La vouivre
Chacune de ses écailles accueillait la chaleur du zénith, tandis qu’elle languissait sur son rocher brulant. Elle se gorgeait de ces caresses brutales, gonflait sous le plaisir. Elle était divine, son corps brun ponctué d’une hypnotique frise noire. Sa gorge blanche étirée vers le ciel, elle ne cillait pas. Elle sortait sa langue double pour mieux sentir les petites vies qui l'évitaient.
Alors que le soleil déclinait, elle s’étira paresseusement et glissa jusqu’à la plage caillouteuse. Elle sélectionnait les plus pointus, les plus irréguliers, afin de frotter ses squames. Elle pénétra l’eau du lac sans bruit ni remous. La fraicheur l’engourdit quelques instants, avant qu’elle n’ondule vigoureusement, afin de finir de détacher sa mue. De ses mains libres, elle arracha les derniers lambeaux qui s’accrochaient à ses cuisses.
Les derniers rayons miroitèrent sur quelques écailles, souvenirs des baisers du soleil. D'autres vestiges demeuraient. Un triangle luisait entre ses seins lourds, tandis que la frise noire s’enroulait autour de ses jambes puissantes, de son ventre et de ses bras.
Le son de la fête du village lui parvenait de manière étouffée. Elle savait que des noctambules imprudents ou amoureux ne tarderaient pas à venir chercher fraicheur et intimité sur les berges. Il suffisait d’être patiente. L’eau goutait lentement sur le sol pendant qu’elle levait son visage vers la lune. Menton pointu, pommettes saillantes, de ses pupilles fendues, elle scrutait l’obscurité grandissante. Elle entendait les murmures et les gémissements. Les vibrations des rires. Des pas qui s'éloignaient, et d'autres qui approchaient.
Sa proie arriva enfin, légèrement titubante. La fille du soleil – car telle elle était née - se coula dans un rayon lunaire pour s’offrir à sa vue. Le jeune homme crut d’abord à une hallucination née de ses excès.
Il suffisait de la coucher dans l’herbe grasse, cette femme visiblement offerte.
Il suffisait de l’approcher, ce mâle visiblement désirant.
Il ne s’interrogea pas sur ces étranges lueurs qui parsemaient sa peau mate. Il remarqua à peine ses tatouages. Sans doute la la lune, qui jouait avec ses sens. Il ne voyait que le balancement de sa poitrine ronde, la danse des aréoles foncées.
Une légère poussée le fit tomber au cœur du bosquet. Il songea furtivement, avec un sourire ravi, qu'Armand ne le croirait jamais lorsqu'il lui raconterait tout, demain matin.
Elle sinua sur lui, tout en le déshabillant. Susurrait sur sa peau quelques secrets trop anciens pour l’humanité. Elle darda sa langue sur son ventre nu et blanc. Il frémissait, offert pour la première fois de sa vie à une autre volonté que la sienne. Il sursauta lorsque ses cuisses se refermèrent sur ses hanches. Une inquiétude fraya en vain jusqu’à sa conscience déclinante. Il oublia tout, lorsque la créature s’empara de lui.
L’homme semblait endormi quand la serpentine se releva. Son ventre faisait déjà écho à la lune pleine. Son moment favori était arrivé. Plonger, se laisser couler, remonter vivement en crevant la surface, grâce à la poussée vigoureuse de ses jambes. Roulades, cabrioles, c’était l’heure où la fille du soleil devenait enfant de l’eau. Elle se sentit soudainement pesante. Les serpenteaux ne tardèrent pas à glisser hors d’elle, avant de venir se réfugier contre sa poitrine. Adorables petites têtes aux grands yeux qui semblaient noirs dans ces profondeurs. Alors qu’ils la tétaient doucement, un lait pâle s’échappait, formant une brume légère autour d’eux. La belle se replia sur elle-même, genoux contre la poitrine, bras enlacés autour de ses jambes, et se laissa tomber au fond du lac avec ses nouveaux-nés.
Le voile lacté les faisait à la semblance d’une grosse perle nacrée. Les amants qui regagnaient le village pensèrent apercevoir le reflet de la lune sur la surface sombre du lac.
Ce n’est que deux jours plus tard que la sœur inquiète trouva son frère, nu et paisible, dans un nid de verdure. Deux trous rouges au flanc.

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