Chapitre 12
Ma mère discutait avec le couturier officiel de la cour lorsque je fis mon entrée. Des coupons de tissus de différentes matières étaient éparpillés sur les fauteuils et les tables. Un lourd livre rempli de croquis était ouvert sur le bureau. Grimaçant à la vue de l'encombrement de la pièce, je toussai légèrement pour attirer leur attention. La Reine tourna la tête, un léger sourire flottant sur son visage.
— Duke. Tu arrives au bon moment. Nous sélectionnons le tissu et les couleurs pour le vêtement d’apparat de ton mariage. Ceci nous permettra ensuite de concevoir les robes et costumes des enfants d'honneur.
— Je ne suis pas très connaisseur dans la mode. Je ne pense pas que je serais d'une grande aide.
Elle leva les yeux au ciel.
— Oui, néanmoins, je voudrais quand même ton accord pour le choix de la couleur. Sais-tu quelle sera la couleur de la robe de Végalia ?
— Aucune idée. Elle n'a pas voulu me la décrire dans le dernier courrier.
— Tant pis alors, nous n'accorderons pas les couleurs. Je pensais prendre les couleurs de Fleed : vert, violet, doré, noir. En fonction de leur emplacement sur le vêtement, nous pourrions faire ressortir le pendentif royal, symbole de notre planète.
Elle montra son enthousiasme en frappant des mains. Je la regardai avec stupéfaction car ce comportement était loin d'être habituel.
— Bien, Andros, montrez au Prince les tissus que nous avons déjà sélectionnés.
Je cachai à peine un sourire en constatant que tout était déjà prêt. Ma présence était uniquement pour le principe.
— Qui avez-vous chargé pour l'organisation de la cérémonie et de la fête du printemps qui s'en suivra ? lui demandai-je.
— Oh, oui. J'avais complètement oublié.
Elle prit un dossier en dessous des croquis sur le bureau et me le tendit.
— Tiens, tu peux jeter un oeil dessus ? Tu dois voir avec Dame Antonella. En fait, tout est déjà organisé. A moins d'un point particulier auquel tu penserais, tu es tranquille de ce côté-là.
— C'est rassurant. Juste une cérémonie avec mes témoins et ma famille me conviendrait très bien, murmurai-je.
Elle mit la main sur mon épaule.
— Je sais. Ce n'est certainement pas le mariage dont tu rêvais. Enfin, si tu en as déjà rêvé.
Après un regard au couturier, plongé dans la modification d'un croquis, j'éloignai ma mère vers les fenêtres.
— Hier soir, vous sembliez inquiète. Dites-moi ce que vous avez déjà vu dans vos rêves.
Elle me caressa la joue.
— Je ne veux pas t'inquiéter.
— Mère ! La situation est grave ! Certainement plus que vous ne le pensez. Il se passe certains événements qui nous font craindre le pire.
Elle se raidit.
— Quels événements ?
— Hier, en revenant de chez Alphgar, j'ai senti une présence maléfique dans les bois. Ce matin, mon bureau au laboratoire était dévasté. Cela n'était jamais arrivé auparavant. Il y avait aussi des traces de cette même présence. Maria fait des cauchemars à répétition. Cela n'est pas normal. Qu'avez-vous vu ?
Elle baissa la tête sur ses mains qui trituraient sa robe.
— Je fais les mêmes cauchemars que ta soeur. Exactement les mêmes. Et tout concorde avec la prémonition qui nous a été révélée peu après ta naissance.
— Quelle prémonition ?
— Je ne sais plus...
— Mère...
Je lui pressai les épaules prête à la secouer.
— Alphgar la connait ?
— Oui. Il était présent.
— Qui d'autres ?
— Duke, je ne sais plus.
Elle ferma les yeux et reprit tout bas.
— Je ne sais plus.
Des larmes coulaient sur ses joues. Je l'enlaçai pour la rassurer.
— Excusez-moi, mère, de vous bousculer.
— Tu as raison. Mais c'est au bout de mes forces.
Nous nous tûmes quelques instants.
— Je vais vous laisser continuer les préparatifs. Si vous avez besoin de moi, appelez-moi. Je vous fais confiance dans l'organisation.
Je l'embrassai, m'écartai pour prendre le dossier sur le bureau. Je la regardai une dernière fois de la porte avant de sortir.
— A bientôt.
