Au bord et à ras bord
"
Il était tard. Très tard.
J'étais assis au bord de la falaise, les pieds suspendus dans le vide. Je cogitais. Je ne sais même plus sur quoi. Tant d'idées me traversaient l'esprit.
Des questions existentielles, des questions absurdes. Mon esprit rebondissait, tel une balle de tennis en final de Roland-Garros.
La voix sortie de la pénombre m'interpella.
Bref sursaut, je ne m'attendais pas à croiser quelqu'un à 2h du mat.
- Encore en train de te torturer le cerveau?
Mode regard noir activé, j'ai du retenir mon plus beau "mêles-toi de tes fesses!" lorsque je l'aperçu.
Une déesse grecque! Et pas n'importe laquelle, Thémis en personne. Sans l'épée, sans la balance. Juste elle, telle que je l'avais toujours imaginée.
- Tu sais ce que je représente?
- Oui. Probablement la matérialisation de mon imagination débordante trompée par une fatigue extrême.
- Si tu veux. Mais en réalité, je suis le tout. Dieu. La lumière. Le big-bang. L'univers. On me donne tellement de nom...
Ne l'écoutant que distraitement, je continua.
- Donc si tu es le fruit de mon imagination, alors je peux te voir en chaussettes vertes?
La pensée me frôla à peine l'esprit qu'elle se dessina devant moi.
Elle me fixa d'un regard mi-abasourdie mi-consternée.
Je ne découvrirai que bien plus tard qu'il s'agissait du seul truc que je pouvais décider de son apparence.
Elle s'avança lentement vers moi et vint se poser à mes côtés.
- Je te connais, je sais tout de cette noirceur qui te ronge. L'apparence que tu me donnes en dit long sur l'équilibre que tu recherches. Alors dis-moi, que voudrais-tu savoir?
Je devais me rendre a l'évidence, ce n'était pas un rêve. Cette... entité? était réelle. Son aura, les non-dits de son langage corporel, l'atmosphère ambiante, tout m'indiquait une ouverture vers un savoir absolu.
Mais par quoi commencer? L'histoire de l'humanité et les réponses aux grandes énigmes? La compréhension scientifiques? Ou mieux, moi qui observait distraitement les étoiles, pourquoi pas l'astronomie? Savoir ce qu'il y a au loin? Par delà la voie lactée.
Et mes pensées repartir totalement en vrille... Au point de...
"Non, je n'ai quand même pas pensé que..."
Apeuré par la potentielle conséquence de mon imagination, je me tourna à nouveau vers elle avec une légère honte pour constater qu'elle avait changé d'apparence.
- C'est la reine Amidala en persoun!
Son regard était de plus en plus dépité.
- Non, je n'existe pas! C'est un personnage de fiction! Et non, il n'existe pas de galaxie très lointaine avec des sabres lasers. La seule réalité est que la "force" pourrait également être une version de moi. Mais je m'étonnes un peu. Toi qui es si curieux des choses, pourquoi es-tu incapable de rester serieux quand tu peux avoir les réponses?
Elle marquait un point, je n'eu d'autre solutions que de regarder mes baskets balançant dans le vide. Je réfléchis à toute vitesse et pourtant rien ne sortait. Pas par manque d'idée, bien au contraire.
Elle dut me rappeler à l'ordre.
- En 20 secondes, tu m'as fait passer de Tiyi à Mary Anning, d'Hypathie d'Alexandrie à Hildegarde de Bingen, de Théodora à Qiu Jin. Tu ne sais vraiment pas canalyser tes pensées?
Elle reprit son apparence de déesse, mais celle-ci me mettait nettement plus mal à l'aise.
Parce qu'elle représentait l'être supérieur par excellence dans mon cœur. Ce n'était plus celle qui donnait le jugement, non c'était celle qui équilibrait réellement les choses : Némésis!
J'en resta sans voix.
- Je ne suis pas réellement elle tu sais? Je ne te ferais rien, ni de bon ni de mal.
Je m'y suis pris à trois reprises avant de pouvoir articuler convenablement.
- Le châtiment, tu me l'as offert à la naissance. Et je ne sais toujours pas pourquoi!
Elle prit ma main dans la sienne. La chaleur ressentie et la douceur de sa peau m'appaisairent directement. Je ne saurais dire si elle l'a regretté, mais moi j'étais parti.
- Je lutte contre moi-même depuis tant d'années. Une torture éternelle. Un coup c'est oui, un coup c'est non! Je retourne chaque situation dans tous les sens, je les calcule, j'analyse, j'adapte, j'anticipe et surtout, je ne trouve jamais le repos. Je fais au mieux, ce n'est pas assez. Atteindre la perfection, c'est trop. Je suis juste perdu. Je cherche à savoir en permanence, tu es là, je n'en ai plus envie. Cette contradiction intérieure permanente m'épuise. Et même lorsque, enfin, j'arrive à me trouver un petit coin tranquille, et à avoir un moment de répit, tu débarques tel Pennywise à Derry...
C'est la que je me suis rendu compte que j'aurais -encore- du me taire! Je sentait le ballon rouge flotter à ses côtés.
- Tu sais quoi Penny? Tu permets que je t'appelle Penny? Je ne suis pas Sheldon, je n'ai pas toquer trois fois pour t'appeler. Ce n'était pas le bon moment. Merci mais, si vous êtes vous, je suppose que l'on va se revoir bientôt.
Et j'ai avancé...
"
- Très bien. Mais vous auriez pu simplement passer votre chemin? Vous savez que dans ces conditions, je ne suis pas sûr de pouvoir vous laisser rentrer?
- Mon bon St-Pierre (ou Mâat?) je tapais la causette avec ton boss il y a 5min. J'étais au bord et il m'a mis les émotions à ras bord. Je voulais juste me sentir libre. M'envoler. Maintenant, j'ai juste envie de dormir. C'est par où le repos éternel?
- Vous pensez faire quoi ici?
- Honnêtement? Je dirais une tisane et au lit!
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