26.1

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– Je suis Evra Conwell, descendante du clan du même nom, fille de Lewis Connely et de Mairead Conwell. Mes terres se trouvent au nord de l’île de Skye, Duntulm est mon château. Ma vie s’est arrêtée le 9 mai 2003 à Strathy, dans les Highlands, un pays où les légendes sont vraies, un pays où personne ne meurt vraiment.

Mairead m’a donné naissance le 21 mars 1968, au milieu des ruines de Duntulm, comme sa mère l’avait fait le même jour, comme je l’ai fait pour Ayla. Cette date marque le printemps, la lignée des Conwell lui est fidèle. Seules des filles naissent à l’aurore sous un ciel tapissé d’un bleu vif, la couleur de nos yeux, et cela depuis des générations. Nous sommes les garantes de ce qu’a construit notre clan, nous défendons les pierres ancestrales comme le faisait autrefois Alasdair le gardien contre les agresseurs extérieurs, sauf qu’aujourd’hui nous nous battons contre des ennemis invisibles. Ceux-là même qui ont enterré Mairead, ceux-là même qui ont mis fin à ma vie.

Mon histoire est celle d’enfants, de guerriers qui ont gardé la tête haute, celle d’un clan qui s’est toujours défendu, celle de femmes, qui seules, ont affrontées leurs adversaires sans jamais impliquer leur famille. Cette histoire, est celle de toutes les Conwell.

Ma mère m’a mise au monde le jour de ses trente-huit ans. Ne pas procréer lui était inenvisageable, mais elle n’avait trouvé celui qui allait devenir son mari qu’une année avant. Lewis élevait des Highlands cow à Strathy, leur rencontre s’est produite sur un marché à Inverness. Lui aussi était seul. Accaparé par son métier et l’isolement de sa ferme, il n’avait pas encore croisé sa promise comme il disait. « J’ai ressenti un électrochoc lorsque j’ai vu ces yeux, et j’ai su que c’était elle », racontait-il. Ils se sont aimés tendrement, souvent à distance, puisque Mairead ne voulait pas quitter Duntulm. Dès le début de leur relation, elle avait prévenu Lewis que sa vie ne pouvait s’écarter de son château, que son devoir était de le protéger. Mon père s’en accoutumait, habitué qu’il était à la solitude. Leurs retrouvailles n’en étaient que plus intense, elle me parlait de ce feu qui les consumait lorsqu’elle se rendait à Strathy, où quand il descendait à Duntulm. Il était là pour ma dernière heure, nous parlions de maman et des ruines de ce château qui avaient plus d’importance que lui. Pourtant, comme il ne voulait pas que maman continue son travail à la mairie de Portree, il donnait son argent afin que les pierres ancestrales subsistent. Papa passait tous les jours après, afin de me tenir compagnie. Savait-il que j’étais là ? Je le crois. J’ai puisé dans la mémoire de ma fille la date de son décès, il est survenu une dizaine d’années après le mien.

Maman menait un combat de l’ombre depuis de longues années. Le château se désagrégeait, elle donnait tout ce qu’elle avait pour le maintenir droit au-dessus de l’océan. Pas une pierre qu’elle n’ait bougée, pas un joint qu’elle n’ait consolidé. Un jour, un homme, encore au bas de sa montagne de puissance, a voulu acquérir les terres de Duntulm. Il envisageait de raser le château et de construire un complexe hôtelier. Quelle meilleure place que cette pointe rocheuse toute en haut de Skye ! Celui que l’on ne nommait pas encore Lord Carlington, s’était enrichi dans diverses affaires à Birmingham, on les disait frauduleuses, mais jamais cela n’avait pu être prouvé. Cet homme, bouffi d’arrogance, pédant, disait vouloir investir dans la pierre afin de favoriser l’essor de l’île, mais cachait ses véritables desseins. Seul le blanchiment de son argent sale comptait. Il a proposé plusieurs milliers de livres sterling à ma mère, une aubaine selon lui, mais elle a coupé court en le chassant vigoureusement de ses terres. L’homme a protesté, a dit que ce n’était pas une façon de traiter quelqu’un, que son idée n’en resterait pas là. Il a disparu dans une berline noire, accompagné par des sbires en costumes d’un autre temps. Elle pensait ne jamais le revoir ni entendre parler de lui, c’était sans compter sur la ténacité de l’anglais et la haine qu’il avait à son encontre.

Les années suivantes, d’autres personnes sont venues, des avocats à la solde de celui qui avait investi le parlement du Royaume-Uni. Devenu Lord, il a usé de ses accointances afin d’obliger Mairead à fléchir. Mais, une Conwell ne se laisse jamais dicter sa conduite. À dix-huit ans, j’ai intégré l’université de lettres à Édimbourg afin d’y suivre un cursus me permettant de travailler dans un ministère, en particulier celui des affaires extérieures. Cela relevait d’une stratégie élaborée avec ma mère. De l’intérieur, je pourrais combattre plus aisément notre ennemi. Mes notes, mais surtout mon français, m’ont permis d’y arriver. J’y suis resté sept ans, puis j’ai commencé mon travail en novembre 1993, deux mois après m’être marié avec Kyle.

Nous nous sommes rencontrés lors de jeux des Highlands disputés à Luss. Le speaker présentait les adversaires des diverses villes en compétition, lui, concourait en individuel. Il dépassait tous le monde d’une tête, je l’ai trouvé beau dans son kilt et son tee-shirt blanc. Avant que le concours ne commence, je me suis faufilée jusqu’à ses côtés, et lui ai tendu un maillot sombre avec un écusson brodé dans le dos.

« J’ai entendu dire que vous étiez de Portree, vous ne voulez pas porter ce tee-shirt ? » ai-je demandé.

Il m’a dévisagé, ses yeux n’arrivaient pas à se défaire des miens, déjà, nous étions envoûtés. Puis, il a regardé le blason, une main tenant une dague pointée vers le ciel, et m’a demandé :

« Vous êtes une Conwell ? »

J’ai acquiescé de la tête.

« Je m’appelle Kyle Fearghas ! Ne me faites pas faux bond à la fin des jeux, je vous emmène boire un verre. »

Sans attendre ma réponse, il a enfilé le maillot puis est parti s’échauffer.

Nous avons bu une bière, puis nous avons mangé. L’heure a tourné, je devais rentrer sur Édimbourg, lui sur Skye. Nous nous sommes promis de nous revoir la semaine suivante, je rentrai chez mes parents. Un an plus tard, nous nous sommes mariés.

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