26.3

7 minutes de lecture

J’y suis arrivé en mars 2001 avec ma petite Ayla. J’ai laissé seul Kyle. Malgré ses réticences, il comprenait ma décision, et mon père avait quitté Duntulm pour Strathy. Nous avions un studio en centre-ville, non loin du consulat et d’une école pour ma fille. Elle a appris le français en un claquement de doigt. Nos marques prises, je me suis mise en quête d’informations sur Donnchadh, et n’ai pas mis longtemps pour en trouver. Il était l’enfant unique d’un couple dont le père n’avait ni frère ni sœur. Cela a facilité mes recherches, d’autant plus que, similairement à la lignée féminine en Écosse, celle développée en France se composait exclusivement de garçon uniques. J’ai appris aussi qu’il portait bien son nom. Le guerrier sombre avait de la poudre dans les veines, on ne comptait plus les bagarres dont il avait été l’acteur principal ni ses séjours en prison. Les autorités bordelaises, lassées de ses débordements, avaient fini par le renvoyer en Écosse, avec sa femme, son fils, et tout l’argent dont il disposait.

Au bout d’un an de recherche, je suis tombé sur un obstacle, la non possibilité de compulser les dossiers remontant avant 1600, alors que j’estimais la débâcle de Duntulm vers 1500. J’ai fait appel à un cabinet spécialisé, l’homme qui m’a reçue, m’a prévenu que l’obtention des autorisations afin de compulser ces vieux dossiers prenait du temps, qu’il fallait que je m’arme de patience. Alors, j’ai attendu et, huit mois plus tard, leur enquêteur a trouvé. Un registre datant du XVI siècles mentionnait l’arrivée d’un bateau en provenance d’Écosse. À son bord, se trouvait un jeune garçon se prénommant Abhainn, fils d’Alasdair, gardien de Duntulm. Là était la preuve que Carlington ne voulait pas qu’on trouve. Mais, scanner ou photographier la page n’était possible qu’en demandant de nouvelles autorisations. Les obtenir était trop long, ma mission en France ne pouvait excéder deux ans, dans quatre mois, je devais rentrer.

C’est début mars 2003, quelques jours avant mon retour, que tout s’accélérera. Un soir, alors que je rentrais avec Ayla, un véhicule nous a barré la route à un embranchement du Parc Gambetta. Deux hommes sont descendus et ont tiré sur nous. Ils ne voulaient pas nous tuer, mais nous faire peur. Leurs balles ont traversé le pare-brise puis se sont fiché dans le siège arrière de mon auto, à quelques centimètres de Ayla. Leur méfait commis, ils ont disparu. Ce n’était pas des sbires de Carlington, eux portaient jeans et blouson, mais, je n’avais aucun doute sur le commanditaire. Ces gars agissaient sous les ordres du Lord, il savait que j’étais à Bordeaux, et que mon retour approchait. J’ai cru qu’il m’envoyait une indication pour me montrer qu’il était toujours le maître. Deux policiers français,Éric et Yves, sont arrivés sur les lieux de la fusillade, leur supérieur les avait chargés de l’enquête. Après les premières constatations, je les ai suivis au commissariat. À leurs questions, j’ai répondu en anglais et toujours de façon évasive, bien sûr, je savais qu’ils n’étaient pas dupes, mais je ne voulais pas qu’ils me mettent sous protection. En partant du poste de police, je les ai remerciés pour leur gentillesse, Éric m’a tendu sa carte.

« Je vais continuer d’enquêter, un indice sur l’identité des tireurs finira par sortir. Evra, si vous avez besoin de quoi que ce soit, ou si vous remarquez quelque chose d’anormal, n’hésitez pas. Vous pouvez avoir confiance dans la police française.

Yes, I know. »*

Avec Ayla, nous sommes rentrées en tram jusqu’à l’appartement, ma voiture étant immobilisée pour des raisons d’investigations. J’ai appelé Kyle, comme je le faisais tous les deux jours, mais ne lui ai pas mentionné l’agression. Il m’aurait demandé de rentrer de suite ou serait venu me chercher. En regardant les infos, j’ai appris que Carlington venait à Bordeaux, en visite officielle. Il devait rencontrer le maire et différentes personnalités. J’ai compris qu’il ne venait pas que pour cela, et que le coup de force visait à me faire peur pour me maintenir à distance. Une fois de plus, raté.

Le lendemain matin, je me suis renseignée sur l’hôtel où il descendait et sur le parcours de sa tournée. Rien ne mentionnait une visite aux archives de la ville. J’ai pensé que je me trompais, qu’il ne venait pas pour subtiliser, comme il l’avait fait à Portree, la preuve sur Donnchadh. Pour autant, mon intuition me disait qu’il préparait un de ses coups tordus dont il avait le secret, et de ne pas le lâcher d’une semelle. J’ai repéré le chemin le plus rapide entre les archives et l’hôtel, en courant, je pouvais aller plus vite qu’une voiture. Mais je devais être prudente, il ne venait pas seul, et ses hommes pouvaient se cacher partout. Le soir, j’ai réservé un vol sous le nom de Fearghas, puis j’ai réfléchi à la façon de me débrouiller avec Ayla. La solution m’est apparu rapidement, un homme m’avait dit que je pouvais avoir confiance dans la police française.

