Chapitre 12 : Lucas

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  Il était temps, le compte à rebours était terminé. Les jours, les heures, les soupirs contenus, tout cela n’avait été qu’un prélude. Mia devait revenir, et elle allait revenir, pas parce qu’elle le voulait, non, mais parce que je la forcerais, parce qu’il ne pouvait en être autrement. Je savais exactement comment la faire plier. Il suffisait d’ôter à ce monde ce qu’il avait de stable, de beau, de vivant. Ce refuge illusoire où elle s'était cachée, ce théâtre de paix éphémère qu'ils avaient bâti… Je n’y voyais qu’un décor fragile, une façade, et je comptais bien la réduire en cendres.

Je n’étais pas venu pour parlementer, pas cette fois. Ils m’ont arraché ce qui m’appartenait et je vais leur montrer ce que cela coûte. Je brûlerai cette ville pierre par pierre, je plongerai ses habitants dans la peur, dans le doute, dans la douleur. J’éteindrai chaque lumière, chaque certitude, jusqu’à ce qu’il ne reste que moi dans leur nuit.

Je n’ai jamais craint la destruction. Elle a toujours été ma langue, mon arme, mon art. J’ai vu trop de choses se briser pour croire encore à la douceur. Je ne suis pas fait pour les compromis, je suis fait pour imposer, pour écraser et si c’est la seule façon de lui rappeler qui je suis… alors soit. Mia reviendra et quand elle se tiendra face à moi, les mains tachées des cendres de ceux qu’elle a voulu protéger… alors elle comprendra, elle comprendra que l’on n’échappe pas à ses racines qu’on ne m’échappe pas à moi.

J’avançais dans l’ombre, capuchon rabattu sur le visage, les poings serrés dans les poches. Le jour déclinait lentement, baignant les rues d’une lumière dorée, trompeusement paisible. Personne ne faisait attention à moi. Les habitants riaient, discutaient, portaient des paniers pleins de fruits, des sacs de farine, des tissus cousus à la main. Une ville simple, fragile, heureuse.

Je connaissais ce genre de bonheur, je savais aussi à quel point il était éphémère. J’avais repéré les endroits stratégiques dès mon arrivée. L’ancienne grange transformée en entrepôt. Le moulin, reconstruit avec soin. L’école, toute en bois clair. La bibliothèque, avec ses centaines de parchemins précieux… trop de beauté concentrée au même endroit, trop de naïveté. Je n’avais pas besoin de magie, juste de silence et de feu.

Le bidon d’essence que j’avais volé dans une remise m’alourdissais le bras. Je me faufilai jusqu’à l’arrière de la grange, pas un bruit. Je déversai le liquide en une ligne irrégulière sur les murs, dans les herbes sèches, puis jusqu’à une charrette pleine de bois de chauffage. Je reculai, sortit une boîte d’allumettes, l’humidité de mes mains rendit la première inutilisable. Je craquai la seconde et ce fut une flamme fragile, orange, vacillante. Je la regardai un instant,, puis la laissa tomber.

Les flammes gagnèrent en force en quelques secondes, courant sur le bois comme sur une mèche. Le craquement du feu se mêla bientôt à un premier cri, aigu, loin derrière des pas, des voix, des alarmes improvisées. Je souris. Je n’avais pas besoin de plus.

Je me déplaçai dans les ruelles en feu follet, je fis la même chose au moulin, un simple chiffon imbibé d’essence coincé dans les meules, une étincelle à l’arrière. Le feu prenait vite, trop vite pour qu’on comprenne ce qui se passait vraiment. La ville s’éveilla à la panique.

Les cloches sonnèrent. Des groupes couraient, se formaient pour contenir les flammes, mais personne ne savait d’où elles partaient, ni pourquoi. Dans la confusion, je m’étais fondu dans la foule, couvert de suie, respirant à peine, invisible. Je n’étais pas venu pour tuer, pas encore. J’étais venu pour envoyer un message. Il n’y a pas de paix tant que je suis là, il n’y aura pas de refuge, pas de sécurité et Mia le saurait.

Il était temps qu’elle sache. Le feu dévorait lentement la ville derrière moi, rougeoyant comme un cœur malade. Les cris s’élevaient au loin, confus, mêlés aux ordres hurlés des villageois qui tentaient d’organiser la riposte, mais ils ne me voyaient pas, personne ne me voyait et pourtant, j’étais là. J’étais le début de la fin.

Je sortis mon téléphone, l’écran éclaira mon visage, et je basculai sur le mode vidéo. Je cadrerai bien, la grange en feu, les toitures noircies, la panique rampante, puis moi. Je fis un pas de côté, m’insérant dans l’image, et je levai la main pour saluer d’un geste presque amical. Un sourire s’étira sur mes lèvres, calme, tranquille, une fausse douceur pour annoncer l’horreur.

« Salut, Mia. Je crois que tu sais où me trouver. »

Je mis fin à l’enregistrement. Un message simple, froid, cinglant et terriblement clair.

Je composai son numéro, celui que mes informateurs avaient récupéré directement dans les archives du téléphone de Gabriel. Rien de plus facile, il suffisait de savoir où chercher. Gabriel ne prenait pas assez de précautions, trop sûr de lui. Je joignis la vidéo au message, ajoutant simplement : « Le monde sans magie. Ta paix. Ton mensonge. » Et j’appuyai sur envoyer.

Je fixai l’écran, observant l’indicateur de chargement, puis, quand l’envoi fut terminé, je rangeai lentement le téléphone dans ma poche, le sourire toujours aux lèvres. Elle viendrait, je la connaissais. Elle ne pouvait pas ignorer cela, pas ignorer les flammes, ni les innocents pris dans l’enfer que j’avais allumé, pas ignorer l’ombre que j’avais laissée derrière moi. Elle viendrait et alors, mon plan pourrait enfin s’achever.

Je me mets en marche vers l’atelier de Gabriel. L’air est frais, chargé d’une tension discrète, comme si la ville elle-même retenait son souffle. On m’a dit qu’il était rentré chez lui, rien de plus. Juste cette bribe d’information, lâchée à mi-voix, mais suffisante pour éveiller en moi un pressentiment. Chaque pas me rapproche de l’inconnu, mais aussi d’une vérité que je pressens. L’atelier de Gabriel n’est jamais un simple lieu. Il est vivant, il écoute, il enferme des secrets entre ses murs et moi, ce soir, je veux en percer un. Je veux être sur de gagner et rien ne dois jouer en ma défaveur.

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