18.2

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Éric se tourna, vint se planter devant Davenne.

– J’ai un truc à te proposer, lança-t-il.

Sergio leva un regard mauvais.

– Va te faire mettre, je parle pas aux flics !

– Ne sois pas si présomptueux. Je vais t’exposer certains faits et leurs conséquences, à toi d’aviser si tu causes ou pas. T’es pas sans savoir que je recherche une personne, une fille que ton patron, Fred Costelli, a enlevé pour le compte d’un Anglais à qui il lèche le cul. Cette fille s’appelle Ayla Fearghas, ou Conwell si tu préfères. Je me doute que ce nom te rappelle une histoire vieille de vingt ans.

– Je ne travaillais pas pour Costelli à cette époque !

– Tu commences mal, Sergio. Mentir ne t’aidera pas… Donc, il y a vingt ans, tu as tiré sur une voiture du côté du Parc Gambetta, à l’intérieur, il y avait une femme et sa fille.

– Tu peux pas me mettre ça sur le dos, sale enfoiré. J’travaillais pas pour…

– Te fous pas de ma gueule, à cette période, tu bossais déjà pour cette raclure de Fred. Je sais que tu tenais le flingue, comme je sais que c’est toi qui conduisais la bagnole qui a servi à enlever Ayla. Je peux tout, Sergio, et je vais te charger ! Tentative d’homicide, rapt, coups sur flic, j’en passe. J’irai chanter que, pris de remords, tu m’as balancé ton patron en pleurant comme une gonzesse dans des chiottes publiques.

Sergio tenta de se lever, ses poignets enserrés l’en empêchèrent. La rage se lisait dans son regard, il cracha sur l’inspecteur, l’injuria.

– Je te crèverai, poulet de mes deux !

– T’auras pas le temps ! Tu finiras crucifié dans ta cellule pourrie de Gradignan, par les potes de ton employeur. Voilà, tu connais maintenant les conséquences. Qu’est-ce que tu décides ?

– Va te faire foutre !

– … Comme tu veux. Adios, Sergio ! On se retrouvera chez le cornu, un de ces quatre.

Éric fit volte-face, sortit des toilettes. Il referma la porte sous les menaces de Davenne, puis attendit. Il se donna deux minutes. Leur terme marquerait la capitulation de l’homme de main ou l’échec de sa stratégie.

Trois s’écoulèrent. Dépité, il se dirigea vers l’arrêt du tram, lorsque dans son dos, une voix étouffée demanda.

– Qu’est-ce que tu veux ?

Avant d’entrer, l’inspecteur mit en route l’enregistreur de son portable puis glissa le smartphone dans sa poche. Les traits de colère ne déformaient plus le visage de Sergio, son air contrit indiqua à Éric que l’homme était mûr. Son bluff fonctionnait, il en fut soulagé. Un dernier mensonge tirerait l’info sur la position de Ayla, après… il préféra ne pas y penser.

– Dis-moi où est la fille, rien d’autre. Je défais les menottes et tu te barres où bon te semble. Tu me parais un gars futé, ma main au feu que tu vas partir loin de Bordeaux. Je me trompe ?

– J’ai ta parole ?

– Non ! Mais as-tu le choix ?

Éric sauta dans le tram qui filait en direction de la gare. Il fulminait. Sergio avait craché le morceau après une ultime hésitation, la précision de ses indications avait levé le doute sur leur véracité : « Rue des Gamins, le troisième immeuble, celui en finition. Premier étage, dernier bureau au fond du couloir. Deux gars barrent l’entrée, trois surveillent la fille. Y a aussi un Anglais, une pourriture de Birmingham, et une femme qui vient pour l’interroger. C’est tout ce que je sais. » La Rue des Gamins ! Cinq cents mètres l’en séparaient tout à l’heure, dix minutes de marche de la gare Saint-Jean. Merde, que de temps perdu ! Il connaissait les vicissitudes d’une enquête, les aléas étaient son pain quotidien, mais là, il s’agissait de trouver au plus vite Ayla. Si au lieu de demander à Frank l’adresse de Costelli, il avait demandé ses dernières acquisitions, ça aurait fait tilt dans sa tête. Mais non ! Sans compter que depuis leur rencontre, son vieux pote avait, peut-être, déplacé la petite. Non, trop compliqué en plein jour, et un timing serré. Ça puait, Fred mettait le paquet sur l’interrogatoire, faire venir deux personnes d’Angleterre indiquait que son commanditaire le bousculait. Le temps pressait, plus que jamais.

