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Mairead reconnu au loin le grand bâtiment blanc en arc de cercle du Royal Infirmary. Elle y était venue à une ou deux reprise pour subir des batteries de tests. La dernière remontait au jour de sa mort en 1996. Elle en était sortie hébétée et abattue à l’annonce de la maladie qui la rongeait.

Depuis plusieurs mois, elle se sentait fatiguée, le moindre effort absorbait tout son courage, le soir, elle s’éteignait d’un battement de cil. Venaient alors les cauchemars, tous prenaient la forme d’un homme et de la destruction de Duntulm. Elle se doutait que son corps, harassé par le travail au château, rendait au centuple ce qu’elle lui avait imposé. Lewis et Evra s’en inquiétaient, mais toujours elle invoquait une faiblesse passagère. Sa venue à Édimbourg, quelques jours avant le départ pour Bordeaux, avait été l’occasion de prendre rendez-vous à l’hôpital.

Ce jour-là, à sa sortie du Royal Infirmary, un taxi l’avait amenée chez sa fille, elle n’y était restée que quelques minutes avant d’aller prendre l’air. Dans les rues de la ville, non loin du château, elle avait reconnu ce type qui accompagnait toujours Carlington. Son accoutrement d’un autre temps attirait les regards et il ne se cachait pas, au contraire. Mairead avait pris peur, la nuit commençait à tomber, et ce type, sans aucun doute, n’était pas pourvu de bonnes intentions. Elle avait allongé le pas en direction d’une cabine téléphonique puis avait appelé Evra. Au moment où elle raccrochait, le type avait sorti un flingue et l’avait pointé vers elle en souriant. Paniquée, elle avait couru jusqu’à l’esplanade, espérant trouver de l’aide, mais le parvis était vide et les grilles du château fermées. Elle avait escaladé le parapet pour se réfugier derrière les barreaux, mais avait senti une main dans son dos. L’instant d’après, elle chutait.

Depuis, son univers se cantonnait à un replat et à un arbuste s’accrochant aux rochers. Un mur infranchissable s’élevait lorsqu’elle s’approchait du précipice, jamais elle n’avait réussi à le franchir. Jusqu’à tout à l’heure.

Mairead avait su, au bleu de ses yeux, qui était celle qui avait affronté les rochers glissant afin de se hisser sur le promontoire. Ayla. Sa petite fille avait entonné le chant des Conwell en tendant une main, elle s’était approchée à la toucher. Aux quelques mots que Ayla avait prononcés, elle s’en était saisie.

Elle regarda Kyle. Il fixait la route. Sa détermination l’avait toujours subjuguée. Cet homme était capable de tout renverser sur son passage. Lorsque Evra l’avait présenté, elle avait ressenti une grande timidité que ce gaillard cachait sous une haute stature et un comportement parfois rustre. Sa carapace de protection. Sa fille avait su la fendre, ensemble, ils étaient heureux. Sa disparition avait dû le plonger dans un gouffre de chagrin, le connaissant, il n’en était jamais sorti. Si preuve était nécessaire, sa proposition d’aller rendre visite à Carlington, suffisait. Malgré ce qu’il avait dit à son interlocuteur, Kyle n’avait pas l’intention de rester les bras croisés. Sa vengeance s’appelait Evra, mais aussi Conwell. En cela, elle le remerciait.

Il gara la voiture sur le parking le plus éloigné puis se tourna vers elle.

– Mairead, si Carlington est ici, nous finirons par le trouver. Moi, je ne pourrai pas entrer dans sa chambre, ses hommes de mains me barreront le passage. Ce que j’envisage n’est pas digne d’un policier, je le sais, mais un jour, mon père m’a dit que même les clachan avaient une âme et que je leur ressemblais. Rien ne les empêcherait de rouler. Je crois que vous êtes comme ça vous aussi, comme toutes les Conwell. Quand nous sauront où il se cache, je m’occuperai de ses hommes. Je ne voudrais pas qu’ils interviennent au moment où vous serez seule avec leur patron.

Dès l’entrée de l’hôpital elle remarqua des types au comportement bizarre. Des gardes du corps. Carlington était dans l’établissement. Trois scrutaient tous les visages des personnes entrant, un quatrième tirait sur sa clope dans un coin. Ces gars ne connaissaient pas Kyle, ils entrèrent puis se dirigèrent vers l’accueil. Fearghas demanda où se trouvait le service de chirurgie cardiaque, l’employée indiqua le deuxième étage au fond du couloir de gauche. Ils parcoururent le corridor, visitèrent le service, ne trouvèrent aucun homme posté devant une porte. Kyle s’y attendait, Carlington était un maître dans l’art de brouiller les pistes. Pourtant, il était quelque part, peut-être derrière cette double porte au bout de la pièce dans laquelle ils venaient de déboucher. Kyle essaya de l’ouvrir, les battants étaient verrouillés. Un infirmier intervint.

