Fragments d'hiver
1 du Sage
Étrange havre, si loin de la mer
Tout y est si calme, doux-amer
Plus j’y viens, plus je me rends compte
À quel point je vous ignore, quelle honte
Nous sommes là, nous nous attendons
Tristement, immobiles comme deux épaves
Pourquoi ces liens ? Avec hâte, buvons !
Que les brumes déchirent nos chaines sur le rivage
Je le vois, je le sens, partout autour de toi
Les griffes des bêtes et leurs ravages
Puis-je les panser, avec quel onguents, guide moi
Parce que je souhaite qu’une chose camarade
C’est de te voir apaisé, libéré
De ces noirs crochets acérés
Qui déchirent tes nuits et tes songes
Quel est ce mal qui, mon ami, te ronge
De quel côté de l’océan se trouve ta guérison ?
Tant que nous sommes là, cherchons, naviguons !
Au diable les conventions, si amis nous sommes
alors n'ayons plus peur de la compassion
Allons dans la cale, pillons ce rhum !
Devenons pirates, au moins pour quelques boissons
Nous vomirons ensembles, joyeusement
Toutes les misères que l'on se ment
Et nous reviendrons à quai, comme des enfants
Débarrassé de tous nos mauvais sentiments
1 de Parangon
Ô douce lumière, douce rédemption
Qu’ai-je fait sinon chercher ma damnation ?
Avec patience me suis-je dit
Malheur, me voilà maudit !
Nouvelle correction apprise sans rancoeur
Car sans doute, il s’agit de mon erreur
De nouveaux coups sur mon armure
Voilà de quoi me mettre de bonne humeur !
Et comme toujours, voilà une nouvelle aventure
Empli à nouveau de courage ravageur
J’irai tout affronter, tout protéger
Tout reprendre, tout devancer
Fougue nouvelle retrouvée
Il faudra tout refaire et j’y veillerai !
4 de Satyre
Sur le frêle esquif
Perdu, mais pas défait
Je navigue à vue dans les marais
Ivre de fatigue, j’arrive évasif
Dans la sombre Eleusis
Grandiose cité des mystères
Voilà ma plus belle acrasie
Initié dans les brumes de Demeter
Le nectar sur mes lèvres charnues
À le goût des amours déçus
Alors j’irai me noyer dans les champs de pavot
de chanvre, de houblon et dans l’extase
pour me réveiller dans un caveau
Ravagé par mes tempes qui m’écrasent
Ivre de la veille, j’arriverai déphasé
À la pythie de Delphes
1 du Fauve
État de stase
État d’extase
Je ne sais plus
Je ne sais pas
Je flotte
Je divague
Je n’ai plus pied
Je n’ai plus droit
Demain c’est loin
Demain ça craint
Partout où je vais
Le chaos derrière moi
Partout où je regarde
Le fer, le feu et la poix
Partout où je vaincs
La fête ne dure pas
Beaucoup reste à faire
Trop pour mettre un genou à terre
2 du Fauve
Ô sucre de lune
Ô Aïra
Ô Insouciance
Ô temps perdus
Où êtes vous ?
Je pleure en pensant à vous
Où que vous soyez
Je vous appelle
Ici, tout est gris
Mes souvenirs sont beaux
Vivants, exaltés
Ô temps bénis du passé
Je pense aux amours, au camarades et aux aventures
Où me suis-je égaré ?
Ici, tout n’est que guerre
Je dois devenir la force même
Ici tout n’est que terres brûlées
Je dois devenir la prédation même
Ici tout n’est que violence
Je dois devenir la sauvagerie même
4ème tentative
De la bienveillance
D’une mythologie nouvelle
Sans ambivalence
Courageuse, fière, rebelle
Voilà le défi
Voilà le but, d’une myriade de vies
Alors, mes amis, fonçons !
L’avenir nous appelle, nous répondrons
Laissons la peur !
Triomphons de nos terreurs
De ces temps obscènes !
Que l’on nomme anthropocènes…
Aux Barricades !
Avant que le dégoût ne nous rende malade
Qu'avons nous à perdre ?
Nos vies ? nos rêves ? nos égo à peines tièdes ?
Indolents !
Inquiets des vicissitudes, des vents changeants
À l’horizon sinistre et mortifère : regardez !
Les braves rhapsodes arrivent, déterminés !
