Depuis la nuit des temps, Dame-Lune et Roi-Soleil se livraient bataille, pour savoir lequel des deux méritait le plus sa place dans le Ciel. Chacun y allait de ses plus beaux attraits pour convaincre l’autre de sa beauté.

— Mes rayons d’or sont un véritable trésor, se plaisait à dire Roi-Soleil. Ils colorent la Nature de joie et de verdure. Vois comme le monde est plus beau lorsque se répand mon souffle chaud.

Intimidée par tant de prestance, Dame-Lune n’osait nier son importance. Dissimulée dans l’ombre du jour, elle voyait bien les merveilles dont il usait sans détours. Il suffisait, par exemple, qu’un de ses fils dorés se pose sur une goutte de pluie pour que celle-ci se mette à briller. Ah ça oui ! Roi-Soleil était très très fort ! Durant les jours d’été, il se levait tôt et se couchait tard, laissant parents et enfants rire jusqu’au soir.

Le chant des oiseaux se mêlait à leurs doux cris, mais dans ce joyeux méli-mélo, Dame-Lune se sentait bien démunie. Comment pouvait-elle rivaliser ? Lorsqu’elle prenait enfin la place de sa Majesté, parti se coucher, tout le monde rentrait. Elle avait pourtant elle aussi, beaucoup de choses à offrir…

« Ô que j’aimerai, juste une fois, que l’on se retourne sur moi ! » pleurait-elle entre deux soupirs.

L’Astre Royal, quelque peu arrogant, la malmenait durement. Un matin d’hiver, alors que la neige tombait depuis la veille, Roi-Soleil déploya ses rayons de lumière. Aussitôt, les flocons blancs se mirent à étinceler comme des diamants.

— Mais je brille moi aussi, osa rétorquer Dame-Lune d’une voix de souris.

— Certes, mais es-tu capable de réchauffer des cœurs gelés ? Car vois-tu, je ne me contente pas de rayonner, j’apporte le bonheur et la sérénité.

Touchée par ses mots, Dame-Lune se recroquevilla sur elle-même, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un tout petit bout d’elle. Là, elle se mit à pleurer, tant et si bien que les étoiles s’affolèrent. Certaines fusaient à droite, d’autres filaient à gauche. La toile nocturne n’avait plus rien à envier au Sacro-saint Arc-en-Ciel.

Deux jeunes enfants, qui attendaient que le marchand de sable passe, assistèrent à ce merveilleux spectacle. Des « Oh » et des « Ah » se firent écho, si bien qu’une rumeur enfla bientôt. « Dame-Lune offre de bien jolis présents à ceux qui lèvent la tête vers le firmament. » La Belle-de-Nuit découvrit bientôt, toutes sortes de badauds, le nez levé vers le Ciel et des rêves d’espoir plein la tête. Ragaillardie, Dame-Lune récupéra sa jolie silhouette arrondie et, entourées de ses fidèles amies, retrouva foi en la nuit.

Mais Roi-Soleil, agacé par la confiance retrouvée de sa rivale, sermonna la belle Opale :

— Brille autant que tu veux pendant mon sommeil, mais n’oublie pas que c’est moi, le Roi du Ciel.

Un jour pourtant, il se produisit un phénomène inouï. La nuit tomba en pleine après-midi. Curieux, enfants, femmes et hommes sortirent dehors pour observer ce mystérieux décor. En levant les yeux, ils virent quelque chose d’absolument fabuleux. Là-haut dans le Ciel, Dame-Lune, sans faire de bruit, avait éclipsé le Soleil.

Le souverain, honteux, n’osa plus jamais importuner celle qu’on renomma alors : la Reine Séléné.