Chapitre 3 : Première soirée
Lydiana était à bout de forces. La lumière de la pleine lune avait remplacé celle du soleil depuis plusieurs heures, mais la marche avait continué, avec de courtes pauses pour seule occasion de souffler un peu.
Elle ne montrait pourtant pas sa fatigue. Elle avait déjà l'impression que les garçons, particulièrement Aaron, la prenaient pour une petite chose fragile, et ne souhaitait pas les renforcer dans leur opinion. Elle mettait donc un pied devant l'autre sans protester. Elle était forte.
Malgré ses vêtements en tissu fin, Lydiana ne pensait pas déjà avoir eu aussi chaud. Elle se demandait comment Erik faisait pour supporter la chaleur, lui qui n'avait toujours pas enlevé son casque.
En fait, elle se demandait comment les trois garçons faisaient. Il lui semblait que son petit sac pesait une tonne, et il était pourtant, en comparaison avec les bagages des garçons, aussi léger qu'une souris. Erik portait un espèce d'amas de toile sur le dos, Devin un carquois et un arc à flèches et Aaron un énorme sac. Lydiana se demandait comment ils faisaient pour ne pas crouler sous la chaleur.
Mais Lydiana essayait de profiter de cette température estivale. Lors d'une de leurs courtes pauses, Devin avait étendu une vieille carte dans la poussière et leur avait expliqué les étapes à venir dans leur voyage. Il fallait d'abord qu'ils sortent de Nulle Part. Pour le moment, c'était simple, il suffisait de suivre la route qu'ils suivaient depuis des heures. Mais il les avait bien avertis que bientôt, ils bifurqueraient vers la forêt pour être moins repérables. Les garçons semblaient tellement craindre qu'ils ne se fassent repérer pendant leur voyage que Lydiana était presque gagnée par leur inquiétude. Ce qui ne manquait pas de l'inquiéter, par contre, étaient les montagne de l'Éternel, enneigées et dangereuses. Ce serait leur prochain défi, après une dizaine de jours de marche dans Nulle part. Rien que d'y penser, Lydiana frissonait.
Nulle Part ne faisait partie d'aucun royaume connu. C'était un endroit où habitaient les gens bannis, les fous et ceux qui souhaitaient plus rester en société. À cause de la distance qui séparait les habitants, mais aussi de l'aura de l'endroit qui diminuait les pouvoirs de tous, les assassinats se faisaient rares. C'était en vérité l'exact contraire d'Elodoria, pensait amèrement Lydiana.
— Hé, lança soudain Aaron. On devrait peut-être monter le camp, non ? À Nulle Part, on peut bien voyager de jour.
Lydiana lui en fut bien reconnaissante, malgré la méfiance qu'il lui inspirait.
— C'est vrai, acquiesça Devin.
Erik pinça les lèvres, mais hocha finalement la tête. Lydiana était si soulagée qu'elle faillit pousser un long soupir pour le manifester, mais elle se retint à temps. Elle aussi hocha la tête pour donner son accord, même si personne ne lui avait demandé son avis.
Les garçons tentèrent de monter la tente sur le bord de la route, mais Lydiana voyait bien qu'à trois, ils n'y arriveraient pas. La toile glissait d'un côté et de l'autre, sans que personne ne puisse la retenir. Elle posa doucement son sac contre une pierre et, sans un mot, empoigna la toile et la maintint de façon à ce que les garçons puissent planter les piquets sans être gênés.
Elle intercepta un regard reconnaissant de Devin et lui sourit en retour.
Aaron, au contraire, semblait plus agacé que soulagé par son aide. La lassitude qu'elle lut dans ses yeux la troubla légèrement. Elle se raisonna : la journée avait été éprouvante pour tout le monde. Le mélange de peur, de tristesse et de la chaleur pesante avait dû la rendre un peu plus suceptible. Il fallait qu'elle dorme.
— Je prends le premier tour de garde, lança sèchement Aaron, une fois la tente montée.
Tour de garde ? Lydiana avait toujours eu l'impression que Nulle Part était un endroit sécuritaire. L'idée de devoir monter la garde pendant la nuit ne lui aurait jamais traversé l'esprit. Mais elle supposait que les soldats savaient mieux qu'elle ce qu'ils faisaient. Tellement qu'une pensée lui traversa l'esprit. Pour la première fois, elle douta de leur honnêteté. Peut-être étaient-ils priés de ne rien lui révéler ? Peut-être savaient-ils pour le mariage ? Elle chassa ces pensées. Pour le moment, les garçons étaient ses seuls alliés. Il ne fallait pas qu'elle doute d'eux.
