29.2

6 minutes de lecture

Shelby l’avait accompagné jusqu’à Duntulm. Là, une femme au regard bleu intense chargeait des pierres dans une brouette puis, trente mètres plus loin, les rangeait avec soin. Sa vigueur l’avait étonné. D’un coup d’œil, il avait compris que la partie serait compliquée. Une pelle levée dans les airs les avait chassés. Humiliés, ils étaient retournés à leur bagnole. Sur le chemin, son boss avait juré la perte de celle qui s’appelait Conwell.

« Cette moins que rien me le paiera. Un jour ou l’autre, son tour viendra. »

C’est en 1996 que ce jour était arrivé. À Édimbourg. Carlington lui avait intimé l’ordre d’empêcher la mère et la fille de se rendre à Bordeaux. Par n’importe quel moyen. Le choix de la victime lui incombait, il n’avait pas tergiversé. L’occasion de passer à l’action s’était présentée un soir où la mère parcourait les rues de la capitale écossaise. Elle semblait fatiguée et un peu perdue, il en avait profité pour la suivre de près et se faire remarquer. Au pied du château, il l’avait vu s’engouffrer dans une cabine téléphonique et entendu appeler sa fille. Elle arriverait trop tard. Profitant de la nuit qui tombait, il avait sorti son flingue et l’avait pointé sur la mère. Sous la menace, elle était sortie de la cabine paniquée, puis avait couru jusqu’à l’esplanade. La mère était montée sur le parapet espérant passer de l’autre côté de la grille d’entrée. Shelby n’avait pas eu besoin de frapper ou de tirer, il l’avait poussée.

Sept ans plus tard, il s’était rendu à Bordeaux afin d’organiser une expédition visant à effrayer la fille. Maudit Conwell et leur ténacité ! Son boss, sous le couvert d’une visite officielle, y venait accompagné de Carl, afin de dérober des papiers. Carlington ne tenait pas à trouver la fille sur sa route. Le type sur place, un certain Fred Costelli, ne souhaitant pas s’encombrer de détails, voulait tirer dans le tas, mais les ordres étaient clairs. Pas de sang. Rires et quolibets l’avaient accueilli à son arrivée, les hommes de Costelli avaient raillés son accoutrement. Trois d’entre eux, la tronche en miette, avaient fini à l’hôpital. Les autres, y compris Fred, avaient fermé leur gueule et exécuté les ordres.

Il n’avait pas assisté à l’attaque et avait rongé son frein. L’incompétence des Français l’énervait, ces types n’avaient pas le niveau requis. Aussi, quand Costelli lui avait dit que tout c’était déroulé suivant ses directives, il n’avait été que partiellement soulagé. Pourtant, Shelby n’avait pas écouté ses doutes. Une erreur. Deux jours plus tard, Carlington l’avait appelé dans sa chambre du Novotel. Aux paroles désordonnées de son boss, il avait compris la gravité de la situation. La fille avait dérobé à Carl l’attaché-case contenant les documents volés. Il s’était élancé dans les rues de Bordeaux, avait parcouru le quartier, puis celui où habitait la fille. Rien ! Pour la deuxième fois, une Conwell l’humiliait. De celle-là, il en faisait une affaire personnelle. Pendant le vol retour, il avait appris que la mallette contenait autre chose que les papiers volés.

Shelby avait passé le mois suivant en planque non loin de Duntulm. Intervenir lui était impossible, la fille ne sortait pas du cottage de son mari. Il avait attendu jusqu’en mai et son départ en voiture au petit matin. La suivre n’avait pas été compliqué, malgré les multiples changements d’itinéraires. Avec un collègue, ils avaient attendu qu’un vieil homme sur sa bicyclette disparaisse pour intervenir. Cette garce avait presque réussi à leur fausser compagnie. Deux coups de poing l’avaient raisonnée. Une balle dans la tête l’avait tuée. Son honneur était lavé.

