Chapitre 26 : James

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Cela fait maintenant deux semaines que Mia nous a quittés… et pourtant, son absence continue de m’étreindre avec une force brutale et silencieuse. Elle me manque, non pas comme on manque une présence passagère, mais comme une part entière de moi arrachée trop tôt, trop violemment. Chaque matin, je me réveille avec cette sensation dérangeante de normalité factice. Tout semble à sa place, les objets, les voix familières, le ciel à travers la fenêtre, et pourtant, tout résonne faux. Le monde continue de tourner, les routines se répètent : je parle avec mon père, j’aide là où je peux, je veille sur Émilie… mais chaque geste, chaque parole, semble flotter dans un espace vidé de sens. Il y a un vide. Constant. Invisible mais implacable. Une pièce manquante dans ce puzzle qu’on appelle vie. On croit pouvoir avancer sans elle, mais on trébuche, toujours, sur le manque. Et la nuit… c’est là que sa présence me hante le plus. Dans mes rêves, Mia revient , floue d’abord, puis de plus en plus nette. Je la vois dans les flammes, dans le tumulte d’un combat, le regard farouche, le souffle court, mais il y a aussi autre chose… un éclat de tendresse, une promesse muette glissée dans un regard échangé, dans une main tendue que je n’arrive jamais à saisir. Puis l’aube revient, cruelle, effaçant tout ce qui semblait réel. Je rouvre les yeux, seul, avec l’impression d’avoir perdu Mia une seconde fois. Elle n’est plus là. Mais je continue à l’attendre. À l’espérer. Parce que je refuse de croire que c’est ainsi que son histoire s’achève. Et ceci se passe tous les matins.

Je me frotte le visage avec agacement, les doigts crispés contre mes tempes. Le sommeil me fuit, comme chaque nuit depuis que je l’ai perdue. Mon corps cherche le repos, je me tourne, me retourne, mais mon esprit, lui, reste prisonnier d’un tumulte que rien ne calme. Les heures passent, lentes et cruelles, et dans le silence, son absence pèse comme une ancre. Puis soudain, tout bascule. Le monde autour de moi devient flou. Mon souffle se raccourcit. L’air se glace. Une brume épaisse m’enveloppe, engloutissant la pièce. Je ne suis plus dans ma chambre. Je suis debout, ailleurs, dans un lieu étrange, inconnu, mais étrangement familier, comme un souvenir oublié qui cherche à refaire surface. Et puis je l’entends. Sa voix douce, brisée.

— James…

Je pivote sur moi-même, le cœur battant. Elle est là, quelque part, tout près et pourtant hors de portée.

— James… aide-moi…

Je cours. J’appelle. La brume se referme, oppressante. Je ne vois rien, mais je la sens. Je sens sa peur, son désespoir, et dans cet espace entre rêve et cauchemar, un cri fend le silence, comme un fil tendu prêt à se rompre.

— Mia !

Je me réveille en sursaut. Le souffle court, le corps en sueur. Le nom est encore sur mes lèvres, vibrant, douloureux. Il résonne dans la pièce vide, suspendu dans l’air comme un souvenir qu’on refuse de laisser s’éteindre. Je reste là, assis sur le lit, les draps froissés autour de moi, le cœur battant à m’en briser la poitrine.
J’arrive dans le salon, mon père n’est pas encore levé. Je profite du calme pour prendre un petit déjeuner. Le thé est trop fort, comme toujours, au moment de le porter à mes lèvres, un souvenir me traverse, fugace. Un rire. Une voix douce. Un regard moqueur.

— Tu ne sais pas faire de thé, Ostaria-boy, donne moi ça.

Je sursaute, regarde autour de moi. Personne. Ce n’était qu’une pensée. Un fragment.Elle n’est pas là…

Je passe la matinée à faire semblant, à parler avec ceux qui restent, à aider les blessés, les jeunes, ceux qui ne comprennent pas encore ce qu’on a perdu. Certains baissent les yeux en me voyant, d’autres me regardent avec cette compassion maladroite, insupportable. Ils veulent que j’aille bien, que je sois fort, pour eux, pour mon père, pour Émilie mais je ne suis plus que l’ombre de moi-même.

Je traverse les journées sans les vivre, je réponds sans écouter, je dors sans me reposer. Je marche dans la forêt et je baisse les yeux, sur le sol, dans la poussière de la terre, une ligne fine, comme tracée au doigt, un symbole presque effacé, mais je le reconnais. C’est une rune de protection, l’une de celles que Mia dessinait, presque machinalement, quand elle s’ennuyait. Je recule d’un pas, glacé, ce n’est pas possible. Je m’agenouille, passe les doigts sur le sol. Le tracé est réel, léger mais présent.

Je me redresse lentement, le cœur tambourinant, peut-être que je deviens fou, peut-être que je veux tellement la revoir que je commence à inventer des signes mais une partie de moi, une infime étincelle, refuse d’écarter ce que je viens de voir et dans le silence de la nuit, je murmure, sans m’en rendre compte :

— Mia…

Puis je secoue la tête. Non. Elle est morte. Elle est morte et je dois l’accepter. Elle a dû dessiner cette rune lors de l’une de ses balades.

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