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Kyle se réveilla en sursaut. Un instant, il se demanda ce qu’il foutait derrière un volant sur un parking en bordure de route. Puis, il se rappela qu’il conduisait la bagnole deElliot afin de rallier Édimbourg. Il tourna la tête. Son frère de cœur dormait sur le siège à ses côtés et Ayla sur la banquette arrière. Trop fatigué pour continuer, il s’était arrêté avant de s’endormir, alors que ses passagers roupillaient déjà depuis deux heures. Elliot, à bout, n’avait assuré qu’une heure de conduite, le temps de passer le Skye Bridge et de stopper au niveau de Eilean Donan Castle. Il avait ensuite pris la relève, mais ne savait pas où ils étaient. Pas loin de la capitale au vu de la circulation.

Le jour se levait, il attrapa son portable afin de regarder l’heure, constata que la batterie était à plat. Son chargeur était dans le coffre, enfoui au fond de son sac. Bouger réveillerait les autres occupants de la caisse, il reposa sa nuque contre l’appui-tête et ferma les yeux. Pas longtemps. Un coup de klaxon d’un poids lourd le fit sursauter et réveilla tout le monde.

– On est arrivés ? demanda Ayla.

– Presque ! Je crois qu’on a passé Perth, dans une heure nous y serons.

Ayla ne voulut pas que son père et Elliot l’accompagnent jusqu’à l’esplanade du château. Ils n’insistèrent pas. Les Conwell se débrouillaient seules, comme toujours. Ils la regardèrent s’éloigner sur Grassmarket puis s’enfiler dans une venelle qui menait à Castlehill. Kyle attrapa son chargeur, avec son frère, ils filèrent prendre un petit déjeuner. Elle franchit le seuil du parvis et fit quelques pas en direction du parapet. L’effervescence ne régnait pas encore, un groupe d’une dizaine de personnes discutaient dans un coin, deux ou trois badauds prenaient des photos. L’heure matinale et un léger crachin n’y étaient pas étranger. Elle passa devant un Dragoon Guard, l’homme dérogea à sa posture stoïque en lui adressant un clin d’œil. Elle lui répondit par un sourire puis se décala dans l’angle où sa grand-mère avait été poussée.

Des images de sa mère prostrée contre la murette lui revinrent en tête, elle ne put retenir ses larmes. La voix tremblante elle appela « Mairead » à plusieurs reprises, mais ne perçut pas de retour. Ni bourrasque, ni froid, ni signes quelconques. Elle n’était pas là. Ayla se pencha par-dessus le parapet, la hauteur lui donna le vertige et lui rappela la falaise de Duntulm. L’à-pic se terminait sur des arbres et des fourrés. Bien sûr, Mairead n’avait pas succombé ici sur l’esplanade, mais contre les rochers. Un sentier filait en bas de l’escarpement, elle se retourna et partit en courant.

Sous la pluie redoublant d’intensité, elle contourna les habitations puis gravit la pente d’herbe afin de s’approcher au plus près de la falaise. Le rempart de roc la toisait de sa fierté, les pierres, ruisselantes, reflétaient sa silhouette perdue. Nul ne pouvait les défier sans risque de tout perdre. Ayla le savait. Les forteresses ne se prenaient pas par la force, mais par le courage et la volonté. Ses doigts agrippèrent l’arête d’un rocher, elle se hissa sur un premier bloc puis un second. Après le troisième, un palier se dévoila. Un arbuste y avait pris racine, elle s’en approchait lorsqu’une vibration la stoppa. Quelqu’un se tenait là, tout près d’elle, sa présence propageait une onde que Ayla ressentit.

« Ta mère a laissé dans ton corps un peu de sa substance, tu percevras pour encore quelque temps ceux qui t’entourent sans jamais les voir », avait dit Elliot pendant le trajet. Lui, connaissait le phénomène, il le côtoyait tous les jours.

À voix basse, elle entonna le chant des Conwell, un souffle lui répondit.

