7.1

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Kyle, soulagé d’arriver, poussa un long soupir. L’ombre du toit de sa grange se devinait, un virage de plus et il stopperait le Defender sous l’abri. Couper le moteur mettrait fin à cette longue journée, pour autant, véhicule garé, il s’y refusa. Ce voyage n’était pas fini. Les évènements de ces dernières heures nécessitaient une remise en ordre de ses idées mais la route avait capté toute son attention, neutralisant ses efforts pour les aligner. Malgré la fatigue, il s’obligea à ce retour en arrière et cala l’arrière de son crâne contre l’appui-tête. Les vibrations de l’engin se propagèrent à son corps, il se laissa aller au ronronnement de la machine.

L’instinct. À défaut d’une redoutable intelligence, il en possédait un plus développé que la moyenne. Son père disait que tous les hommes et tous les éléments de cette terre en étaient pourvus, y compris les clachan*. Souvent, lors de promenade dans les collines il lui disait : « Vois cette pierre, fils, elle a roulé de tout là-haut pour arriver ici. On pourrait croire que la vie ne l’habite plus, mais demain ou dans mille ans, elle roulera de nouveau, rien ne l’arrêtera. Le ressens-tu ? C’est inné chez elle, et tu es comme ce caillou. Ton instinct te poussera toujours à avancer, à affronter ce que tu ne comprendras pas, à braver ce qui effraiera les autres. À toi plus qu’à d’autres. Ne me demande pas pourquoi, fils, c’est comme ça. » Kyle, plus que tout, voulait marcher dans les traces du sage, qui, au-delà du repère paternel, s’érigeait en guide. L’écouter avait du sens, mais comprendre ses paroles lui avait pris du temps. Jusqu’au jour de l’incendie.

Eliott se plaisait à dire que le grand Fearghas était son ami, repoussant par là même ceux qui voulaient s’en prendre au clan MacAlister* au travers de sa frêle personne. Aussi l’invitait-il régulièrement à dormir chez lui à Achmelvich, petit bourg dominé par l’Hermit’s Castle. Là, les soirées passaient à questionner le père d’Eliott, qui, s’il appartenait à une grande famille, n’en était pas moins un homme de la mer. Ses histoires à parcourir le globe le fascinaient, toujours il s’endormait la tête pleine de rêves. La dernière nuit avait été celle d’un cauchemar. Le feu était parti d’on ne sait où puis s’était propagé à l’étage. Réveillé par la fumée, Kyle avait réussi à sortir de la maison, suivi par les parents d’Eliott. Mais son copain n’était pas avec eux. Que s’était-il passé dans sa tête à ce moment précis ? Il ne le saurait jamais. D’un coup, il s’était précipité dans le brasier, faisant fi des cris du père d’Eliott lui intimant de revenir. À l’aveuglette, sans respirer, il avait rejoint la chambre, son ami gisait à côté du lit. Deux minutes plus tard, les poumons à l’agonie, il était ressorti avec son pote sur le dos.

Son exploit avait fait de lui le frère d’Eliott. Au cours d’une fête donnée en son honneur, tous ceux et celles qui appartenaient au clan MacAlister avaient pleuré en le serrant dans leurs bras. Par ce geste, ils scellaient une amitié indéfectible.

De ces ténèbres, Kyle avait compris que rien n’arrêtait une pierre. Les mots du sage avaient pris leur sens alors qu’il traversait le feu. Si son instinct l’intimait à braver un élément, il le ferait, quels qu’en soient les périls, il avancerait, roulerait.

C’est ainsi qu’il avait mené son existence, prenant des décisions parfois déroutantes, c’est ce flair qui avait fait de lui un bon flic. Pourtant, depuis quelques années, il l’avait remisé, ne lui accordant qu’une confiance relative. Différents échecs en étaient la cause. Mais ce soir il l’appelait, le vécu de la journée le tourmentait, et si sa logique ne pouvait dénouer son ressenti, peut-être que sa perception l’aiderait.

Strathy, ses falaises, son maudit banc aux planches vermoulues devraient appartenir au passé, cependant, le témoignage intense auquel il avait participé, l’empêchait de clore ce chapitre. Lui, qui durant toutes ces années espérait un signe, l’avait perçu au-delà de l’imaginable. Il essaya de s’en persuader. Comment expliquer ce vent soudain, ce tourbillon qui l’avait entouré, le clouant sur place ? Et cette sensation de froid dans la main alors qu’il retournait à son véhicule ? Si tout cela avait une explication, sa résolution ne se trouvait pas dans la logique. Non, c’était autre chose, rien de rationnel, une présence invisible matérialisée par un souffle puissant. Evra. Qui d’autre ? Tout en lui repoussa cette réflexion mais pas celui qu’il avait sollicité. Pas son instinct. Et un sourire étira ses lèvres.

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