James baissa les stores du réduit puis pianota sur son ordinateur.

– Kyle, regardez.

Une fiche de recherche s’affichait à l’écran, le listing inventoriait tout un pedigree et fournissait un cliché de mauvaise qualité. L’inspecteur le reconnut.

– C’est elle. Je croyais que vous ne la connaissiez pas.

– Pas sous le nom de Nora Kirk, mais sous celui de Kristen Karon. Ce n’est pas une personne que j’apprécie, croyez-moi, cependant, je ne peux vous en dire plus.

– James, arrêtez d’être évasif, je ne suis pas un imbécile. Vous disiez savoir ce qu’elle allait faire à Clashnessie et manifestement cela vous perturbe. Qui est cette fille et qu’est-ce qu’elle veut ? Et puis j’ai une autre question. Qu’est-ce que vous êtes venu foutre à Portree ? Me surveiller ?

La demande embarrassa Buclock. Il croisa les doigts et s’appuya contre le dossier de son fauteuil. Après un moment de réflexion il attrapa son téléphone.

– Vous permettez que je passe un coup de fil avant de vous répondre ?

Kyle hocha de la tête puis voulut sortir.

– Non, restez, le retint James en collant son portable à son oreille… Sir ! Votre vieil ami est entré dans la danse, dit-il à son interlocuteur.

La conversation avec Ice man dura peu et se résuma à un monologue de Buclock expliquant la situation. À la fin il posa une question, la réponse sembla le satisfaire.

– Inspecteur, pouvons-nous aller chez vous ? Je suppose que cette adorable… Nora a laissée des affaires. J’aimerais bien les voir, peut-être qu’un indice sur sa mission s’y trouve, même si je n’y crois pas. En chemin, je vous dirai ce que j’ai l’autorisation de vous divulguer, vous en déduirez le reste.

Au volant du Defender, Fearghas s’impatientait. Ses doigts tambourinaient sur le levier de vitesse et il regardait plus souvent James que la route. Les explications tardaient à sortir de la bouche de son supérieur, lui, était au bord de l’explosion. Le Range venait de dépasser Uig et s’enfonçait dans la lande lorsque Buclock parla.

– Cette île est remarquable, une surprise à chaque virage vous attend. Je comprends l’attachement que vous y portez.

La voix sonnait faux, à l’évidence, Buclock ne savait par où commencer. Kyle l’aida.

– Vous n’êtes pas sur Skye pour faire du tourisme, non ? Votre boss vous envoie pour rouvrir l’enquête sur Evra, je me trompe ?

– Non, souffla James.

– Bon sang, on joue aux devinettes ou vous allez enfin parler.

– Hmm… Je suis dans une position délicate, Kyle. Sachez que je regrette mes agissements autoritaires envers vous, ordres et contrordres n’étaient là que pour masquer mon véritable travail. Je sais que vous comprendrez. Il s’agit bien de votre ancienne épouse et des faits qui on conduit à son assassinat. Je ne suis pas là pour trouver le nom du tueur, je crains que cela ne soit plus possible, mais pour faire tomber le commanditaire.

– Que voulez-vous dire ? Ce n’était pas un crime crapuleux ?

– Non. Tout portait à le croire, les coups, le vol des papiers, mais ce n’était qu’une mise en scène pour orienter l’enquête dans la mauvaise direction.

Kyle stoppa la bagnole sur le bas-côté. James reprit.

– Je suis navré de vous l’apprendre comme ça.

– Pourquoi n’ai-je pas été mis au courant ?

– Sans doute auriez-vous mené votre propre enquête, je ne suis pas sûr que vous seriez là aujourd’hui, si vous voyez ce que je veux dire. Les inspecteurs de l’époque ont fait leur job et conclu à un vol qui avait mal tourné. Ils ne disposaient pas de tous les éléments, loin s’en faut. Dans l’ombre, d’autres tels que moi savaient mais n’ont jamais réussi à prouver l’implication de cet homme.

– Vous connaissez donc ce type.

– Je ne peux pas vous le dire, la première chose que vous feriez c’est d’essayer de lui coller une balle entre les deux yeux.

– Je sais me contrôler.

