Fragments d'hiver

11 minutes de lecture

1 du Sage

Étrange havre, si loin de la mer

Tout y est si calme, doux-amer

Plus j’y viens, plus je me rends compte

À quel point je vous ignore, quelle honte

Nous sommes là, nous nous attendons

Tristement, immobiles comme deux épaves

Pourquoi ces liens ? Avec hâte, buvons !

Que les brumes déchirent nos chaines sur le rivage

Je le vois, je le sens, partout autour de toi

Les griffes des bêtes et leurs ravages

Puis-je les panser, avec quel onguents, guide moi

Parce que je souhaite qu’une chose camarade

C’est de te voir apaisé, libéré

De ces noirs crochets acérés

Qui déchirent tes nuits et tes songes

Quel est ce mal qui, mon ami, te ronge

De quel côté de l’océan se trouve ta guérison ?

Tant que nous sommes là, cherchons, naviguons !

Au diable les conventions, si amis nous sommes

alors n'ayons plus peur de la compassion

Allons dans la cale, pillons ce rhum !

Devenons pirates, au moins pour quelques boissons

Nous vomirons ensembles, joyeusement

Toutes les misères que l'on se ment

Et nous reviendrons à quai, comme des enfants

Débarrassé de tous nos mauvais sentiments

1 de Parangon

Ô douce lumière, douce rédemption

Qu’ai-je fait sinon chercher ma damnation ?

Avec patience me suis-je dit

Malheur, me voilà maudit !

Nouvelle correction apprise sans rancoeur

Car sans doute, il s’agit de mon erreur

De nouveaux coups sur mon armure

Voilà de quoi me mettre de bonne humeur !

Et comme toujours, voilà une nouvelle aventure

Empli à nouveau de courage ravageur

J’irai tout affronter, tout protéger

Tout reprendre, tout devancer

Fougue nouvelle retrouvée

Il faudra tout refaire et j’y veillerai !

4 de Satyre

Sur le frêle esquif

Perdu, mais pas défait

Je navigue à vue dans les marais

Ivre de fatigue, j’arrive évasif

Dans la sombre Eleusis

Grandiose cité des mystères

Voilà ma plus belle acrasie

Initié dans les brumes de Demeter

Le nectar sur mes lèvres charnues

À le goût des amours déçus

Alors j’irai me noyer dans les champs de pavot

de chanvre, de houblon et dans l’extase

pour me réveiller dans un caveau

Ravagé par mes tempes qui m’écrasent

Ivre de la veille, j’arriverai déphasé

À la pythie de Delphes

1 du Fauve

État de stase

État d’extase

Je ne sais plus

Je ne sais pas

Je flotte

Je divague

Je n’ai plus pied

Je n’ai plus droit

Demain c’est loin

Demain ça craint

Partout où je vais

Le chaos derrière moi

Partout où je regarde

Le fer, le feu et la poix

Partout où je vaincs

La fête ne dure pas

Beaucoup reste à faire

Trop pour mettre un genou à terre

2 du Fauve
Ô sucre de lune

Ô Aïra

Ô Insouciance

Ô temps perdus

Où êtes vous ?

Je pleure en pensant à vous

Où que vous soyez

Je vous appelle

Ici, tout est gris

Mes souvenirs sont beaux

Vivants, exaltés

Ô temps bénis du passé

Je pense aux amours, au camarades et aux aventures

Où me suis-je égaré ?

Ici, tout n’est que guerre

Je dois devenir la force même

Ici tout n’est que terres brûlées

Je dois devenir la prédation même

Ici tout n’est que violence

Je dois devenir la sauvagerie même

4ème tentative

De la bienveillance

D’une mythologie nouvelle

Sans ambivalence

Courageuse, fière, rebelle

Voilà le défi

Voilà le but, d’une myriade de vies

Alors, mes amis, fonçons !

L’avenir nous appelle, nous répondrons

Laissons la peur !

Triomphons de nos terreurs

De ces temps obscènes !

Que l’on nomme anthropocènes…

Aux Barricades !

Avant que le dégoût ne nous rende malade

Qu'avons nous à perdre ?

Nos vies ? nos rêves ? nos égo à peines tièdes ?

Indolents !

Inquiets des vicissitudes, des vents changeants

À l’horizon sinistre et mortifère : regardez !

Les braves rhapsodes arrivent, déterminés !

