Chapitre 1

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J'ai fait deux trois choses regrettées. Sûrement davantage mais je n'y pense plus. Pour ne pas mourir, je pense au reste, à toute ma singularité, au contexte futile. Je pense à mon événementiel. Mais vivre trop c'est penser à ce qui est terrible, ce qui est trop soi. J'ai toujours dit, d'ailleurs, «il n'y a que moi qui suis trop moi. Le reste est juste assez moi. » Eh, qui l'aurait pu dire, qui aurait pu, que je sois là à me citer comme une penseure.

Ce qui est trop moi, c'est ce qui m'arrive, mais ce que je m'arrive. Il faut tout de même qu'il y ait un peu de mon aval dans l'arriventation. Comme boire, ça, c'est un cas d'école, c'est exactement trop moi. On aurait dit un fait exprès. Ça boit comme une éponge, comme une triste terre qui s'abreuve de sel pour mourir juste un peu plus tard. Ça a l'air triste, boire, mais il ne faut pas s'y fier, c'est une joie, une douce infélonie. Dans les cabines de la BanQ je suis reine, je suis reine de tout mon 6,4 à la main. Je ris doucement, la femme d'à côté en virerait folle de savoir si moi je le suis, si je m'en vais surdoser sur le carrelage dégueulasse. Mais non madame, ma jolie dame, je n'ai pas de seringue, je n'ai rien, je n'ai rien, d'ailleurs ça va passer. Faites pipi tranquille, amusez-vous. Prenez des heures et des heures, je suis une torchonne pacifique.

Pourquoi? Aucune idée. Par habitude, c'est sûr. Par amour de l'art. Je ne suis jamais autant artiste que torchée morte à la BanQ ou ailleurs, là où les gens vivent sans savoir que d'autres y vivent mille fois mieux. Bon, peut-être pas mieux. Plus, sans doute. Il me vient des phrases comme vous ne savez pas. Tout me touche, le vent et mon corps, les replis de ma peau et la musique et celui qui voudrait bien être mon amant pour deux minutes, le temps que je cuve mon vin. Et je sais, sans maquillage, avec mes guenilles lousses comme Dieu chez ceux qui croient à peu près que j'ai l'air moins que mes années. Ça m'amuse. Je suis dévergondée, impudique d'être trop heureuse et trop jeune pour l'être sagement, trop vieille pour l'être bien.

Et je pense à l'amour. Tout l'amour, j'aime tout le monde au monde. Je crie Saint-Bruno, la veille du lendemain de la veille, je regarde les cous pour m'y pendre. Je fredonne, je suis belle comme vous ne savez pas. Je suis superbe. Soufflée comme du verre bleu et jaune qui crie grâce, comme si c'était moi la nouvelle Scandina, d'où je ne sais quels blonds ciels... Hahaha. C'est pour me faire mourir que je dis des bêtises comme ça. Mais j'aime tout le monde, surtout les hommes. À qui le mérite le moins, mon coeur! Il est à prendre.

Évanouissez-moi, quelqu'un, pour me faire taire. C'est moi qui m'en occupe d'habitude, coup à coup, rien n'est laissé au corps seul. Il ne faut pas avancer trop, le temps que celle-là se rende là-bas, il faut rester immobile tout à fait quand on dit mon nom, vraiment comme si ce n'était pas moi, moi. Il faut marcher avec les talons quand on veut faire croire que j'ai du thanatos. Mais non, je suis molle comme une argile détestable, contre laquelle on sacre quand elle s'écrase à nos projets. Toujours molle et sans vouloir, sans pouvoir, sans savoir. Je n'ai que l'avantage de l'amertume qui donne un peu de vigueur à mes regards. Mais sans ça rien, rien du tout. Une conscience presque vile de ce qu'on veut de moi et de moi qui veut l'être.

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