Chapitre 1

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 Assise sur le banc de son piano, elle effleurait les touches de son clavier, enchainant les accords faisant s’élever dans la pièce la douce mélodie que son père aimait tant entendre. Son frerefrère et lui discutaient. De quoi ? Elle n’en savait rien, elle ne l’avait jamais su. Son jumeau, favori de leur père, ne lui révélait jamais rien de leurs entrevues, prétextant que les affaires du manoir ne l’intéresseraient pas. "Une femme ne devrait pas à se soucier de la gestion du domaine, elle a bien assez de choses à faire pour s'occuper du foyer." Il est vrai qu’elle ne portait aucun intérêt pour les comptes de la demeure, mais le sentiment d’exclusion qu’elle ressentait dans des moments comme celui-ci était bien pire qu’une conversation au dénouement peu captivant.

Les notes se déversaient dans chaque recoin de la pièce jusqu’à se tarir. La partition arrivait à sa fin et aucune autre mélodie ne lui venait en tête, du moins, aucune susceptible de satisfaire son père. Elle laissa donc ses mains en suspend au-dessus du clavier, la tête baissée, attendant la moindre remarque de la part de son père qui ne semblait pas arrivée. Elle releva la tête et vit les deux hommes qui la fixaient ; un lui souriait, l’autre la fusillait. Elle plongea son regard dans celui de son frère, cherchant un réconfort qu’il s’empressa de lui donner. Le second se leva alors d’un geste vif et quitta la pièce sans un mot. Elle soupira, à la fois soulagée et déçue que l'homme qui lui servait de père ne lui porte toujours aucun sorte d'intérêt, à part du mépris, il ne ressentait rien pour elle, elle en était persuadée. Son frère vint la rejoindre près de l'instrument, une main tendue dans sa direction.

- Ne t’en fais pas, il s’en remettra.

 Main dans la main, les jumeaux quittèrent la maison pour se diriger vers les jardins. Une promenade au calme, loin de l’agitation qui régnait à l’intérieur. Les fleurs, les haies, l’air frais. Il y avait ce petit quelque chose d’apaisant et de réconfortant qu’elle ne retrouvait nulle part ailleurs, probablement parce que cet endroit était, d'après les rumeurs, le lieu préféré de leur défunte mère. Une partie d'elle régnait encore dans l'atmosphère du jardin. Mais seul lui importait son frère, près d'elle. Il allait bien, alors tout était parfait. Peu importe le sort qu’on le lui réservait, tant qu'ils restaient ensemble, tout se passerait bien, elle en était persuadée. Elle se rappelait encore de leurs années d’insouciance, de ces petits moments entre deux cours de chant où ils se retrouvaient, jouaient, riaient, sans se soucier du regard qu’on leur porterait, sans se soucier de l’avis de leur père. Pourtant, sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi, son père avait toujours préféré son jumeau. Peut-être parce que lui était un homme et pas elle. Probablement.

Elle tourna la tête vers l’homme à ses côtés et l’observa. Il était plus grand qu’elle, mais les mêmes traits de visage les unissaient. Les mêmes lèvres pleines, le même nez fin, les mêmes pommettes surélevées, le regard sûr, fier et d’un gris déstabilisant. Tout le contraire de leur père. Plusieurs fois elle avait entendu sa gouvernante lui chuchoter à quel point ils ressemblaient à Madame. Mais tout ce qui leur rappelait leur mère se limitait à un portrait présent dans la chambre de leur père qu’ils n’avaient pu que rapidement apercevoir lors d’une de leurs escapades à travers les longs couloirs du manoir. Ils avaient, dans un élan de courage, osé ouvrir la porte de la chambre, y pénétrer pour surprendre leur père et étaient tombés sur le tableau de cette dame. Une grande brune au regard bienveillant, le buste droit, un sourire fier sur le visage. Qu'elle était belle… Stupéfaits, ils n’avaient plus bougé, admiratifs face à cette femme qui leur ressemblait tant. Jusqu’à ce que leur père ne les découvre, furieux, et qu’il ne s’en prenne à elle pour la première fois. Elle avait huit ans. Huit ans quand il avait levé pour la première fois la main sur elle. Elle se rappellait encore de chaque cri, de chaque injure, de chaque coup qu’il lui avait porté ce jour-là. Si elle avait su, si elle avait su que tout ceci n’était que le début ! Qu’aurait-elle pu faire ? Rien. Les pleurs, les prières, rien n’y avait fait. Il l’avait finalement poussée hors de cette chambre. Allongée contre le mur de ce long couloir, elle avait à peine entendu le cri de sa gouvernante qui l’appelait. Elle l’avait ramenée dans sa chambre, l’avait lavée avant de la coucher. La femme n’en revenait pas et elle retenait de justesse ses larmes face à la petite fille pour ne pas l’affoler plus qu’elle ne l’était déjà. Mais le sommeil de l'enfant ne tarda pas à arriver, elle était bien trop épuisée pour tenir plus longtemps, complètement vidée de son énergie. Mais ce malheureux souvenir n’empêchait en rien la demoiselle de profiter pleinement de son frère, de leur relation, de leur complicité.

-Suzanne, Père m’a parlé de quelque chose d'important tout à l'heure. Autant pour toi que pour moi. Mais je crois qu’il n’avait guère envie d’une confrontation avec toi aujourd’hui, il m'a donc chargé de te prévenir.

-Qu’est-ce donc ?

 Il s’arrêta de marcher et pris les mains de sa sœur au creux des siennes dans le but de la rassurer et se donner du courage, la nouvelle ne l'enchantait pas vraiment, mais il acceptait son sort et se résignait à obéir à son père. Il se marierait, reprendrait le domaine et n'aurait plus jamais affaire à lui. Alors, en attendant que ce jour n'arrive, il se contentait de suivre ses ordres.

-Nous allons bientôt avoir vingt et un ans, et Père estime qu’il est temps pour nous de nous marier.

Les sourcils de la jeune femme se froncèrent et elle recula d'un pas, ayant peur de comprendre où son frère voulait en venir. Si son père redoutait tant la conversation, c'était probablement qu'elle ne lui plairait pas, mais pour l'instant, l'idée de se trouver un prétendant ne lui déplaisait guère. Elle pourrait s'évader de ce domaine tout en continuant à voir son frère. C'était la solution parfaite, le remède à tous ces maux... Mais une idée de son père ne pouvait pas être aussi bienveillante, encore moins si elle était concernée par cette décision.

guère. Elle pourrait s'évader de se domaine tout en cotinuant à voir son frère. C'était la solution parfaite, le remède à tout ces mots... Mais une idée de son père ne pouvait pas être aussi bienveillante, encore moins si elle était concernée par ette décision. .

-Il nous a organisé un bal dans deux jours, le soir de notre anniversaire.

-Mais ?

-Si nous ne trouvons personne au cours de la soirée, il se chargera lui-même de nous trouver quelqu’un.

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