– Monsieur, ce passage n’est pas accessible au public !

– Désolé, je cherche un ami, et je me suis perdu dans ce dédale.

– Quel est son nom ?

– Carlington.

L’homme réfléchit un instant.

– Aucun patient ne porte ce nom dans ce service.

Ils prirent la direction de la sortie, s’arrêtèrent après quelques pas.

– Mairead, vous pensez qu’il est là vous aussi, non ?

La réponse vint par un froid sur un poignet.

– Vous savez, votre condition de… spectre vous permet de passer de l’autre côté sans mon aide. Elliot m’en a parlé plusieurs fois. D’après ce qu’il m’a dit, vous ressentirez une grande fatigue et cela entamera votre énergie, comme toutes les actions que vous entreprendrez. Franchir votre mur n’est pas sans conséquences. Evra a éprouvée le même problème, peut-être que Ayla vous en a parlé.

Kyle continuait ses explications sans se rendre compte que Mairead avait déjà traversé les portes.

Elle s’effondra et eut du mal à se mettre debout. Peu importait si elle disparaissait petit à petit, le plus important était de trouver Carlington et de lui faire payer ses actes. Tant qu’elle pouvait avancer, elle ne renoncerait pas. Une pierre qui roule ! Le père de Kyle avait raison. Debout, elle reprit sa marche, au bout du couloir, elle tourna à droite.

Quatre hommes occupaient le passage de part et d’autre d’une porte de chambre. Deux d’entre eux discutaient à voix basse, un jouait avec son arme, le dernier s’appuyait dos contre mur. Voilà où se terrait son ennemi, dans une aile réservée pour lui. Cette ordure possédait des appuis et en profitait. Elle s’approcha, mais, encore faible, ne franchit pas le dernier obstacle. Plusieurs minutes s’écoulèrent avant qu’un médecin n’apparaisse, les gardes se portèrent à sa rencontre. Il montra patte blanche puis ouvrit la porte. Mairead s’engouffra à sa suite.

Carlington, un masque à oxygène sur le visage, adressa un signe de la main au chirurgien avant de parler.

– Content de vous voir, docteur ! Quand allez-vous pouvoir m’opérer ?

– Demain ! Votre tension est stable, votre cœur a tenu le choc du voyage et vos résultats sanguin sont conformes à mes attentes. Toutes les conditions sont réunies, l’opération sera un succès. Continuez à vous reposer, je repasserai ce soir, puis un infirmier s’occupera de votre toilette avec du désinfectant. Interdiction de vous énerver donc, j’ai dit à vos hommes de ne pas vous importuner.

Il sortit en prenant soin de bien refermer derrière lui.

Mairead se pencha sur Carlington. Elle lui souffla au visage, il eut un mouvement de recul. Le temps avait fait son œuvre. Des rides, semblables à l’écorce d’un arbre, couvraient sa face, son crâne lisse se craquelait, ses yeux globuleux se striaient de veinules rouges, la teinte de sa peau, grise, ne valait pas mieux que la sienne. Le bout du rouleau approchait ! Un réseau de fils partaient de sous les draps et reliaient des moniteurs et un électrocardiogramme. Les pulsations, irrégulières et faibles, avéraient l’urgence d’une intervention. Il était là pour guérir de ce qu’il n’avait pas : un cœur.

Elle se positionna au pied du lit et se demanda comment attirer son attention. Elle voulait que Carlington sache qu’une personne était là avec lui et qu’il ne survivrait pas à son passage. Mairead avait communiqué avec Kyle par le froid qu’elle imposait à chacun de ses contacts, la solution résidait dans ce pouvoir. Elle chercha un support afin de transmettre ses mots, l’écran de télévision serait son miroir.

Mairead serra un orteil au travers du drap, la sensation de frais fit tourner la tête de Carlington. Un bip électronique, plus fort que les précédents, se fit entendre. Elle se tourna, puis, lentement, écrivit sur l’écran.

« Chan fhaigh Dùn Tuilm bàs »

À chaque lettre se dessinant, l’électrocardiogramme de Carlington dératait.

« Mairead Conwell »

Il prononça le nom.

À la dernière syllabe, son cœur explosa.

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