17.1

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James et Kyle sortirent les premiers de l’avion et coururent au travers des couloirs de l’aéroport jusqu’au contrôle douanier. Ils exhibèrent leur passeport, reprirent leur course de plus belle. On aurait dit deux furieux lancés à la poursuite d’un être invisible, c’est en sueur qu’ils déboulèrent devant le comptoir d’un loueur de voiture. James usa d’un Français approximatif afin d’accélérer la paperasse, en vain. La procédure s’étalait. Permis de conduire, autorisations, signatures, caution, à bout de nerf, il arracha les clés d’une Mégane de la main de l’employé. Maudit froggies*, ces gens poussaient son exaspération à son paroxysme, seule leur gastronomie trouvait grâce à ses yeux.

Installé au volant, il essaya de calmer l’inhabituelle fébrilité qui rongeait son esprit et ses membres. Depuis leur départ de Skye, tout allait de travers, le voyage s’éternisait alors que le temps pressait.

Le Range Defender s’était traîné à 70 MPH* sur la route, Kyle s’était pourtant évertué à tirer le maximum de la mécanique. Mais la machine, récalcitrante, avait hurlée sa peine en éjectant son lot de fumée noire. Dans son sillage, les autres usagers avaient allumé les phares de leur bagnole, perdus dans une nuit chargée d’huile. Buclock, avait pensé que même son antique Cavalier aurait roulé plus vite, cinq heures à ce rythme avaient usé sa patience. Jamais ils n’arriveraient à monter dans l’avion ralliant Bordeaux. Contraint, il avait appelé son boss, afin qu’il retarde le décollage, de multiples quolibets les avaient accueillis alors qu’ils prenaient place.

Comprimé sur son siège éco par la carcasse de Kyle, il s’était expliqué en partie sa nervosité par le temps passé à rejoindre Glasgow, puis par son coup de fil à Ice Man. Il savait cependant, qu’un autre motif le perturbait, une personne, un gars. Et ce type, était assis à ses côtés. Comment allait-il gérer l’armoire à glace qui bouillait d’impatience de se servir de ses poings ? À cela, pas de réponse.

Le moteur de la Renault, crachait ses chevaux en louvoyant sur les voies de la rocade, lorsque le flash d’un radar crépita. James, lança des injures gratinées, pour autant, son pied resta cloué au plancher. Ralentir n’entrait pas dans son vocabulaire aujourd’hui, Ice payerait les contraventions. Le bolide doublait un camion quand la voix sans âme du GPS indiqua la sortie à cent mètres. D’un coup de volant rageur, il rabattit la bagnole à droite.

Kyle, le regarda d’un œil surprit, c’était la première fois que son supérieur débridait son flegme. Le vernis de la carapace s’effritait, laissant place à sa vraie nature, cela ne lui déplut pas. L’Anglais remonta d’un cran dans son estime, peut-être lui payerait-il une bière un jour. Mais pas avant d’avoir récupéré Ayla.

Installés dans l’avion, ni l’un ni l’autre n’avaient desserré les mâchoires, chacun absorbé par ses tourments. S’il ne connaissait pas ceux de son compagnon de voyage, les siens lui avaient tordu les tripes et le cœur. Un idiot, voilà ce qu’il avait été, et ce qu’il était encore. Ses doigts, serviteurs de sa hargne, avaient martyrisé les accoudoirs du siège puis serré ses cuisses d’une force qu’il ne se connaissait pas. Si un malheur se produisait, jamais il ne se le pardonnerait. À la douleur physique, s’était ajoutée la mentale, mais il ne s’était pas laissé entraîner dans ses méandres. Se torturer ne servait à rien, Ayla avait besoin d’un père, d’un rock qui avançait et que rien ne pouvait arrêter. Il avait alors imaginé mille scénarios pour retrouver sa fille, des plus faciles aux plus sordides. Tous s’étaient soldés par un dénouement heureux, et ceux qui l’avaient enlevée, avaient goûtés à sa rage. Depuis, il n’était qu’une pile, une bombe prête à exploser.

Son téléphone sonna au moment où la bagnole décolla sur un ralentisseur. C’est lui qui éructa un juron, mais à l’encontre de James. À regret, le commandant ralentit.

– Décrochez, Fearghas. C’est peut-être Tom qui se demande ce que nous fichons.

Kyle regarda l’écran, le visage de Eliott, son frère de cœur, s’affichait. Il décrocha.

– Salut Eliott !

– Bonjour, Kyle. T’as maison est vide, tu es au travail ?

– Non ! Je croyais que tu n’arrivais que demain !

– J’ai repoussé mon cours à la semaine prochaine, trop pressé de discuter avec toi. Je me suis permis d’entrer, la clé était sous le paillasson, comme d’hab.

– Tu as bien fait. Dis, je ne suis pas tout seul, on pourrait parler de Evra plus tard, je te contacterai dès que possible.

Au prénom de Evra, Buclock tourna la tête. La question qu’il n’avait osé poser revint à sa mémoire, si cette discussion pouvait apporter une réponse, autant la prolonger.

– Kyle, ne coupez pas ! J’ai compris que vous parliez avec Monsieur MacAllister, continuez, je vous prie. Vous pouvez mettre le haut-parleur.

– Vous connaissez Eliott ?

