10.2

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Un monolithe. Tel pouvait se décrire le bâtiment blanc de la police nationale. Posé le long du vieux cimetière de la Chartreuse et longeant la rue du Général de Larminat, le bloc imposait ses carences architecturales. Façades lisses, verres opaques, le rez-de-chaussée se parait de meurtrières, ajoutant le sinistre à un ensemble peu engageant. Si fioritures existaient, sans doute les parures se trouvaient à l’intérieur. Tom s’en foutait, il ne venait pas pour contempler l’immeuble, encore moins pour jouer au touriste, il ne voulait parler qu’à un inspecteur ou à un responsable. Le réceptionniste, derrière sa vitre de séparation, fit mine de prendre en compte l’urgence de sa demande puis l’envoya s’asseoir. D’autres personnes patientaient déjà, l’une d’elle lui lança « faut pas être pressé ici », il répondit par un mouvement de tête puis fit les cent pas. Cinq minutes s’écoulèrent au bout desquelles il perdit patience. Il s’avança de nouveau à la réception.

– Monsieur, retournez vous asseoir, nous vous appellerons le moment venu.

– Je vous dis que l’appartement de ma copine a été cambriolé et qu’elle a disparue. Puis-je voir un policier ?

– Monsieur, s’il vous plaît, attendez votre tour.

– Je suis Américain, faites vite s’il vous plaît.

À ces mots, le policier leva la tête.

– Montrez-moi vos papiers.

Tom s’exécuta en exhibant son passeport.

– Votre copine est Américaine aussi ?

– Oui, mentit-il.

Le fonctionnaire se saisit d’un combiné et y murmura quelques mots. Il hocha la tête puis sans quitter des yeux Tom, lui dit :

– Passez dans le sas et laissez tout le contenu de vos poches dans une panière, vous le récupérerez en partant. L’inspecteur principal Blanchart va s’occuper de vous.

Éric Blanchart vint déverrouiller la porte de l’accès. Grand et bedonnant, le flic trimbalait une petite cinquantaine fatiguée qu’amplifiait une horde hirsute de cheveux poivre et sel ainsi qu’une barbe de trois jours. Le poids de son job se lisait sur la voûte de ses épaules mais aussi dans le violacé de ses paupières inférieures grignotant ses joues. Sans doute possible, l’homme carburait au manque de sommeil et au café noir pourvu d’adjuvant non autorisé. Un archétype du policier usé jusqu’à la corde qui ne tient que par et pour son job, un gars toujours sur la brèche, constamment à la limite, jamais dans les petits papiers de ses supérieurs. En un mot, un mec indispensable. Lui disait que le boulevard des allongés qui jouxtait le commissariat en était rempli « d’indispensables », cependant, un sourire éclairait son visage lorsque ses gars lui balançaient le mot. Il consulta sa montre, 9.00 se profilait. Sa garde se terminait dans dix minutes, il espérait rentrer chez lui pour essayer de dormir un peu, mais voilà, un ressortissant Américain venait signaler une disparition. Sans trop savoir pourquoi, on ne badinait pas avec ces gens, les consignes étaient strictes, eux avant les autres. Aussi, afficha-t-il sa mine renfrognée des mauvais jours à l’ouverture du sas.

Tom le suivit jusqu’à l’ascenseur puis dans le dédale menant au bureau de l’inspecteur. Là, Blanchart fit preuve de magnanime, lui même s’en étonna.

– Je suis l’inspecteur principal Blanchart, c’est moi qui vais prendre votre déposition. Vous comprenez le Français ?

– Oui. J’habite ici depuis trois ans.

– Très bien. Comment vous appelez-vous ?

– Tom Clynac.

– Et votre amie ?

– Ayla.

Éric leva la tête, ce prénom remua un vieux souvenir, il afficha une grimace avant de reprendre.

– Ayla comment ? Vous êtes marié, fiancé ?

– Non, c’est ma girlfriend… copine. Ayla Fearghas.

Il enregistra le nom, sans que celui-ci ne titille sa mémoire.

– Ok, Tom ! Détaillez-moi ce qui s’est passé en essayant de ne rien oublier. Prenez votre temps, l’agilité de mes doigts sur un clavier n’égale certainement pas la vôtre.

Le trait d’humour fit sourire le Californien.

– Je vous écoute.

Tom raconta dans les détails le déroulé de son altercation avec le cambrioleur, le vol de l’ordinateur, son réveil douloureux puis son inquiétude face à la disparition de son amie. À la question de savoir s’il avait vu son agresseur, il répondit que celui-ci était cagoulé et qu’il portait des gants. Il signala aussi que son téléphone était coupé et qu’elle ne s’était pas rendue à son travail ce matin. L’inspecteur aurait pu lui répondre que les gens pouvaient partir quelques jours sans que pour cela se soit une disparition, il ne le fit pas. Cette histoire de cambriolage le tarabustait, un truc pas plus gros qu’une tête d’épingle coinçait ses rouages de flic, sans qu’il ne sache dire quoi.

– Connaissez-vous le numéro de ses parents ? Vous pourriez les appeler pour savoir s’ils ont des nouvelles de leur fille. Elle les a peut-être prévenus.

– Non, je ne le connais pas. Je sais que sa mère est morte et que son père est a cop comme vous, c’est tout.

– Hmm. Pas grand-chose. Vous savez le prénom du père ? Avec un peu de chance je vais le trouver et je pourrais l’appeler.