– Mamy, je sais que tu m’as reconnue, moi, Ayla, la fille de ta fille, la dernière des Conwell. Prends ma main tendue et serre là, ensemble, nous passerons ton mur. Viens Mairead, je te ramène à Duntulm, Alasdair le gardien t’attend. N’aie pas peur, rentrons chez nous, j’ai tant de choses à te raconter.

Elliot avala sa dernière bouchée d’œufs brouillés sous le regard de Kyle. Un sourire forcé accrochait les lèvres de son frère de cœur malgré son visage défait et l’histoire ahurissante qu’il venait de lui raconter. À lui seul, Carlington n’avait rien épargné à Mairead, Evra et Ayla. Cet homme, tout humain qu’il soit, méritait le sort qui l’attendait. La lignée des Conwell était vouée à se battre sans arrêt, le courage de ses femmes l’impressionnait. Avec la fille de Kyle, la relève était assurée. Sa bravoure n’était plus à démontrer, ni son attachement à sa terre natale. Hier, en lui tenant la main, il avait compris la détermination qui l’animait, celui qui la dompterait n’était pas né. Il soupira. Le destin de celle qu’il considérait comme sa nièce ne serait pas de tout repos. À cela, l’adversité de ses futurs combats rejoignait la sienne. Il posa sa fourchette. Son œil valide regarda Kyle, il lui renvoya son sourire.

– Tu avais faim ! s’exclama Fearghas.

– Je n’ai rien mangé depuis que je suis arrivé chez toi avant-hier soir. J’ai fouillé partout dans ta maison, mais ton frigo et tes étagères sont vides ! Désespérant !

– Désolé ! Je t’offre le repas alors.

MacAllister rigola.

– J’espère bien !… Et si tu veux me remercier pour Evra et Ayla, je t’arrête tout de suite. Pas de ça entre nous, tu le sais bien mon frère.

– Hmm… Tu as raison. Tu rentres direct sur Londres ?

– Mes élèves m’attendent, tu vas devoir prendre un bus jusqu’à Portree.

– Pas si tu m’emmènes à Glasgow, à l’aéroport. Mon Defender est là-bas.

– OK ! Mais pas avant de savoir si ta fille a trouvé sa grand-mère.

– Je ne m’y ferai jamais !

– À quoi ?

– À ces forces surnaturelles, tous ces trucs !

– Pourtant, tu as vu de quoi un esprit était capable.

– C’est bien ce qui me fait peur… On y va ? Ayla va se demander où on est passé.

Kyle récupéra son portable qui chargeait puis glissa un billet au serveur. Dehors, il rattrapa Elliot qui avait traversé la rue puis mit en marche son téléphone. Arrivé à la voiture, il constata qu’un message vocal attendait. Il émanait de Buclock.

« Kyle, rappelez-moi de toute urgence ! »

La voix de James l’inquiéta. Il pensa que le commandant avait égaré les clichés ou qu’il avait eu un accident, puis sa réflexion s’orienta sur Carlington. Un truc clochait ! Soit l’homme était mort à son arrivée, mais c’était peu probable et cela ne relevait pas d’un caractère urgent, soit il n’était pas au rendez-vous. Cette deuxième hypothèse amenait une évidence, Carlington, au courant de l’arrestation de Shelby, s’était joué de Scotland Yard en restant chez lui. Découla alors une certitude, cet enfoiré préparait une riposte, et James en était arrivé à la même conclusion. Il réagit dans la seconde.

– Elliot, trouve-moi un hôtel en dehors de la ville et réserve deux chambres à ton nom ! s’exclama-t-il.

MacAllister le regarda surprit

– Quelle midge t’as piqué tout à coup ?

– Fait ce que je te demande, je t’expliquerai… et prends le volant !

L’instant suivant, Kyle partait en courant en direction du château.