– Sa renommée le précède, et vous savez que je suis bien renseigné… Bonjour, professeur. Je suis le commandant James Buclock.

– Commandant !

– Je… J’aurais une question, je ne sais cependant comment la formuler. Mon compagnon de route ne va pas apprécier.

Kyle grimaça. Qu’allait encore lui apprendre l’anglais ?

– Je vous écoute, commandant, dit Elliot intrigué.

– Bien ! Hier, à Strathy, j’ai été témoin d’un phénomène que je ne m’explique pas…

– Vous m’avez suivi ? s’emporta Kyle.

– Calmez-vous, je vous expliquerai !… Je disais donc que j’avais vu une sorte de tourbillon qui avait entouré l’inspecteur, et qu’ensuite une onde l’avait suivi jusqu’à sa voiture. Les mots pour vous décrire cet événement me manquent, tout cela est pour moi irrationnel, inattendu et incompréhensible.

– Qu’en avez-vous déduit, commandant ?

– Que j’ai halluciné !

– C’est ce que pensent beaucoup de personnes confrontées au paranormal. Je peux vous dire que vous n’avez pas rêvé, mais vous éclairer prendrait trop de temps. Je suppose que vous avez à faire.

– S’agissait-il de Evra ? questionna James d’une voix abrupte.

– Je pense que mon frère est plus à même de vous répondre que moi. S’il veut bien.

Kyle bougonna. Cette intrusion dans son monde le mettait mal à l’aise, il exécrait s’épancher sur sa vie, d’autant plus face à un quasi inconnu. Mais, d’un autre côté, tous deux partageaient la même galère, et James n’avait pas hésité à jouer de ses relations afin qu’ils rejoignent Bordeaux. Ayla était leur seul but. Si s’exprimer pouvait aider à la libération de sa fille, il devait parler. Ne rien négliger relevait de Son job, quitte à passer pour un dingue. Et puis, Eliott était là pour corroborer son histoire. Il prit une longue inspiration.

– Je vous préviens, commandant, ne vous fichez pas de ma gueule. Je crois que c’était Evra… non, j’en suis sûr. Elle est venue avec moi, enfin, elle s’est échappée avec moi. D’après mon frère, mes dernières paroles l’ont fait basculer dans un genre d’incompréhension, ce qui a provoqué le phénomène dont vous avez été témoin. Comment a-t-elle réussi à me suivre reste un mystère, mais j’ai ressenti sa présence sur le chemin du retour et à Clashnessie. Pas ce matin par contre, alors hier, j’ai peut-être rêvé.

– Non, mon frère ! Monsieur Buclock l’a vu aussi.

James secoua la tête. La confirmation de l’inspecteur le dérouta davantage, le chemin de l’acceptation serait long.

– Cela est-il possible ?

– À qui veut ouvrir les yeux et accepter de ne pas tout maîtriser, oui, répondit Eliott… Kyle, tu disais n’avoir pas ressenti la présence de Evra ce matin, qu’en est-il maintenant ?

– Elle n’est pas avec nous, pourquoi ?

– Parce qu’elle n’est pas au cottage, ni aux alentours.

– Comment pouvez-vous en être sûr ? demanda James.

– Je ne le suis pas, mais je ne perçois que peu de vibrations. Elle était ici, aucun doute, et l’onde la plus fraîche se dirige vers la grange avant de s’arrêter où mon frère gare son Defender.

– Vous êtes stupéfiant !

– Elle est partie avec Nora ! s’exclama Kyle. Elle garait sa Mini au même endroit.

– Qui est cette Nora ?

– Une vieille connaissance peu recommandable, intervint James. Et je parierai un bon repas que nous allons la croiser sans tarder. Nous savons, donc elle sait. Peut-être même nous devance-t-elle !

– Vous m’inquiétez tous les deux. Où êtes-vous ?

L’inspecteur regarda Buclock. Il envisagea un instant de lui demander son autorisation de dévoiler le pour quoi de leurs présences sur le territoire français, et plus précisément à Bordeaux, mais il n’en fit rien. Eliott, considérait Ayla comme la fille qu’il n’aurait jamais, lui cacher l’info de son enlèvement lui parut incongru et, de toute façon, rien qu’à l’intonation de sa voix, MacAlister devinerait tout.

– En France ! Nous suivons une piste afin de retrouver Ayla. Elle a été enlevée.

Un bruit de chaise raclant le sol puis le son lourd d’un corps s’avachissant se firent entendre. Après plusieurs secondes, la voix chargée d’émotion de Eliott résonna.

– Kyle, hier je t’ai caché une part de vérité. Pardonne-moi, mon frère… Je vais essayer d’être bref et clair dans mes explications. Les spectres qui s’échappent de leur cage passent dans une chambre intermédiaire, une autre dimension où tout devient possible. Ils peuvent, par exemple, traverser des cloisons ou, comme tu l’as ressenti, provoquer une sensation de froid lorsqu’ils touchent un être vivant. Choses qui leur étaient impossible avant. Seulement, ces interactions ont un coût. La disparition progressive de leur image corporelle, souvent, ils ne s’en rendent compte que trop tard. Que deviennent-ils après, nul ne le sait… Alors, trouvez Ayla, avant cette femme, avant Evra. Sa fureur pourrait la consumer à tout jamais.


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