5ème tentative
La peur n’existe plus
Plus de place pour cela
Quand nous tenons la rue
Ensemble, fiers et droits
Quand nous chantons nos désirs
Ensemble, affables et affamés
Quand nous combattons les vizirs
Ensemble, forts et déterminés
Nous vivons ensemble
Nous existons ensemble
Et alors, dans cet instant, dans ce fragment
De tous nos êtres, entrelacés
Nous voulons cela pour mille moments
Irradiant le réel de notre volonté
Flamboyant de toute notre étendue
La peur n'existe plus
1ère interlude du petit con
Parfois esthète
Peut-être dandy
Certainement pas poète
Et encore moins maudit
1 du Docteur de peste
Du goût des fautes, il faudra bien que je fasse un choix
Perdu dans le réel, plus rien ne fait loi
Il a bu, vieille excuse, même s’il n’y a plus que lui que ça amuse
Il faut tout réapprendre, même à dire je t’aime
Mais de ces erreurs, de ces fautes, que reste-t-il, une fois le bruit passé ?
Du bruit, ou la dîme de tout apprentissage ?
Je dois donc, en bon alchimiste, apprendre à perdre pour gagner
Et voilà que mes stigmates deviennent les marches de mon ascension
Fausses fautes, superbes supercheries, magnifiques menteries
2 du Docteur de peste
De la peste des formules
Parfois j’avoue, j’en ressens le ridicule
Et une fois de plus, je me questionne
À quoi bon dire, à quoi bon écrire
Si à chaque fois que ma raison se fractionne
En bon alchimiste, je devrais me souvenir :
“La parole est d’argent, mais le silence est d’or”
Alors que la lumière de ces belles tellures
Devienne de mon âme la nouvelle teinture
Dois-je alors me murer dans le mutisme ?
Partir dans un havre et devenir triste ?
Fit ! Des turpitudes j’ai déjà assez pesté !
Pollution de l’esprit, mon sanctuaire !
Des fautes, j’ai déjà parlé
J’irai m’excuser, pour sainement m’en défaire
3 du Hussard
Fatigue, chose lourde et pesante
Mes muscles endoloris appellent le repos
Ma chair en feu, mes extrémités tremblent
D’où viens-tu, amertume du chaos ?
T’es tu noyés dans cette vallée de larmes
T’es tu perdu dans cet océan de déchirures
Dis moi, chose aux frontières du murmures
Parle, d’où vient ce mal qui s'acharne ?
De mon front à mes mollets
De mon honneur à mon infamie
Tout se tend, tout tire, qu’elle est cette folie ?
Cette affection, malédiction, malaise étiré
Ma tête tourne, qu’ai-je fait ?
Je vrille, ivre de douleur
Pour quels maux ? Pour quels forfaits ?
Tant pis, j’abandonne mes couleurs
Je deviens fou, incapable de comprendre
Tout devient liquide, tout devient limpide
Rage, Chaos, Idéaux, à vous j’irai me pendre
Pour que j’aille mourir dans le sein du vide
2ème interlude du petit con
Alors restons amis
C’est pas un drame
(C’est une tragédie)
6 de Magus
Je retournerai à Solitude
Il le faut, c’est chez moi
Trop longtemps, j'étais ailleurs
Comme un vagabond, ici et là, je suis allé
À Sidon, j’ai bu les eaux sacrées
Qu’ont-elles guéri ? Je ne le sais pas
Ont-elle simplement guéri ? Rien ne le dit
À Sidon, j’ai bu en silence
Puis, porté par les torrents, apaisé
J’ai prié mes frère à Baalbeck
Que sont-ils devenus ? Je ne le sais pas
Sont-ils encore vivants ? Rien ne le dit
Le ciel est resté muet à mes prières aphones
La foudre, le feu et le Khamsin
Ne sont plus que poussières et souvenirs
Alors, dans une grotte, perchée dans les montagnes
Je me suis endormi, transi par le froid
Et dans ma main, je tenais la clé d’argent
Dans les vents éthérés de mon imagination
Je me suis perdu, une fois de plus
J’ai rêvé, et à dos de griffon impérial
À Kadath, enfin, je suis parvenu
Sur son marbre glacé, je me suis promené
Seul, à pas de loup, une arme à la main
Vide, voilà comment je l’ai trouvée
Grandiose, vertigineuse, divine, mais vide
Qui oserait construire une aussi belle cité
Qui ne serait habitée que par son passé
Architecte fou ! Père des malheurs !
Ta poésie n’aura touché que toi, augure des pierres !
