12.1

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Nora inhala les vapeurs de son thé. Debout derrière la baie vitrée, elle regardait le jardinet entretenu à la perfection de son hôte. Quelques salades épanouissaient leurs feuilles à côté d’une rangée de choux et d’une lignée de carotte, plus loin, une petite serre conservait à l’abri les semis à venir. La cahute de verre reposait sur un pan de pelouse épaisse et coupée au carré, le grass entourait aussi un disque de terre retourné. Quatre rosiers y déployaient leurs branches griffues mais encore vierges de feuilles. La saison des fleurs prenait son temps. Tout respirait la tranquillité taillée au cordeau dans ce pavillon isolé de Lochalsh. Cachée au fond d’une impasse, l’habitation aux tuiles noires possédait deux avantages dont celui de disposer d’une sortie secondaire sur une rue parallèle. Une aubaine pour son propriétaire quand on connaissait son fonds de commerce. L’autre était son garage. Là, dormait, à l’abri des regards, l’engin surpuissant que Nora avait récupéré à Heathrow mais aussi tout un atelier de contrefaçon. Similaire à l’extérieur, l’organisation y régnait aussi malgré les multiples machines encombrant le sol et les coins. Certaines, hors d’âge, exhibaient squelettes et carters rouillés, alors que de plus récentes rutilaient sous l’huile d’entretien. L’on aurait pu croire à un fatras mais non, l’agencement quasi militaire démontrait la rectitude d’esprit du gars qui, courbé sur un touret, fignolait une clé. Son épaisse chevelure surmontait deux yeux fous à la recherche de la moindre bavure, de la plus infime malfaçon qui pourrait induire un mauvais fonctionnement. Un orfèvre de la précision et du travail bien fait, pour lui, vite et bien ne s’accordaient pas. Nora piaffait. Plus de trente minutes s’étaient écoulées, trop au vu de son objectif journalier. À bout de patience, elle le rejoignit afin de l’activer un peu.

– Vous en avez encore pour longtemps ?

Sa voix transpirait la hâte coulant dans ses veines, elle se planta devant le travailleur. L’homme leva un regard noir.

– Calmez-vous ma belle, j’ai horreur que l’on m’interrompe. Et si vous aviez réalisé correctement l’empreinte, mon job serait déjà fini.

– J’ai de la route à faire.

– Je n’en doute pas, mais vous serez bien avancée si le passe ne fonctionne pas.

Nora souffla en levant les yeux au ciel.

– Voilà… Ce n’était pas si long que ça, hein ? Envoyez deux cents Livres.

– Vous n’y allez pas de main morte !

– Les temps sont durs, ma belle. Vous direz aussi à votre patron que le gardiennage de votre bolide n’est pas gratuit.

– Je peux le récupérer quand je veux ?

– Oui. Le réservoir est rempli et les niveaux sont faits.

Lochalsh s’effaçait dans les rétros de la Mini lorsque Nora enclencha la radio. The Pretenders envahirent l’habitacle, ses doigts cognèrent le volant au rythme de « Don’t get me wrong* ». Cette chanson affolait ses sens depuis le concert au Sheperd’s Bush Empire de Londres en 2009. Mythique pour certains, fondateur pour elle.

Deux hommes lui avaient donné rendez-vous par l’intermédiaire d’un receleur pour lequel elle travaillait. Déjà ses attraits vénéneux agissaient en aimant, elle en usait pour attirer nombre de prétendants et prétendantes. Pris dans les filets de ses bras, ceux et celles qui se croyaient chanceux, voyaient mettre à sac leur appartement alors qu’ils partageaient sa couche. Elle disparaissait au petit matin ne laissant que le souvenir de la fragrance de son corps. Nora se tortillait dans le box privé réservé pour elle. En bas, la fosse gavée réclamait une ultime chanson, Chrissie Hynde* s’était laissée convaincre. « Don’t get me wrong » abandonnait ses premières notes lorsque les deux hommes étaient entrés. Rien ne les apparentait, cependant, ils semblaient être frères. Même taille, même largeur d’épaule, même tailleur. Leurs costards seyaient à la prestance qu’ils dégageaient. Des gars de la haute, élevés au bœuf Wellington, au cheese cake et aux thés de grandes marques. Elle avait eu un mouvement de recul à leur approche. Se faufiler entre ces types lui avait paru, au premier abord, facile. Elle en avait été pour ses frais. L’attrapant chacun par un bras, ils l’avaient déposée sans ménagement sur un siège, prouvant par ce geste l’emprise qu’ils exerçaient. La suite avait été un monologue d’un des hommes, ponctué par des hochements de tête de son collègue. En clair, ils appartenaient à un organisme d’état chargé du recrutement de futures valeurs sûres afin de mener à bien certaines missions. L’illégalité de celles-ci ne laissait planer aucun doute, ce qui pour elle était important, de plus, le job offrait stabilité et revenus conséquents. Avant qu’ils aient fini, elle avait dit oui. Sur scène, le dernier riff de guitare s’envolait sous les cris de la foule.

Les premiers contrats avaient ressemblé à ceux qu’elle menait pour le receleur. Séduire, toujours. D’autres se chargeaient de récupérer preuves ou documents compromettants. Jusqu’au jour où elle avait pris une autre dimension. Cinq ans s’étaient écoulés, une dissension entre ses patrons s’était produite. L’un avait voulu rester du bon côté alors que l’autre, attiré par des gains plus importants, avait basculé. Le suivre s’imposait comme une évidence mais obligeait à plus de risques. Elle s’en accommoda aisément, le supplément d’adrénaline compensait les aléas de certains objectifs, une arme à feu lui fut néanmoins fournie. Le flingue n’avait servi qu’une fois et le fiasco qui s'était ensuivi l’avait poussée vers des vacances prolongées.

Nora voulut vérifier la présence du pistolet dans la boite à gants, elle se pencha tout en gardant les yeux sur la route. Alors que ses doigts tournaient la molette de déverrouillage, elle ressentit un froid vif sur son poignet. La Mini fit une embardée et traversa la chaussée. D’un coup de volant, elle ramena l’engin du bon côté de la route avant de le stopper. Sa peau, à l’endroit de l’inflammation, conserva plusieurs secondes une teinte bronze ressemblant à une nécrose, puis, l’épiderme reprit sa couleur pâle. Elle se demanda ce qui arrivait, une nuée de réflexions, des plus banales aux plus nocives, l’assaillirent. Les dernières emportèrent la mise. Elle se vit atteinte de maladies et mourir d’un cancer en quelques mois. Fini son corps parfait, fini sa belle chevelure, elle finirait ratatinée et le crâne lisse. Son esprit fit la corrélation entre la fumée qu’elle absorbait et cette soudaine brûlure de froid, quoi d’autre, c’était le seul poison dont elle abusait. De rage, elle jeta son paquet de clopes par la fenêtre puis démarra en trombe. Assise sur le siège passager, Evra rigolait. Sa main venait de serrer l’avant-bras de l’usurpatrice et, si ce geste avait une fois de plus consommé son énergie, elle s’en moquait, le visage défait de Nora compensait la faiblesse ressentie.

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