« Christophe, il est temps. » La voix éraillée de sa grand-mère sonnait comme une supplication à cet instant.

« Tu es certaine Nana ? » Demanda-t-il, l’anxiété se lisait sur ses traits juvéniles.

« Plus que jamais. Ne te sens pas coupable voyons, il est temps que tu voles de tes propres ailes. Te soucier de moi ne ferait que ralentir ton ascension, de grandes choses t’attendent, j’en suis sûre. » Elle lui fit signe de s’approcher, un sourire radieux aux lèvres.

Christophe l’avait rarement vue aussi vive depuis l’annonce de sa maladie. Ses yeux d'ordinaire si ternes, brillaient de mille feux. Son cœur se serra alors qu’il se penchait sur le lit médical. Elle posa une main rugueuse sur sa joue. Il n’avait pas remarqué qu’il pleurait, il renifla faiblement et détourna le regard, honteux. Il lui avait promis de l’honorer, de bannir la tristesse de ses derniers instants pour que son sourire illumine son sommeil éternel.

« Oh, trésor. » Elle essuya soigneusement ses joues de son pouce. « Tu es plus fort que tu ne le crois. Tu as toute la vie devant toi, fais tout ce dont tu rêves. Penses à ton bonheur avant tout. » Le jeune homme serra sa main contre son visage, s’imprégnant de sa chaleur réconfortante.

« Tu vas me manquer Nana. Je t’aime. » Sa voix tremblante témoignait des émotions qu’il s’efforçait de contenir pour faire bonne figure.

« Je t’aime aussi. »

Christophe déposa un baiser sur son front puis se tourna vers la machine qui la maintenait en vie. Il ne savait pas s’il faisait le bon choix, si c’était sain de tuer celle qui l’avait élevé comme son propre fils. Nana avait dédié ces dix-huit dernières années à s’occuper de lui, à l’aimer plus que quiconque ne l’avait fait. La perdre revenait à s’arracher une partie de lui-même. Il ne pouvait se montrer égoïste maintenant. Nana voulait que ce soit lui et personne d’autre. Elle voulait une mort digne après toutes ces années de souffrance. Christophe leva le bras, le doigt à quelques millimètres de l’énorme bouton rouge, il sentait un mal être grandissant au fond de son ventre. Un monstre aux dents acérés qui dévoraient ses viscères. Malgré cette douleur profonde, il trouva le courage de plonger son regard dans celui de Nana. Elle était apaisée, confiante, sereine. Elle était prête à faire le grand voyage, à partir explorer l’inconnu, loin de lui. Il activa ses zygomatiques pour lui offrir un sourire éblouissant. La pulpe de son doigt pressa le bouton. Des bips s’affolèrent de toutes parts. Les sons assourdissants brisaient la quiétude de la petite chambre.

Nana le baignait de son amour inconditionnel avec son regard fier et déterminé, elle était prête à affronter toutes les tempêtes. Une vraie force de la nature. Il l’avait pensée éternelle, capable d’atteindre l’âge d’or qu’était la centaine. La maladie lui était tombée dessus. Une dégénérescence des muscles irréversible. Christophe l’avait soutenue tout du long, mais ce n’était pas assez pour racheter sa dette. Il lui était redevable à tel point qu’il priait presque pour inverser les rôles. Sa grand-mère faisait partie de ces âmes pures et rares, celles dotées d’une intelligence sensible, elle n’avait pas besoin de mots pour communiquer ou comprendre les choses. Son optimisme naturel illuminait ceux qui se trouvaient autour d’elle, comme si elle possédait un pouvoir mystique. Elle avait même réussi à adoucir le vieux grincheux au bout de la rue, en un regard, le loup s’était transformé en agneau devant un jeune Christophe stupéfait. Le jeune homme retourna à ses côtés, la main sur la sienne. La respiration imperceptible de Nana s’amenuisait au fil des secondes, ses paupières papillonnaient, ses muscles se relaxaient. Le baiser glacial de la faucheuse faisait effet. Les joues humides de Christophe tiraillaient à force de sourire, il ne pouvait craquer avant qu’elle parte.

« Fais bon voyage Nana. »

Son murmure étranglé accompagna la plongée de sa grand-mère dans le sommeil éternel. Christophe relâcha la pression. Son expression joviale se mua en grimace. Un soulagement doux-amer le submergea. Nana était partie en paix, mais que restait-il de lui ? Qu’allait-il faire sans elle ?