Il n’eut pas besoin de courir longtemps, Ayla descendait les Patrick Geddes Steps qui donnaient sur Grassmarket. Il stoppa en bas de l’escalier et remarqua qu’elle parlait toute seule. Des gens se retournaient sur son passage pensant croiser une folle. Elle ne l’était pas, il comprit que sa fille avait retrouvé sa grand-mère et hésita à l’interrompre. Mais elle aurait tout le temps nécessaire plus tard, lorsqu’il l’aurait mise en sécurité. Quand elle le vit monter les marches, Ayla cessa de parler.

– Ma chérie, viens vite, nous devons partir !

– Mais papa…

– Viens, je t’expliquerai dans la voiture.

Le moteur tournait, dès qu’ils furent installés, Elliot démarra et s’inséra dans la circulation.

– Tu as trouvé où nous cacher ? interrogea Kyle.

– Oui, à Townhill. J’ai des amis professeurs qui peuvent nous héberger. Ils ne poseront pas de questions… Tu nous expliques ce qui se passe ?

– Carlington n’a pas été arrêté ! Enfin, c’est ce que j’ai déduis du message de Buclock.

– Et alors, cela ne nous regarde plus ! dit Ayla.

Kyle se tourna sur son siège et regarda sa fille.

– Au contraire ma chérie. S’il n’est pas venu, c’est qu’il est au courant pour Shelby et les photos, et crois-moi, ce genre de type ne va pas en rester là. Je préfère ne pas prendre de risques. Tu vas rester chez ces gens quelques jours, le temps que je retourne à Duntulm et mette en place un dispositif de sécurité avec mes gars.

– Papa, je ne suis pas seule…

– Je sais, mais Mairead est forte, elle tiendra.

– Oui, elle tiendra ! intervint Elliot. Si tu appelais le commandant pour être sûr ?

– J’allais le faire.

Deux sonneries suffirent.

– James, j’ai eu votre message !

– Je crains d’avoir de mauvaises nouvelles. Carlington n’a pas atterri à Londres.

– C’est ce que j’avais compris. Cette saloperie est restée au chaud sur son île.

– Non ! Il est bien en Grande-Bretagne. Si j’ai un conseil à vous donner, c’est de protéger Ayla.

– J’ai anticipé, nous allons chez des amisde Elliot, elle y sera à l’abri. Vous savez où il est ?

– Je sors à l’instant de ses bureaux à Londres, j’y ai trouvé une lettre de hôpital où il doit subir son intervention. C’est au Royal Infirmary d’Édimbourg.

– Merde ! Nous sommes à Édimbourg… Vous avez le numéro de sa chambre ?

– Kyle, je vous vois venir ! Laissez-moi m’occuper d’informer la police, ils feront le nécessaire pour l’arrêter.

– Et s’il n’est pas là ? Le papier que vous avez trouvé n’est peut-être qu’un leurre. Ce ne serait pas le premier.

– … Écoutez Fearghas, je suis dans un taxi en direction de l’aéroport de Stansted, je serais à Édimbourg dans l’après-midi, nous irons vérifier ensemble. Attendez-moi, ne prenez pas de risques inconsidérés, Carlington est certainement bien entouré.

– Sans doute ! Prévenez-moi quand vous décollez, je viendrai vous récupérer à l’aéroport.

Ils arrivèrent chez les Smith peu avant midi, Georges et Lisbeth les attendaient pour déjeuner. Elliot fit les présentations puis attira ses amis à l’écart. Il leur expliqua la situation et le fait que de petits évènements inhabituels pouvaient se produire. Connaissant MacAllister, ils ne furent pas surpris et, au contraire, se réjouirent. Un peu d’animation casserait leur paisible retraite. Après le repas, Ayla voulut se reposer, elle monta se coucher. Elliot et Kyle en firent de même. Fearghas attendit une demi-heure puis, sans bruit, se leva. Il évita de croiser les Smith et sortit.

Dehors, il se dirigea vers la bagnole à Elliot. Portière ouverte, il se retourna.

– Mairead, ça vous dirait de rendre visite à Carlington ?

Du froid sur une joue lui indiqua qu’elle approuvait.

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