– Vous n’arriveriez pas à l’approcher mais autant ne pas prendre le risque. Cet homme est à la tête d’affaires frauduleuses qui couvrent plusieurs pays, il se terre depuis vingt ans dans quelques îles où les lois d’extraditions n’existent pas. Nous savons qu’il doit venir en Angleterre afin d’y subir une opération du cœur, l’empêcher de repartir est primordial. Pour cela, nous avons besoin d’une preuve. C’est ce que cherche aussi Nora, mais pour la détruire.

– Je ne comprends rien à toute cette histoire… Evra est morte parce qu’elle détenait une preuve de la culpabilité de ce type ?

– Oui. Vous commencez à discerner les raisons de sa mort.

– Mais d’où elle sortait ça ?

– De son passage à Bordeaux. Kyle, on ne sait comment votre épouse s’est trouvée en possession de ces papiers et les a cachés. Personne jusqu’à maintenant ne les a trouvés, c’est important de mettre la main dessus, ne serait-ce que pour la mémoire de votre épouse. Nora a très certainement fouillé chez vous, elle va à Clashnessie pour faire de même.

– Elle ne trouvera rien, j’ai vidé la maison il y a des années.

– Laissons lui perdre son temps. Nous savons que la demeure est vide, des gens spécialisés dans ce genre de recherche sont passés avant elle et n’ont rien trouvé. Oui, la maison de vos parents a été inspectée sans que vous le sachiez.

– Je suppose que chez moi aussi ?

– le contraire m’étonnerait.

– Fucking shit !

Kyle démarra en trombe, au croisement plus loin, il effectua un demi-tour.

– Que faites-vous ? interrogea Buclock.

– Je vais à Clashnessie m’occuper de l’autre.

– Raisonnez-vous Fearghas, cela ne rime à rien. Allons chez vous.

– Tout ce temps à passer pour un imbécile, vous croyez que je vais laisser cette fille s’en tirer comme ça ?

– Arrêtez-vous, vous réglerez vos comptes une autre fois. Nos heures sont précieuses, ne les gâchons pas.

– J’en ai rien à foutre de votre type, je vais…

Son téléphone sonna, il gara le Defender sur un passing place. L’appel venait de l’étranger, de France, son cœur se serra. Ayla était là-bas, elle brisait le silence. Enfin. Il décrocha et attendit que sa fille parle en premier.

– Mister Fearghas ?

La voix masculine le dérouta, Kyle hésita à répondre.

– Oui ! Qui êtes-vous ?

– Je m’appelle Tom Clynac, je suis le copain d’Ayla.

– Ayla ! Je… Elle est avec vous ? Je peux lui parler ?

– Non monsieur, elle…

– À quoi vous jouez, alors ? Vous lui avez volé son téléphone et vous appelez tous ses contacts ?

– Non ! Écoutez-moi, je vous en prie. Je suis très inquiet, votre fille a disparu.

– Qu’est-ce que vous me racontez, vous croyez que…

– Cette nuit, un cambrioleur est venu à son appartement et m’a assommé. Quand je me suis réveillé, Ayla n’était pas là. Je viens d’aller à la police et l’inspecteur prend l’affaire au sérieux, il m’a parlé de votre femme Evra.

Surprit, Kyle regarda James qui avait capté des bribes de la conversation. Il fut le premier à réagir.

– Vous êtes à Bordeaux ? demanda-t-il.

– Oui.

Le Range dérapa sur l’allée du cottage, les deux hommes s’en éjectèrent. Pendant que Fearghas remplissait un sac de voyage, Buclock, son portable rivé à une oreille fouillait les affaires de Nora. Comme il le pressentait, il ne trouva rien et ne prit pas le soin de ranger. À l’autre bout du fil, Ice man lui confirma une réservation, aussitôt, il raccrocha et resta songeur un instant. Depuis ce matin, il n’avait pas de doutes sur l’étrangeté de cette journée, l’enchaînement des évènements le lui confirmait, et ce n’est pas aujourd’hui qu’il aurait une réponse sur les faits de Strathy. Se tournant vers l’inspecteur.

– Fearghas, nous avons cinq heures pour rejoindre l’aéroport de Glasgow, un avion nous y attend.