Carlington est arrivé le 6 mars, il n’est sorti de la mairie que pour dîner dans un restaurant en compagnie du maire. Le suivre le lendemain matin n’était pas possible, ses déplacements le menaient à différents endroits, et je devais m’occuper de Ayla. Éric a été surpris de me voir débouler dans son bus. Je lui ai demandé, en français, de garder pour quelques heures ma fille, puis suis partie en courant. La voiture de Carlington se garait au moment où j’arrivais. J’avais vu juste.

Lui et un autre homme sont sortis vers 15 heures, puis se sont engouffrés dans leur bagnole. Ils ont fait demi-tour et ont pris la direction du Novotel. À la course, j’ai rejoint la réception de l’hôtel. La chance était de mon côté, aucun homme habillé en costume ridicule ne traînait dans le hall. Je me suis assise. Cinq minutes plus tard, Carlington et son sbire débarquaient.

À leur passage, je me suis levée. J’ai d’abord lu de la surprise dans les yeux de l’Emperor, puis de la peur. Il s’attendait à tout, sauf à moi. J’avais envie de me ruer sur lui, de le frapper, de le voir agoniser sous mes coups, mais je n’étais pas là pour ça. L’autre type tenait une mallette, je l’ai bousculé et m’en suis emparée.

C’est à bout de souffle que j’ai rejoins le domicile d’Éric. Yves était là aussi. Je les ai remerciés, Ayla leur a fait une bise puis, nous avons fui la ville.

Dans le tram qui nous conduisait à l’aéroport, j’ai ouvert l’attaché case, les serrures n’étaient pas cadenassées. À l’intérieur, j’ai trouvé une feuille déchirée dans une enveloppe, mais aussi d’autres documents. Il s’agissait de photos. Si le papier des archives m’a soulagé, les clichés m’ont dégoûté. Dessus apparaissaient l’homme à qui j’avais dérobé le porte-documents. Nu, il violait une jeune fille dans une salle de bain. La glace au-dessus du lavabo renvoyait le reflet de celui qui prenait les photos, Carlington.

À partir de ce moment-là, j’ai su qu’il ferait tout pour les récupérer.

À Édimbourg, nous avons pris un taxi. La route pour rejoindre Skye m’a parue interminable, je n’arrêtais pas de me retourner afin de regarder si une bagnole nous suivait. Je n’ai rien remarqué, nous avions réussi. Kyle était encore au travail lorsque nous sommes arrivées. La nuit était tombée, une pellicule de brouillard entourait son cottage. Une dernière fois j’ai regardé les photos, puis j’ai pris la décision de les cacher. Les clichés étaient une arme pour maintenir à distance Carlington. Je pouvais à tout moment les ressortir, il n’y survivrait pas.

Ayla me tenait la main lorsque nous avons passé la barrière de Duntulm. J’ai senti la présence du gardien, Alasdair marchait dans nos pas. À voix forte, je lui ai dit mon intention de dissimuler, dans la pièce secrète, les documents que j’avais dans la main. Le souffle de son chant a résonné à mes oreilles, j’ai su que jamais personne, si ce n’était une Conwell, ne s’en emparerait. Nous avons franchi le passage derrière la stèle, c’était la première fois que ma fille m’accompagnait. Sans lumière, elle m’a précédé dans le boyau et n’a fait aucun faux pas jusqu’à la salle. Elle s’est arrêtée au centre face à l’ouverture surplombant l’océan, puis a écarté les bras et fermé les yeux. L’air venu du large a soulevé ses cheveux. Duntulm la reconnaissait, comme il avait reconnu toutes celles du clan des Conwell.

Dans un coin, j’ai descellé une pierre et creusé une petite alcôve. J’y ai déposé les photos. Là est l’endroit que cherche Carlington depuis des années. Jusqu’à maintenant, nous n’étions que deux à partager le secret, aujourd’hui, vous savez aussi. Mais laissez-moi vous mettre en garde, ne vous aventurez pas dans l’ouverture derrière la stèle, car si vous pourriez y entrer, vous n’en ressortiriez pas vivant.

Nous avons attendu Kyle au Cottage. Il est entré comme un fou, il pensait avoir affaire à un voleur à cause de la lumière. Quand il nous a vues, il s’est précipité et nous a serré longtemps. Je ne lui ai pas dit pourquoi nous étions rentrées plus tôt, ni ce que j’avais fait et découvert concernant Carlington. Une erreur.

Je me suis cachée sur mon île, à l’abri des ruines, j’étais en sécurité. À la moindre incertitude, je n’avais qu’à rejoindre la pièce derrière la stèle, Alasdair me protégerait. Après un mois, j’ai décidé d’aller voir mon père à Strathy. Je pensais la situation tassée et n’avait pas remarqué une quelconque surveillance. J’ai laissé Ayla dans la maison, son père rentrait pour le déjeuner. Sur la route, j’ai changé plusieurs fois d’itinéraire, si quelqu’un me suivait, je l’aurais semé. Je me trompais.

*Yes, I know : Oui, je sais.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Marsh walk ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0