15.2

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La rue Borie s’étalait du Quai des Chartrons à la Place Picard, là où trônait une réplique miniature de la Statue de la Liberté. L’inspecteur n’y jeta pas un coup d’œil, et ne regarda pas non plus les façades de pierres taillées des bâtiments. Il remarqua cependant, qu’ici, l’herbe ne poussait pas aux pieds des murs et que les poubelles ne débordaient pas sur les trottoirs. Le quartier portait propre, d’autres, le sien, pourraient en prendre de la graine. Les numéros s’égrainaient, il passa à côté de restos, de bars, puis arriva au 27.

Un homme se tenait dans l’encoignure de la porte cochère. Grand, balaise, le regard du type respirait la lassitude de celui qui monte la garde, Éric y vit aussi l’intelligence de celui qui cogne avant de réfléchir. La sentinelle barra le chemin à l’inspecteur qui se tenait devant l’ouverture.

– T’as pas une tronche de facteur, alors va voir ailleurs, cracha le molosse.

Blanchart sourit, et se demanda combien de fois par jour ce gus balançait cette phrase. Pour sûr, il ne distribuait pas le courrier, ce gars était devin. Il positionna sa carte de flic sous le nez du gardien.

– Gagné, j’suis pas postier ! Appelle ton boss et dis-lui que l’inspecteur Blanchart attend audience. T’as pigé ou je t’envoie une lettre avec recommandé ?

Le cerbère grimaça puis s’exécuta. Une minute plus tard, il s’effaça en ouvrant la porte.

Deux bagnoles sombres patientaient sur les pavés de la cour intérieure, des berlines allemandes de grosse cylindrée. Un mec, chiffon à la main, les bichonnait, il indiqua à Éric la porte vitrée de l’entrée. Là, un autre garde voulut le fouiller, Blanchart, d’un regard noir, l’en dissuada, puis le suivit jusqu’à un salon au deuxième étage. Assis sur un canapé, son pote Fred Costelli l’attendait.

– Colonel Blanchart, quelle surprise !

Un sourire narquois barra sa face, une rayure blanche sur une peau bronzée. À n’en pas douter, le simili caïd passait plusieurs heures par jour à griller sous les UV, même ses cheveux étaient plus noirs que la suie. « Cette raclure prend soin de lui » estima Éric, « jusque dans son costard et ses pompes. » Plus nickel qu’un sou neuf. Pour autant, sous l’apparat de dandy, se cachait une ordure et, si Blanchart n’était pas facteur, il se voyait, pour le coup, en éboueur.

– Inspecteur suffira, renvoya-t-il.

– Je vous voyais beaucoup plus haut que ça ! Au minimum colonel, peut-être même général, après toutes ces années passées au service de la police. Vous manquez d’ambition, Blanchart.

Éric hocha la tête. Tout beau qu’il était sur lui, Costelli puait l’affolement. Le malfrat ne s’attendait pas à une visite, encore moins à la sienne. Son attaque bille en tête le démontrait et, sans le vouloir, il venait de tendre une perche. Blanchart s’en saisit et joua sa partition au bluff.

– Et la tienne démesurée. À voir ta turne, Freddy, les affaires tournent bien, mais je ne savais pas que tu pratiquais l’enlèvement.

Costelli se ramassa dans son canapé, l’inspecteur sut que son allusion avait trouvé sa cible. Il insista.

– Ça te la bouche que je sache que tu as kidnappé Ayla Fearghas ?

Fred, conscient de son erreur, se redressa. Des questions affluèrent à son esprit, mais y répondre serait trop de long. Il devait reprendre la main et renvoyer ce poulet dans sa basse-cour.

– Comme vous avez dit inspecteur, je ne fais pas dans l’enlèvement. Vous êtes mal renseigné et je n’aime pas vos insinuations, alors si vous venez chez moi pour m’insulter, je ne vous raccompagne pas.

– Ne joue pas avec moi, Freddy. T’es minable comme acteur, tu sonnes faux, comme tout le bling-bling qui t’entoure. Ton copain l’english t’envoie au charbon, et toi tu fonces, à croire que t’as la mémoire courte. Ou alors c’est lui qui paye les murs et tes sous-fifres.

Costelli se leva et s’approcha d’Éric. Ses yeux transpiraient la haine.

– Ton bluff, tu peux te le foutre au cul, inspecteur. Casse-toi de chez moi, et la prochaine fois, n’oublie pas une autorisation de perquisition.

– Si tu touches à Ayla, je connais des gens qui n’auront pas besoin d'autorisation pour te faire bouffer ton costard, Freddy.

À ces mots, un rictus déforma le visage de Fred.

Blanchart, un sourire aux lèvres, remonta la rue en direction de l’arrêt du tram. Sa dernière réplique ressemblait à du Audiart, mais n’était qu’esbroufe. Cependant, l’autre l’avait peut-être gobé et l’entrevue avait porté ses fruits au-delà de ses espérances. Costelli avait craqué en une minute et pouvait repasser son examen de caïd. La peur suintait par les pores du malfrat et, s’il la cachait sous son arrogance, ce n’était pas à un vieux singe qu’on apprenait à faire des grimaces.

Il entra dans un bistrot puis commanda un café. Il prit cinq minutes afin de le déguster, le temps que Costelli envoie un gus pour le filer. En sortant, il jeta un coup d’œil à la vitrine du resto d’en face et vit le reflet d’un gars planqué dans un recoin. C’était le type qui nettoyait les voitures.

Parfois, le destin avait besoin d’un coup de pouce.

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