Scène 2

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Nathan se trouve seul.

NATHAN

La mort de mon père ne fut pas triste. Encore moins tragique. Surtout pas mélancolique. Ce fut seulement un jour particulier. J’avais quinze ans, il s’est pendu. Au centre du salon, il se balançait comme un chandelier, avec quelques grincements seulement. C’est moi qui l’ai découvert.

Mon père me battait quelques fois, mais ma mère a toujours essayé de l’en empêcher. Plus rarement encore, il me touchait sans être violent, mais en me blessant quand même. J’étais jeune, c’était du passé. Mais je le savais et lui aussi. Et chaque fois qu’il me parlait ou me regardait, nous le savions tous les deux, ensemble et en même temps.

Alors c’est moi qui l’ai découvert. Et là encore, je le savais.

Ma mère a oublié. Moi je n’ai pas réussi.

Boite en fer blanc. Dernier souvenir du chandelier.

Une vieille photographie déchirée par accident. L’homme est grand et séduisant. Il sourit au photographe, il tient son maillot de bain d’une main, ma mère de l’autre. Ma mère n’a plus de bras gauche. Elle sourit moins.

Un harmonica. L’homme en jouait souvent à la fenêtre de sa chambre les soirs d’été. Le ciel était alors rouge comme dans un film américain, et cela malgré les fausses notes.

Un bulletin scolaire. L’homme avait été très bon élève, surtout en mathématiques et en sciences, l’assurance d’un bel avenir. Résultats insatisfaisants en arts plastiques.

Une gourmette de baptême. L’homme n’était pas croyant mais avait accepté la tradition. Il se signait toujours à l’entrée des églises.

Une boite en fer blanc. Souvenir du voyage de noce en Provence, avec ses paysages aux couleurs acides et contrastées, au fond de laquelle subsistait l’odeur âcre d’une tisane aux fruits rouges. Sur le côté, un cœur gravé avec un couteau dans l’écaille d’un citron peint.

Boite en fer blanc. Dernier souvenir du chandelier. Nouvelle œuvre de Nathan.

Le galeriste, qui semblait se tenir dans l’ombre, entre.

GALERISTE

Parfait. Vraiment, parfait. Bouleversant. Il faut la signer.

NATHAN

Non. Certainement pas. Je veux être anonyme.

GALERISTE

C’est impensable.

NATHAN

Je veux être anonyme, c’est tout.

GALERISTE

Et comment je t’appelle alors ? Tu as un pseudo ?

NATHAN

Je ne sais pas. Débrouille-toi.

GALERISTE

Et pour le prix ?

NATHAN

Comme tu veux. Choisis, je te fais confiance.

GALERISTE

Nous avons un titre ?

NATHAN

Oui. « Le jour où j’ai tué mon père. »

Noir.

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