***
Il me restait deux heures avant mon entraînement avec le mage. Je mis ce temps à profit pour étudier ma nouvelle tenue de combat. Au bout d'une heure, je réussis à la mettre en moins de cinq minutes. Je consacrai la deuxième heure à me métamorphoser en commençant d'abord par changer le pantalon et la tunique. Au fur et à mesure que j'étais à l'aise avec un vêtement, je rajoutais les accessoires. Lorsqu'il fut l'heure de retrouver Alphgar dans la salle de sport, j'arrivais à changer ma tenue en 30 secondes. J'avais cherché partout les vêtements abandonnés mais ne voyais aucune trace de leur présence dans mon appartement. Un mystère que ma curiosité comptait bien élucider assez rapidement.
***
Alphgar m'attendait debout sur le tapis de combat. Il avait troqué sa robe pour un pantalon bouffant gris et une tunique fermé par une ceinture noire. Il portait la tenue des chevaliers du Dragon, une troupe d'élite secrète dont personne ne connaissait les représentants. Petit, j'aimais écouter les histoires de mon précepteur sur les batailles menées par cette troupe, des siècles auparavant. J'avais été certain que ces chevaliers n'existaient plus, leur charge ayant été démonté par l'absence de guerres. J'eus donc un temps d'arrêt en reconnaissant la tenue. En face de moi, Alphgar ne put s'empêcher de sourire devant la réussite de sa surprise. J'effectuai le salut des Chevaliers que m'avait appris Irénius.
— Salut à toi, Prince de Fleed, me répondit le mage.
— Mage, c'est un honneur d'apprendre auprès de vous.
— Attends de voir à quelle sauce je vais te manger. Dans les quinze prochains jours, nous allons améliorer les attaques et les défenses que tes instructeurs t'ont inculqués à l'école des officiers. Cependant avant cela, je vais d'abord apprendre qui tu es.
Il s'assit sur le sol, les jambes croisées et posa ses mains paumes ouvertes vers le haut sur ses genoux. Il m'invita à en faire de même.
— Tu as reçu le Don. Je suis chargé de t'apprendre comment l'exploiter au mieux.
Je dévisageai mon maître.
— Le Don ?
— Oui. Le Don, avec un grand D. Le seul et unique depuis des siècles. Souviens-toi de tes cours d'histoire ou des légendes de Dame Antonella. Souviens-toi du héros de chacune de ces légendes. Quels sont leurs points communs ?
Je baissai la tête et fermai les yeux pour me plonger dans mes souvenirs d'histoire.
— Ils étaient jeunes, aventureux...
— Continue...
— Ils étaient tous doués pour la magie...
— Oui...
— Ils étaient accompagnés d'un animal fétiche ou d'un objet.
Lorsque j'ouvris les yeux, Alphgar avait dans ses mains un petit dragon de pierre, verte et lisse. Les lumières de la salle se reflétaient sur tout le corps donnant un aspect irréel à l'objet.
— Ceci est mon animal, dit le mage. Inoffensif en apparence mais il m'a aidé énormément à une époque.
J'étais fasciné par ce que je voyais. Mes yeux naviguaient entre le visage d'Alphgar et le dragon. J'avais peine à croire ce que j'avais devant moi. Un seul personnage de légende avait cet animal comme compagnon, Grapahl le Grand, ou Lhagpar le Mage selon le type d'aventures, héros conquérant des mondes mystérieux, voyageur intemporel, guerrier colérique ou philosophe selon les textes.
— Oui, c'est l'heure pour toi de recevoir les principes de mes dons. Cette ère va vers sa fin et il est temps pour moi de passer le flambeau.
— Mais...
Alphgar leva le doigt.
— J'espère seulement que ces 15 jours seront suffisants.
Ses épaules s'affaissèrent d'un coup. Une lassitude marquait son visage. Ses rides s'accentuèrent.
— Donne-moi ton collier, demanda-t-il en tendant la main.
J'enlevai le collier de mon cou et le déposai sur la paume ouverte. Le mage referma ses doigts dessus. Il passa son autre main au-dessus tout en insufflant des mots dans une langue inconnue. Je sentis un léger vent et vis une lumière filtrer sous la paume. Lorsque la lueur s'éteignit, Alphgar me rendit le bijou.
— Est-ce que tout cela a un rapport avec la prémonition ? l'interrogeai-je.
Alphgar redressa la tête.
— La prémonition ?
— Oui, celle à laquelle tout le monde fait allusion, mais dont personne ne veut me parler.
Le mage hocha la tête.
