17.2

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James gara la Mégane en vrac dans un trou de souris. Le capot empiétait sur le trottoir, l’arrière dépassait sur la chaussée. La rue Pedroni dégorgeait de véhicules. Kyle descendit avant le commandant, en trois pas, ils furent devant la porte en bois de l’immeuble où habitait Tom. Un clic la déverrouilla. Tous deux s’engouffrèrent dans la cage d’escalier, sans prendre attention à la 308 blanche stationnée de l’autre côté de la rue, et à l’homme qui les regardait.

L’Américain, toujours affublé de son sweat des Lakers, les attendait sur le seuil de son appartement. Il recula face à la stature et à l’attitude courroucée du gars qui déboulait en haut des marches. Grand, large, sa corpulence encombrait le palier et masquait l’autre personne l’accompagnant. Pas le genre de mec à qui chercher des emmerdes. Impossible que ce type soit le géniteur de Ayla, trop de différence de gabarit. Cependant, une lueur dans les yeux lui rappela celle qui sévissait parfois dans les prunelles de sa maîtresse. Il fit glisser sa capuche et se risqua.

– Vous êtes le père de Ayla ?

Kyle stoppa net puis dévisagea son interlocuteur. Une épaisse chevelure sombre, des yeux clairs, une peau lisse et bronzée, une barbe naissante, ce gars ressemblait à une couverture de magazine pour fille. Style bad boy de pacotille. Comment sa fille avait-elle pu s’enticher de ce mec ? D’emblée, il décida de se montrer antipathique et attaqua bille en tête.

– Et vous Tom, son… copain ?

Le dernier mot, appuyé, claqua comme une baffe sur la joue de Clynac. S’il avait des doutes sur l’agressivité de l’inspecteur, l’hésitation fut balayée. Néanmoins, il supporta le regard fiévreux de Kyle, et se prépara au combat.

– Oui !

– Où étiez-vous quand ma fille s’est fait enlever ?

– Je dormais dans sa chambre. À deux heures trente, je me suis réveillé, comme elle n’était plus à mes côtés, je me suis levé. J’ai surpris un cambrioleur dans le salon, nous nous sommes battus, puis j’ai pris un coup à la mâchoire et suis tombé KO. Ça vous va comme réponse ?

James, percevant la tension, intervint.

– Fearghas, ne dépassez pas les limites. Tom a fait ce qu’il a pu, gardez votre hargne pour plus tard, nous en aurons besoin. Monsieur Clynac, finissons d’entrer, nous avons à parler afin d’éclaircir certains points.

Sans perdre de temps, l’Américain raconta la bagarre, son réveil douloureux, le vol de l’ordinateur de Ayla, sa visite à la police et son entretien avec l’inspecteur Blanchart. Il sortit d’une poche la carte de visite du flic puis indiqua qu’il prenait l’affaire très au sérieux. Selon lui, il connaissait Evra et Ayla.

– Éric Blanchart ! Une chance que ce soit lui qui vous ait reçu. Il était sur l’enquête il y a vingt ans avant d’en être dessaisi, précisa Buclock.

– Vous êtes bien renseigné, grinça Fearghas.

– Ne me regardez pas comme ça Kyle, ce détail figurait dans le dossier que j’ai étudié. Tom, que vous a dit d’autre l’inspecteur ?

– De ne pas m’inquiéter, et qu’il ferait son possible pour la retrouver.

– On peut donc penser qu’il s’est lancé sur les traces de Ayla. Je suppose que vous parlez le français couramment, appelez-le et demandez lui s’il a des nouvelles. Dites-lui aussi que nous pouvons l’aider.

– Je m’en occupe, mais d’abord, venez avec moi.

Ils se déplacèrent au bureau du geek. Un ordinateur y ronronnait, deux écrans affichaient des lignes de codages, un troisième placardait un tableau dont les colonnes débordaient de formules. Un fouillis incompréhensible pour James et Kyle, ils se regardèrent, dubitatifs. Clinac s’installa.

– J’ai passé la nuit à développer un logiciel de localisation dissimulé dans un mail, puis, je l’ai envoyé sur la boite de Ayla. Si le kidnappeur l’ouvre, nous saurons où est l’ordinateur avec une précision d’un ou deux mètres.

Buclock hocha la tête en signe d’admiration.

– Vous êtes capable de programmer un truc pareil ?

– Oui ! Mon job consiste à pisser du code pour des jeux vidéos, disons que je me suis servi de mes compétences.

– Monsieur s’adonne au phishing*… Bien joué ! s’exclama Kyle, un tantinet moins offensif. Mais rien ne garantit que quelqu’un va mordre à l’hameçon. Ni que Ayla soit proche de son ordinateur.

– Non, bien sûr ! Mais je ne pouvais pas rester les bras croisés.

– Et comment on sait si la localisation est activée ?

– Je recevrai une alerte sous forme de bandeau lumineux en bas de ce…

Tom ne finit pas sa phrase. Sous ses yeux ébahis, à la dernière ligne du tableur, une lumière rouge clignota et afficha des coordonnées GPS. Il jura.

Holy shit !

Stupéfaits, Buclock et Fearghas se penchèrent sur l’écran. Le logiciel fonctionnait, ce geek venait de leur en boucher un coin.

Le Californien s’empressa d’ouvrir la fenêtre contenant le plan de Bordeaux, puis entra les coordonnées affichées. Une tête d’épingle apparut sur un bâtiment près de la gare Saint-Jean.

– Je connais un peu, j’y suis passé, mais pas ces derniers temps. C’est dans un quartier en rénovation, la photo satellite date de six mois, peut-être que les logements sont terminés.

– C’est loin d’ici ? demanda James.

– Une demi-heure en bagnole.

– OK ! Tom, envoyez l’itinéraire sur mon portable, avec Kyle, on file là-bas.

– Je viens avec vous.

– Non, trop dangereux ! Ces types ne sont pas des enfants de chœur, et vous n’avez aucune expérience en la matière, vous nous ralentiriez. Restez derrière votre écran et prévenez-nous si l’ordinateur de Ayla bouge.

L’Américain protesta, puis voulu se lever. Le regard de l’inspecteur l’en dissuada.

Les deux hommes sortirent de l’immeuble et se ruèrent dans la Mégane. Le moteur vrombit, les pneus crissèrent. Une manœuvre de recul effectuée, la Renault dévala Pedroni, puis disparue à l’angle de Jean Soula.

Dans son sillage, la Peugeot 308 suivait tant bien que mal le rythme effréné au travers des artères. Droite, gauche, sa connaissance parfaite des rues de Bordeaux, permit au chauffeur de garder le contact visuel sur le point gris avalant le cours de la Libération. Lorsque la Mégane contourna la Place de la Victoire, il comprit que la poursuite se dirigeait vers la gare. À la faveur d’un ralentissement, il réussit à se saisir de son portable et composa un numéro.

* Froggies : mangeur de grenouille, surnom que donnent les Anglais aux Français.

* 70 MPH : 70 mille par heure, environ 112 kilomètres par heure.

* Phishing : hameçonnage, terme désignant une action frauduleuse destinée à leurrer un internaute.

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