La rame enquillait les quais lorsqu’il se saisit de son téléphone. Il tapa un message à l’attention de Frank.

« Envoie une équipe récupérer Davenne dans les chiottes à Doumer. Il est menotté. Il a une histoire intéressante à raconter. »

Si Sergio croyait que Blanchart allait le libérer, il s’était fourré le doigt dans l’œil, jusqu’au coude. Tant pis pour lui ! L’inspecteur n’avait pas donné sa parole, ce genre de type ne la méritait pas. La guerre entre les deux camps se jouait à coups de dupes, de tromperies. Aujourd’hui il sortait vainqueur, demain…

Son SMS envoyé, son portable sonna. Il décrocha.

– J’ai du nouveau, tu me dois deux cent cinquante balles, railla son indic.

Éric ricana.

– Tu as l’adresse ?

– Non ! Mais un truc qui va t’asseoir.

– Hmm ! Je t’écoute.

– Hier soir, un Anglais fringué comme dans les vieux films rodait dans le quartier des putes à Bègles, pas loin de la Rue de la Moulinatte. Un gars pas regardant sur la qualité de la marchandise et qui sentait la bière, si tu vois ce que je veux dire.

L’inspecteur colla son portable contre son oreille, un élément venait de s’emboîter.

– Un type de Birmingham ?

– Comment tu sais ?

– T’occupe ! Alors ?

– Il aurait raconté au patron du bar où il éclusait, qu’il travaillait pour un ponte anglais, un caïd qui devait rentrer au pays afin d’y subir une opération. Il a dit la même chose à une prostituée, sauf qu’en plus il devait faire parler une fille. J’ai pensé de suite à ton affaire. T’en dit quoi ?

– Que t’as fait du bon travail ! Autre chose ?

– Non. Aucune adresse, aucun hôtel où tu pourrais l’alpaguer. C’est pas faute d’avoir fait le max.

– Je passerai dans la semaine.

– Cool ! Tu sais où me trouver.

L’info leva l’infime doute obstruant encore le raisonnement de Blanchart. L’Anglais n’avait pas retrouvé les documents volés par Evra, et s’en prenait maintenant à sa fille afin de les récupérer. La mort de Conwell ne les avait pas fait disparaître, ni volatilisés. Espérait-il que Ayla connaisse l’endroit où les papiers compromettants étaient cachés ? À coup sûr, mais peu probable. Hâté par son retour en Angleterre, le caïd tentait le tout pour le tout, envoyer un homme de confiance le prouvait. Cette idée n’émanait pas de Costelli, l’inspecteur l’avait surestimé. Mais pourquoi une femme venait-elle aussi ? La réponse fusa dans son esprit. Le velours et l’acier, la gentille et le méchant. Un petit sourire étira enfin ses lèvres. L’espoir subsistait, le temps que l’eau et le feu se synchronisent, il arriverait peut-être à s’infiltrer afin de mettre un terme à cette histoire. Cependant, une question le tarabustait. Seul et sans arme, comment entrer ? Sa plaque ne suffirait pas face à des gars déterminés, ni le bluff, et appeler des renforts serait trop long. Afin de contrer l’appréhension le gagnant, il essaya de se remémorer l’emplacement des immeubles de ce nouveau quartier, la presse locale en avait fait ses choux gras en diffusant maintes vues et perspectives en 3D. Une possible solution d’intervention résidait dans leurs configurations entre les entrées principales et les issues secondaires, mais ses souvenirs ne diffusaient que trois blocs de béton entourés d’un peu de verdure. Rien de concret. Sans plus de certitude, il décida d’aviser sur place. Réfléchir de la sorte repoussait son anxiété, mais alors que le tram décélérait à l’approche de la gare, l’angoisse monta d’un cran. Il se jetait dans la gueule du loup, les picotements de sa nuque ne le trompaient pas, ni la moiteur des paumes de ses mains. Les prochaines minutes apporteraient leurs lots d’adrénaline et de ténacité, à lui de les canaliser, à lui de les imposer. Éric déglutit. Son téléphone sonna. Sans regarder le nom qui s’affichait, il décrocha.

– T’es où ?

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