Et les pauvres hères égarés dans leurs songes
Des jours durant, sur ces froids balcons
J’ai contemplé la rectitude de ses tours
Les courbures de ses fontaines
Les fils d’argent de ses tentures
Et la cendre dans les foyers
Pâleur d'albâtre, froide, inhospitalière
Voilà de qui arrive au beau
Lorsque personne ne l’admire
Alors je suis parti. C’est l’appel de la vie
Tout était froid et beau, Orchestre de menterie
Un barde, perdu dans ces froides contrées
Se déclara en vers, les yeux en larmes
“Je cherche Aïra, savez-vous où elle se trouve ?”
Il était jeune, sa lyre d’or, usée
Sa quête noble et son art doux
Alors, dans mes bras, je l’ai recueilli
Pourquoi pleurait-il ? Je ne le sais pas
Mais dans ces contrées mortifères, si un ami pleure
Il en va de notre idéal de l’accueillir.
Et, après les longs sanglots, et puisque
Deux rêveurs perdus ne le sont plus
Nous avons marché vers Aïra
Ses mots étaient comme l’ambroisie
Et ses mélodies, sucrées comme les figues de l’été.
Nous nous en sommes nourris, pour survivre aux morsures
Nous avons marché vers Aïra
Nous étions deux, aux prises avec le froid, la faim
Nous étions deux, et la mort ne pouvait nous atteindre
Nous avons marché vers Aïra
Des jours encore, des jours, marchants
Mais comme le feu qui éloigne loups affamés
Les poèmes et la prose nous protégeaient
Alors nous avons continué vers Aïra
Tant et si bien que des mois durant
Pensant nous y diriger, nous nous y trouvions
Alors nous pleurâmes, parce que nous savions
Nous y étions: nous étions Aïra
Mais nous rêvions encore
Et qu’il fallut bien, à un moment, que je me réveille
La clé d’argent toujours dans ma main
Et l’eau de mes larmes, toujours sur mes joues
La vieille nuit mourrait, mon rêve aussi
Vers Babylone, là où les rêves meurent
Et il fallut bien leur offrir une mort digne
Alors guidé par les aspects et par les sphinx
Je suis aller vers l’est à cheval
Au long des champs de pétrole, je me suis égaré
Comme un enfant hypnotisé
À la poix mauvaise, j’ai résisté
Même si je m’y suis noyé
J’ai voulu m’y vautrer
Ni l’honneur, ni la grandeur ne m’auraient sauvé
Mais ma bêtise et ma lâcheté
Ces deux là parfois deviennent qualités
Souillé mais pas vaincu
Perdu mais pas troublé
Toujours par le devant dirigé
À Babylone, je suis arrivé
Noir, honteux, haineux
Mais qu’importe, je suis venu pour mourir
Mon corps servira d’offrande
Alors qu’importe, je suis venu pour mourir.
Je suis rentré dans le fast
Partout la poix, la crasse
La fête, les vices et la masse
Le bruit, la lumière, tuez-moi !
Je suis venu pour ça, je ne suis pas déçu
Pareil Chaos, derrière de si hautes murailles !
Ceux de ma race aussi se cachent aussi pour en finir
À la seule différence que nous faisons ça en dansant
Ma tête devient un derviche
Dont la blanche robe ne finit pas de remonter
Ivresse à coup de chouffe, de pécheresse
Perché avec toutes les lettres de l’alphabet
J’ai tout bu, tout fumé, tout inhalé
Combien de fois suis-je mort ?
Trop de fois ? pas assez ?
Transpercé de part en part
Je survivrai à tes vices, à tes passions
Sans stigmate, je quitterai tes rues dodelinant
Ou les pieds devants
On ne peut mourir de trop faire la fête
Sinon, depuis longtemps, ô oui, bien trop longtemps
Je reposerais dans une quelconque hypogée
Et je ne me repose pas à Babylone, bien au contraire
Fatigué, éreinté, harassé. Oui
Mais pas mort, à mon grand dam
Peste ! Peut-être suis-je immortel !
Ma bêtise comme passe droit pour le Panthéon
Je n’ai pas réussi à mourir à Babylone
Perte de temps vaine, à peine mémorable
À ton air vicié, mes souvenirs amers
Et sur ma langue, tes acides
Délires absurdes
Zelliges du firmament
Perdu dans tes ruelles étouffantes
Égaré dans la volupté cotonneuse de mes étoffes
Je ne suis pas mort à Babylone
Alors dans l'Euphrate, j’ai voulu plonger
Face la première, le corps raid, les bras le long de mon cadavre
Pensant lentement dériver jusqu’à l’océan de la mort
Longue fut l’attente, longtemps l’eau s’écoula
Et j’étais toujours en vie , maudite relique !