— Ecoute :
Quand rêves et cauchemars se mêleront
Quand le blanc et le rouge se rencontreront
Les monstres détruiront.
Fleed se réveillera
De la mort renaîtra
Plus puissant que Véga
Au-delà de la Croix, le blanc se réfugiera
Les démons, il vaincra
La paix à jamais règnera.
Il se tut puis me regarda dans les yeux.
— Comprends-tu ?
— Hélas, oui, c'est assez clair, non ? Et si j'en crois la première phrase, elle est en train de se produire.
— Oui. C'est pour cela qu'il est urgent de te préparer.
— Mais pourquoi pas avant ?
— Tu es jeune. Nous avons estimé, tes parents et moi, qu'il ne servait à rien de t'inquiéter avant. Tu as reçu une éducation qui va dans ce sens, tu es un combattant hors pair. La magie ne pouvait rien pour toi tant qu'elle n'était pas déclarée.
Je réfléchis tout haut :
— Qui est le blanc et le rouge ? Blanc et rouge se rencontreront... les rêves et les cauchemars c'est en cours depuis au moins 3 mois. Maria Grâce et ma mère rêvent des monstres. Ces monstres vont détruire Fleed.
Ma voix trembla. Alphgar m'écoutait mais ne m'aida pas dans mon cheminement.
— Que s'est-il passé depuis le début des cauchemars ? Qu'évoque le rouge ? Le sang ? Qui rencontre le blanc. Oui mais le blanc. La pureté ? Non. C'est... Ah !
Je passai la main sur mon visage.
— J'y penserai plus tard.
Alphgar hocha la tête.
— Nous allons passer à l'entraînement.
Nous nous mîmes tous les deux debout. Le mage reprit.
— D'abord, tu vas me montrer ta métamorphose. Tu vas remettre les vêtements que tu avais cet après-midi.
J'acquiesçai. Puis sans un mot, ni une parole, je revêtis mon pantalon et ma tunique civils.
— Que deviennent les vêtements ? demandai-je.
Alphgar sourit.
— La curiosité est un vilain défaut !
— Ça dépend de son but. Si ce sort sert à me vêtir pour me protéger autant savoir que je ne laisse rien derrière moi.
— Tout va dans une dimension parallèle. Ils sont là sans être là. Difficile à expliquer. Maintenant remets-là. Tu vas en avoir besoin pour ce que je vais te montrer.
Dès que je fus à nouveau en tenue de combat, nous entreprîmes des mouvements d'attaques et de défenses pendant une heure. J'étais épuisé par l'endurance du vieux mage. Ensuite, Alphgar me montra certains sorts assez simples et utiles même pour la vie quotidienne et un sort de défense contre des jets inflammables. Lorsqu'au bout d'une nouvelle heure, je m'assis sur le sol, mes jambes tremblaient, mes mains gantées étaient noircies par le feu. Ma tenue avait quelques accrocs sans grande gravité.
— Reparo, lança Alphgar, en regardant sa tenue
Aussitôt, ses vêtements retrouvèrent leur propreté comme s'ils étaient tout neuf.
— Vas-y, essaye sur les tiens.
Je me concentrai, lançai à mon tour le sort. Je sentis à nouveau la magie m'entourer d'un petit vent frais puis je vis mes gants et les trous de ma tunique redevenir nets.
— Ton pendentif a été activé tantôt pour faciliter l'emmagasinement de ton énergie vitale. A chaque fois que tu lances un sort, une partie de toi perd de l'énergie. C'est pour cela que tu es épuisé. Demain, je t'apprendrais comment la recharger et l'utiliser correctement. Cette énergie te servira aussi pour activer certains objets comme Grendizer, par exemple.
Je penchai la tête, les yeux plissés.
— Fleed... Le robot est à l'image de Fleed, le dieu protecteur. Grendizer serait-il sa personnification ? C'est par lui qu'il renaîtra ?
Sans me laisser le temps de continuer ma réflexion, Alphgar me tendit la main.
— Allez debout. Demain, je te retrouve ici à la même heure.
Je me redressai, m'affirmai au niveau du sol.
— Demain soir, j'ai une réunion avec les jeunes.
— Tu vas devoir déléguer. Je suis désolé, mais maintenant, ta préparation est la plus importante. Pollux est capable de te remplacer.
Je le saluai.
— Bien à demain donc.
Avant de sortir, je regardai par-dessus mon épaule mais Alphgar était déjà parti. Je me dirigeai vers mes appartements pour un repos bien mérité.
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