Erik et Devin s'étaient déjà engouffrés dans la tente. Aaron ne lui adressait aucun regard. Elle décida donc d'écarter les pans de toile de la tente et d'entrer à son tour.
Les deux garçons avaient allumé une petite bougie qu'ils avaient posé par terre, au milieu de la tente. Erik lui tendit une couverture faite d'une matière que Lydiana analysa comme étant de la laine. Elle avisa ses vêtements. Son chemisier et ses pantalons étaient assez confortables pour qu'elle songe à dormir avec. De toute façon, ce n'était pas comme si elle avait beaucoup d'autres vêtements. Son sac contenait une jupe au cas où il lui aurait fallu être présentable à un moment dans leur voyage, mais rien d'autre. Plus elle y pensait, plus elle était reconnaissante aux garçons de n'avoir fait aucun commentaire sur sa tenue peu convenable. Mais s'il semblait être difficile d'accepter que la princesse puisse monter une tente, qu'elle porte des pantalons était visiblement un fait *accepté*. Décidément, elle ne comprendrait jamais rien aux garçons.
Lydiana s'enveloppa avec la couverture et se coucha dans un coin de la tente. Devin et Erik arrangèrent leurs propres lits, puis elle entendit l'un d'eux souffler la bougie. Dans la noirceur, il lui fut plus difficile d'oublier ses pensées.
Elle finit tout de même par s'endormir, des questions plein la tête.
Lorsque Lydiana se réveilla, il lui fallut un moment pour comprendre pourquoi son lit était si inconfortable, pourquoi elle avait aussi chaud et pourquoi il faisait si noir. Puis, elle se rappela. À travers la toile de la tente, elle ne distinguait aucune lumière. Elle avait conscience qu'elle aurait pu se rendormir et profiter de quelques heures de sommeil supplémentaires, mais, sans trop savoir pourquoi, elle se redressa. En essayant de faire le moins de bruit possible, elle écarta les pans de toile qui servaient d'entrée à la tente et se glissa à l'extérieur.
De l'extérieur, tout était moins effrayant. Les étoiles éclairaient le chemin de leur douce lumière rassurante. Elle distingua, à quelques mètres de son propre emplacement, la silhouette de dos d'Aaron. Le garçon semblait pensif, si ce n'était pas qu'il était endormi. Pour en avoir le coeur net, Lydiana s'approcha doucement et se posta à ses côtés, tentant de voir son visage. À son grand étonnement, il tourna la tête vers elle. Il ne semblait pas vraiment surpris de la voir, mais c'était peut-être parce qu'elle n'avait pas été très subtile dans sa sortie de la tente.
— Princesse ? dit-il d'une voix rauque.
— Lydiana, répondit-elle d'un ton sec. Je veux dire, je préfère qu'on m'appelle par mon prénom, rectifia-t-elle plus gentiment.
— D'accord. Mais... Vous... Euh... Tu... ne veux pas retourner te coucher ?
— Ça va. Voulez-vous... Veux-tu que je vous... te... remplace ?
— Mmh, marmonna-t-il sans toutefois faire le moindre mouvement.
Elle s'assit à ses côtés, sur la grande roche où il s'était installé. Ils restèrent de longues minutes ainsi, sans prononcer le moindre mot. Puis, semblant s'éveiller de sa torpeur, Aaron tourna la tête vers elle.
— Vous devriez aller vous coucher. Demain, nous aurons beaucoup de chemin à faire.
— Et toi ? murmura-t-elle, changeant subtilement de pronom. Il est plus juste que je prenne le relais.
— Plus juste ? lança Aaron plus fort. Mon Dieu, c'est nous qui sommes supposés te protéger, c'est ridicule que tu prennes des tours de garde.
— Et tu penses pouvoir me protéger en ne dormant pas une nuit sur trois ? De toute façon, on ne se fera pas attaquer ici. Pas à Nulle Part.
— Hmmm. Tu as sans doute raison... Mais dès qu'on ne sera plus en territoire libre, ce ne sera plus possible.
— On verra bien à ce moment-là.
Pendant que Aaron retournait vers la tente, Lydiana ne put s'empêcher d'espérer qu'il revienne sur ces paroles quand ils en seraient là. Elle n'avait aucune envie d'être un fardeau. Elle regarda longuement l'horizon en pensant aux secrets, aux mariages et aux voyages périlleux.
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