Par les eaux vives et claires
À Sion, j’ai touché terre
Choses sacrées que les eaux de Sion
Elles m’ont guidé jusque-là
Aussi m’y suis-je arrêté
J’y ai entendu ses chants et ses prières
Bu ses eaux, digne de Sidon
À mes pensés elles se sont mêlées
Et Sion désormais m’habite
Autant que j’y ai habité
Les cendres, mélasse de mon esprit passé
Ont été emportés par les flots
Alors le feu et devenu eau
L'embrasement, un torrent
Et les braises, des rivières
Voilà le cadeau que Sion m’a offert
Tributaire embrasé, devenu inexorable garant
Et sur une petite île isolé, je me suis emporté
Ô minuscule Orphalese, perle de l’océan de fer
Perdue dans la nacre de la marée
Ici, j’ai longtemps, trop peut-être, cru me plaire
Que de beauté, que de sagesse
Là où le temps passe sans qu’il ne blesse
Tout y était simple, vrai et doux
Il n’y avait rien à retenir, rien à réfléchir
De l’oisiveté, la vie dans le sous
J’y étais honnête et sans blémir
Par grands vents ou par la brise
Ici, je pouvais tranquillement rire
loin des canons, loin des fenêtres
Ici il n’y a ni armes, ni murs
Tout y était beau, pur
Loin des clairons, loin des mal-êtres
Un avant-goût, peut-être, de l’ambroisie ?
Belle, simple, douce vie
Pourquoi m’en suis-je lassé
Était-ce le tribut de cette vie falsifiée ?
Pourquoi suis-je parti d'Orphalese, pourquoi ?
Je n’ai ni bible, ni poème, ni constitution, ni plan de bataille
Je n’ai rien à livrer aux Hommes, si ce n’est qu’une piètre gouaille
Alors pourquoi ai-je quitté Orphalese ?
Peut-être parce qu’une douche vie, voluptueuse
N’est rien si elle ne se trouve en situation périlleuse
Combien arrivent à Orphalese ? Combien restent à quai ?
Combien se noient ? combien se fourvoient ?
Je devais partir, voilà la vérité
Destin, bêtise, ennui, quête d’ipséité ?
Va pour les quatre, comme autant de terribles cavaliers
Quitter Orphalese, pour moi, c’est déjà la fin du monde
Que s’est-il passé ensuite ?
Il y quelques mystères qu’il faut préserver
Car déjà la fatigue gagne mon esprit égaré
Entre Orphalese et Solitude
C’est là que je marche, sur le seuil
Entre la rage de Féral, et la folie de Chaos
À l'équilibre, sur le fil que les Moires Tissent
Ô Solitude, C’est ta voix dans ton écho
3 de Fauve
Je ne devrai pas avoir peur
Non pas que je la refuse
Mais la peur de demain, diffuse
N’a pas de place dans mon coeur
Car elle réside dans un ailleurs
Où je ne se suis, où je ne saurais-être
Golems immondes, zélotes des malheurs
Piètres ogres du beau crépuscule que nous souhaitons faire apparaître
Je souhaite votre mort
Vous et tout ce que vous protégez si servilement
Rats, vaches ou porcs
Ici peur et tolérance se meurt définitivement
2 du Mage
De l'inconstance de l’âme
De la permanence des sensations
Tout cela, comme un tourbillon
Aspire mon temps, déchire comme une lame
Qu’y puis-je, que me dis le monde ancien ?
D’y survivre, apatheia, ô la vie de chien !
La raison, la logique, parfois éloignent
De la vérité que le tangible témoigne
Que dit la folie, que dit le Grand Féral ?
Interrogation vaine, la grande méprise !
Ces deux là se vivent
Alors laissons sous le marbre les idéaux
4 de Fauve
Ai-je seulement eu peur ?
Je ne crois pas. Serait-ce cela l’honneur ?
Piètre façade ! Impossible, ce serait faire erreur
Inconscience ? Peut-être. La blême face sème la terreur
Mais je ne l’ai pas vue, pas ressentie
Pas pour moi, mais quid de mes amis ?
À Solitude, la peur n’a-t-elle pas de rue ?
C’est un boulevard, que dis-je, un quartier !
Pour mes amis, j’ai eu peur, c’est avoué !
Peur de ma rage, celle qui tue
Peur d’exploser, voyant mes amis menacés
Ce n’était pas le peur, mais la rage
Ô Féral, bénis moi de ta pulsion de saccage
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