Cround s’assit sur le bord de la planche servant de paillasse. Un mal de tête accompagna son mouvement, il passa sa main derrière son crâne. Une bosse l’ornait. Il eut une grimace mauvaise. Ses souvenirs parlaient d’un phénomène incompréhensible, mais aussi d’une défaite cuisante. Pour preuve, les barreaux d’une cellule l’entouraient. Non, tout cela n’était qu’un cauchemar ! Ce plafond bas, ce sol crasseux, ce vent qui l’avait entouré, ses évènements surgis de sa mémoire, n’étaient qu’hallucinations. Il se leva, ses doigts agrippèrent les tiges d’acier. Shelby se rendit à l’évidence. Il finirait sa vie dans une cellule. La troisième des Conwell s’était jouée de lui. Alors qu’il lui appuyait le canon de son flingue contre le front, elle s’était effondrée, des soubresauts l’avaient agitée. Puis, elle s’était levée d’un bond, lui n’avait frappé que du vide avant qu’elle ne le jette contre un mur, le terrasse. Comment avait-elle pu ? Seule. Il se souvint d’un élément. Bref, intense, une aura bleue, de la couleur de ses yeux, avait cerclée la fille. Elle n’était pas seule, non. Les Conwell avaient gagné. Les âmes de celles dont il avait pris la vie s’étaient regroupées dans le corps de la dernière descendante puis s’étaient vengées. Pourtant, elles ne l’avaient pas tué. Un frisson le secoua. Reviendraient-elles pour en fini avec lui ?

Un bruit de porte le tira de ses réflexions. Il recula lorsque Éric et Yves se positionnèrent devant les barreaux.

– Monsieur Cround, je suis le capitaine Rassic, et voici l’inspecteur Blanchart. Nous allons vous conduire au tribunal judiciaire où vous serez déféré devant un juge. Celui-ci vous notifiera votre mise en examen pour enlèvement, coups et blessures et tentative d’assassinat. Me comprenez-vous ?

Shelby hocha la tête positivement.

– Bien ! Niez-vous les faits, monsieur Cround ?

Il ne répondit pas.

– Comme vous voulez ! Vous serez ensuite incarcéré au centre pénitentiaire de Gradignan, où vous purgerez quelques mois de détention avant d’être extradé en Angleterre. Si toutefois il ne vous arrive pas malheur entre temps. Entendez pas là que les geôles françaises, ne sont pas plus sûres que celles de votre pays. Les assassins de femmes ne sont pas bien vus ici ou ailleurs. Et ne croyez pas qu’être ressortissant Anglais vous protégera en vous donnant droit à une cellule individuelle. Nous y veillerons.

Shelby n’esquissa pas le moindre mouvement.

– Retournez-vous, positionnez-vous face contre sol les mains dans le dos. Nous allons vous passer les menottes.

Il obtempéra.

Pendant qu’Yves serrait les poignets dans les anneaux d’acier, Éric s’approcha de l’oreille de Shelby.

– Une dernière chose, pourriture. Ayla va bien et te fais dire qu’avec sa mère, elles viendront te chatouiller toutes les nuits.

À l’intérieur du fourgon cellulaire, il pensa à Holly, à cette mère qu’il n’avait pas revue depuis des années. Elle habitait toujours au même endroit, mais n’exerçait plus son métier du fait d’une mauvaise santé. Il lui versait tous les mois une partie de son salaire. Qu’allait-elle devenir ? À cela, il n’avait pas de réponse. Tout comme il n’avait de solution pour prévenir Carlington. Sa dernière mission était un fiasco. À cause de lui, son boss, son père, allait lui aussi terminer sa vie en prison. Ses anciens amis s’en donneraient à cœur joie, le conspueraient, le traiteraient de tous les noms. Peut-être n’y survivrait-il pas.

Tout cela n’avait plus d’importance.

Le fourgon stoppa devant le tribunal. Un coup contre la carlingue indiqua à l’agent qui le gardait de défaire la chaîne le retenant à la structure métallique et de sortir. Il le suivit. Dehors, un bruit attira son attention, il tourna la tête. Sa dernière chance pour ne pas finir entre quatre murs. D’un coup d’épaule il se dégagea et partit en courant. Un tram arrivait. Il s’apprêtait à se jeter dessous lorsqu’un coup de feu retentit. La balle traversa sa jambe, il s’effondra. Yves et Éric arrivèrent. Une arme fumait encore dans la main de l’inspecteur. Ils le tirèrent sur le trottoir.

– Non Shelby ! Ton jour viendra, mais ce n’est pas toi qui décideras de l’heure, dit Blanchart.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Marsh walk ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0