-t-elle.
  • Ça dépend à quoi on joue. Et de la mise.

Si au moins un de nous se retrouve à poil, je suis quand même gagnant. Malheureusement, elle anticipe :

  • Peu importe ce à quoi on joue, je garde mes vêtements.

Dommage. Mais pas grave. Elle n’a pas dit qu’ils devaient rester aussi après le jeu.

  • Ok. Alors une vérité, un gage… Tout est permis. Tant qu’on reste habillés. Ça te va ?
  • Ça marche. Quatre vingt-et-un ? On a des cailloux en guise de jetons.
  • Ou on peut jouer sans et passer aux enchères ?
  • Aussi. Dans tous les cas, je vais t’éclater.

Elle prend les dés, les lance et obtient un résultat vraiment nul : 5, 3, 2. Des possibilités mais pas de score immédiat. Je la chambre et son regard de défi apparaît. Elle reprend les dés, annonce qu’elle va faire un 4 et un 1. Et elle les sort, comme si les dés lui obéissaient.

Je tente de faire mieux. J’échoue. Lamentablement.

  • Pourquoi tu t’es intéressé à la cuisine ? demande-t-elle. Je veux pas tomber dans les clichés, mais c’est plutôt un truc de fille…
  • J’ai quitté la maison assez vite. Je voulais pas manger de la merde ou foutre en l’air mon argent dans des trucs à emporter… Je suis tombé sur un site qui donne des idées de plats avec les restes du frigo. Et puis, je sais pas… Ça m’a plu de jouer avec les odeurs et les saveurs. C’est comme les cocktails, mais avec du solide. Ça demande de réfléchir mais sans… penser, tu vois ?

Elle hoche la tête. Je récupère les dés. Cette fois, c’est mon tour. En deux coups, j’arrive à la troisième combinaison maîtresse : triple 6. Ça ne va pas être facile à battre. Elle me fout un coup de chaud quand elle sort deux 1 à son premier jet. Elle a une chance sur trois de l’emporter. Elle fait rouler le dé dans sa main, le lance et… fait un 3.

C’est moi qui gagne. Je pourrais lui filer un gage débile, ou lui demander un truc sexy, mais non. J’ai envie de l’écouter.

  • Un pays où tu rêves d’aller ?
  • J’ai envie de dire la Grèce, mais… Mon rêve s’est déjà réalisé, sourit-elle avec un regard vers la clairière. Peut-être l’Italie dans ce cas, pour voir d’autres types de ruines. Paestum, Pompei…

La manche suivante, elle me défonce. 421 direct.

Putain, c’est quoi cette chance ? Si c’était pas mes dés, je pourrais croire qu’elle triche.

  • Tu sais ce que tu veux faire après la Grèce ? C’est quoi tes plans ? me questionne-t-elle

Mes plans ? Y a jamais de plan. Je vais là où je trouve du taf. Je vais là où je suis le plus susceptible de gagner de l’argent. Au cas où je ne trouve pas de taf justement. Pour avoir une réserve sur laquelle vivre.

  • J’ai jamais vraiment de plan. Je me laisse porter.

Elle m’écoute. Attentive. Curieuse. Je ne sais pas ce qui me prend d’ajouter :

  • Mais je ne sais pas… Peut-être que je me renseignerai sur l’Italie.

J’entends sa respiration avoir un raté. Parce que, oui, bien sûr que je pense à l’Italie pour elle. Avec son métier bizarre, elle pourrait venir avec moi partout. Je suis sûr qu’elle me rejoindrait sans discuter si je lui proposais. Mais peut-être que c’est moi qui peut la suivre dans ses envies ?

Je la regarde, un peu soufflée, un peu rose aussi. Un parfum d'agrume vient se mêler à son odeur florale.

  • Pourquoi tu me regardes comme ça ? murmure-t-elle.
  • Je te regarde, c’est tout.

J’ai envie d’elle, moi aussi. Je ne sais pas si ça se voit. Vu qu’elle n’a pas encore réagi, je crois que non. Mais ça ne va pas durer. Elle rougit un peu plus et ajoute d’une voix encore plus basse :

  • Tant que tu apprécies ce que tu vois…
  • C’est le cas.

Je prends sa main dans la mienne. L’effleure de mes lèvres. Un geste doux, tendre. Pour essayer de faire descendre la pression qui est montée d’un coup.

Et je reprends la partie. Mon lancer est bon : trois 1 direct. Qu’elle ne parvient pas à surpasser. Elle me regarde toujours intensément. Le genre de regard brûlant et sexy qui ne m’aide pas du tout à me calmer.

Je subtilise un dé, le fais tourner entre mes doigts. Pour occuper mes doigts. Pour essayer de redescendre. Ça ne marche pas. Putain j’en veux plus. Plus d’elle, plus de contact. Et pas juste embrasser sa main.

Je ne la lâche pas des yeux. J’avance juste un peu. Mon genou effleure le sien. Je me penche vers elle. Lentement. Je sens son souffle changer.

Je pourrais l’embrasser. Me perdre dans sa peau, là, tout de suite. Mais, même si elle semble excitée, je ne sais pas si elle pourrait s’autoriser à aller jusqu’au bout dans un lieu comme celui-ci. Trop sacré.

Et c’est vrai que le cadre est dingue. Les ruines derrière, le soleil qui filtre dans les feuilles. Alors je suspends mon mouvement. Parce que je me rends compte que je veux garder une trace de ça.

  • Va t’adosser à l’arbre, là, je lâche. Mets les mains derrière le dos. Regarde vers les ruines.
  • Pourquoi ? demande-t-elle, suspicieuse.
  • Parce que c’est ton gage.

Et que ça me permet de l’éloigner juste ce qu’il faut pour que je ne craque pas. Pas tout de suite en tout cas.

Elle se relève, une moue boudeuse aux lèvres, mais docile. Elle se positionne, exactement comme je l’avais imaginé. Je sors mon téléphone, je fais une rapide mise au point, un léger filtre. Son regard se perd au loin.

Clic.

On dirait presque une peinture moderne. Elle sourit tout à coup. Mon doigt agit plus vite que ma pensée.

Clic.

Celle-ci est parfaite. Probablement la plus belle de toute ma collection.

L’éloigner ne sert à rien. Mon érection empire à vue d’oeil. Je me redresse, sans attendre. Elle reste immobile. Je m’approche pour la prendre dans mes bras. Je pose mes lèvres sur le haut de sa poitrine. Je savoure la douceur de sa peau. Je caresse ses côtes à travers son t-shirt. Je guette ses réactions.

Elle ne dit rien, ne bouge pas. J’écarte ses cheveux, me glisse contre son cou. J’ouvre la bouche, comme si j’allais la manger, mais je me contente de l’embrasser.

En un instant, elle est contre moi, son bassin pressé au mien, son souffle court dans mon cou. On est debout, à peine à l’écart du sentier. Personne à l’horizon. Le soleil tape encore, mais les arbres filtrent la lumière. Tout est doré, tiède, suspendu.

  • J’ai tellement envie de toi maintenant, j’avoue.

Elle se hisse sur la pointe des pieds, enroule ses mains glacées autour de mon cou. Pas un “oui”, mais pas un “non” non plus.

J’enfouis mon visage dans son cou, l’embrasse, la goûte, la respire. Sa peau est chaude, un peu salée. Son souffle est rapide. Je la relance :

  • Je pourrais te prendre, là, tout de suite.
  • Qu’est-ce que tu attends, alors ?

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