– Je crois que c’est Kyle.

Éric tiqua, un autre engrenage venait de gripper. Son cerveau empilait les informations mais pas assez vite à son goût. Ses neurones avaient besoin de carburant, il se leva brusquement.

– Vous voulez un café ? demanda-t-il.

Sans attendre de réponse, il disparut. La machine se trouvait à l’autre bout du couloir, lorsqu’il y parvint, le prénom et le nom s’assemblèrent. Kyle Fearghas. Une onde électrique parcourut son dos. Impossible, ce gars inventait tout et se foutait de sa gueule ! Cependant, la petite chose qui le tracassait se transformait en une boule de doute et de certitude. À priori inextricable, lui savait son instinct capable de la démêlée. De retour au bureau, il tendit un gobelet à Tom puis l’interrogea.

– Depuis quand Ayla est-elle en France ?

– L’année dernière, fin août.

– Pouvez-vous me la décrire ?

– Bien sûr ! Elle est plus petite que moi, un peu maigre. Elle a les cheveux blonds et les yeux bleus. Très bleu.

– Vous a-t-elle dit le nom de sa mère ?

– Oui, mais je ne me rappelle pas bien. Towell… No, no, Fontwell… May bee.

– Conwell. Evra Conwell ?

Yes, c’est ça ! Comment le savez-vous ?

– C’est moi qui pose les questions ! Pourquoi avez-vous menti ? Ayla n’est pas Américaine, mais Écossaise, non ?

Tom baissa la tête.

– Si ! Je sais que pour les ressortissants Américains vous réagissez vite, mais peut-être pas pour les Anglais. Excusez-moi. Je vous en prie, faites quelque chose, s’il vous plaît.

Éric s’assit. Tout concordait. La couleur des cheveux, celle des yeux, la nationalité, puis le nom de Conwell. Dans quel but ce garçon le mènerait-il en bateau ? Un jeu avec les cops français ? Si c’était le cas, il était bien renseigné et jouait un rôle parfait. Trop pour attraper un inspecteur rodé aux mensonges. Non, l’Américain disait la vérité. À lui d’ouvrir une enquête dans les plus brefs délais afin d’aider sa petite Ayla.

– Tom, je vais faire mon possible afin de retrouver votre copine. Vous, retournez à votre appartement, et enfermez-vous. Surtout, n’ouvrez à personne et ne décrochez pas votre téléphone si ce n’est pas moi. Ok ? fit Blanchart en lui donnant une carte de visite.

Surprit, le Californien voulut parler, Éric ne lui en laissa pas le temps.

– Faites ce que je vous dis. J’envoie une équipe pour le cambriolage, ne vous occupez pas d’eux, mes gars connaissent leur Job. Je vous raccompagne jusqu’au sas, rentrez vite.

Tom franchissait le seuil du commissariat lorsque Blanchart lui lança :

– Ne vous inquiétez pas pour Ayla, elle ne risque rien.

Les mots de l’inspecteur se voulaient rassurant, le Californien n’en crut pas un seul.

C’est en courant qu’il rentra et trois par trois qu’il grimpa les marches menant au quatrième. Ayla n’avait pas quitté ses pensées pendant sa course, son imagination la voyait au cœur de situations plus dangereuses les unes que les autres. Dans toutes, elle l’appelait au secours, excepté la dernière où elle l’attendait chez elle. Un ultime espoir, il le savait utopique, mais tout était bon pour se raccrocher à du positif. Sa déception n’en fut que plus grande lorsqu’il constata que l’appartement était vide.

Sa porte verrouillée, il prit une aspirine afin de contrer le mal de tête qui le gagnait, puis, lorsque son taux d’adrénaline descendit, c’est sa mâchoire qui se rappela à lui. Un sachet de glace contre l’articulation, il s’assit derrière son ordinateur.

Prisonnier. Voilà ce qu’il était à présent, otage de quatre murs. Dehors Ayla l’espérait, lui ne pouvait s’en remettre qu’aux policiers et attendre une issue heureuse. Combien de temps ? Ce flic paraissait connaître son job, il ferait tout pour la retrouver, la crispation de son visage quand il lui avait confirmé le nom de Conwell prouvait qu’il prenait l’affaire au sérieux. Il connaissait la mère d’Ayla, peut-être ce qui lui était arrivé, mais ne lui avait rien dit. Et s’il avait insisté, Blanchart lui aurait balancé qu’il ne faisait pas partie de la famille. Point final. Il jura, se leva, voulut sortir mais se ravisa. Que pouvait faire un geek contre des malfrats ? L’inspecteur avait raison, il devait rester cloîtré, la rue n’était pas son domaine, mais ne rien tenter l’exaspérait. Dix minutes qu’il était là et déjà il tournait comme un lion en cage, il devait se raisonner, se calmer, chercher comment il pouvait aider. Deux mots lui revinrent : geek, domaine. You’re dumb*, s’infligea-t-il, tu peux savoir où elle est. Le sachet de glace vola jusqu’à l’évier, l’instant suivant l’ordinateur ronronnait. Mettre en œuvre son idée allait lui prendre toute la journée, peut-être la nuit aussi, mais il s’en foutait. Avant, il entra un nom sur un moteur de recherche puis fit quelques recherches. Un numéro de téléphone s’afficha. Tom appela.

*You’re dumb : t’es débile.

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