5ème tentative

La peur n’existe plus

Plus de place pour cela

Quand nous tenons la rue

Ensemble, fiers et droits

Quand nous chantons nos désirs

Ensemble, affables et affamés

Quand nous combattons les vizirs

Ensemble, forts et déterminés

Nous vivons ensemble

Nous existons ensemble

Et alors, dans cet instant, dans ce fragment

De tous nos êtres, entrelacés

Nous voulons cela pour mille moments

Irradiant le réel de notre volonté

Flamboyant de toute notre étendue

La peur n'existe plus

1ère interlude du petit con

Parfois esthète

Peut-être dandy

Certainement pas poète

Et encore moins maudit

1 du Docteur de peste

Du goût des fautes, il faudra bien que je fasse un choix

Perdu dans le réel, plus rien ne fait loi

Il a bu, vieille excuse, même s’il n’y a plus que lui que ça amuse

Il faut tout réapprendre, même à dire je t’aime

Mais de ces erreurs, de ces fautes, que reste-t-il, une fois le bruit passé ?

Du bruit, ou la dîme de tout apprentissage ?

Je dois donc, en bon alchimiste, apprendre à perdre pour gagner

Et voilà que mes stigmates deviennent les marches de mon ascension

Fausses fautes, superbes supercheries, magnifiques menteries

2 du Docteur de peste

De la peste des formules

Parfois j’avoue, j’en ressens le ridicule

Et une fois de plus, je me questionne

À quoi bon dire, à quoi bon écrire

Si à chaque fois que ma raison se fractionne

En bon alchimiste, je devrais me souvenir :

“La parole est d’argent, mais le silence est d’or”

Alors que la lumière de ces belles tellures

Devienne de mon âme la nouvelle teinture

Dois-je alors me murer dans le mutisme ?

Partir dans un havre et devenir triste ?

Fit ! Des turpitudes j’ai déjà assez pesté !

Pollution de l’esprit, mon sanctuaire !

Des fautes, j’ai déjà parlé

J’irai m’excuser, pour sainement m’en défaire

3 du Hussard

Fatigue, chose lourde et pesante

Mes muscles endoloris appellent le repos

Ma chair en feu, mes extrémités tremblent

D’où viens-tu, amertume du chaos ?

T’es tu noyés dans cette vallée de larmes

T’es tu perdu dans cet océan de déchirures

Dis moi, chose aux frontières du murmures

Parle, d’où vient ce mal qui s'acharne ?

De mon front à mes mollets

De mon honneur à mon infamie

Tout se tend, tout tire, qu’elle est cette folie ?

Cette affection, malédiction, malaise étiré

Ma tête tourne, qu’ai-je fait ?

Je vrille, ivre de douleur

Pour quels maux ? Pour quels forfaits ?

Tant pis, j’abandonne mes couleurs

Je deviens fou, incapable de comprendre

Tout devient liquide, tout devient limpide

Rage, Chaos, Idéaux, à vous j’irai me pendre

Pour que j’aille mourir dans le sein du vide

2ème interlude du petit con

Alors restons amis

C’est pas un drame

(C’est une tragédie)

6 de Magus

Je retournerai à Solitude

Il le faut, c’est chez moi

Trop longtemps, j'étais ailleurs

Comme un vagabond, ici et là, je suis allé

À Sidon, j’ai bu les eaux sacrées

Qu’ont-elles guéri ? Je ne le sais pas

Ont-elle simplement guéri ? Rien ne le dit

À Sidon, j’ai bu en silence

Puis, porté par les torrents, apaisé

J’ai prié mes frère à Baalbeck

Que sont-ils devenus ? Je ne le sais pas

Sont-ils encore vivants ? Rien ne le dit

Le ciel est resté muet à mes prières aphones

La foudre, le feu et le Khamsin

Ne sont plus que poussières et souvenirs

Alors, dans une grotte, perchée dans les montagnes

Je me suis endormi, transi par le froid

Et dans ma main, je tenais la clé d’argent

Dans les vents éthérés de mon imagination

Je me suis perdu, une fois de plus

J’ai rêvé, et à dos de griffon impérial

À Kadath, enfin, je suis parvenu

Sur son marbre glacé, je me suis promené

Seul, à pas de loup, une arme à la main

Vide, voilà comment je l’ai trouvée

Grandiose, vertigineuse, divine, mais vide

Qui oserait construire une aussi belle cité

Qui ne serait habitée que par son passé

Architecte fou ! Père des malheurs !

Ta poésie n’aura touché que toi, augure des pierres !

Et les pauvres hères égarés dans leurs songes

Des jours durant, sur ces froids balcons

J’ai contemplé la rectitude de ses tours

Les courbures de ses fontaines

Les fils d’argent de ses tentures

Et la cendre dans les foyers

Pâleur d'albâtre, froide, inhospitalière

Voilà de qui arrive au beau

Lorsque personne ne l’admire

Alors je suis parti. C’est l’appel de la vie

Tout était froid et beau, Orchestre de menterie

Un barde, perdu dans ces froides contrées

Se déclara en vers, les yeux en larmes

“Je cherche Aïra, savez-vous où elle se trouve ?”

Il était jeune, sa lyre d’or, usée

Sa quête noble et son art doux

Alors, dans mes bras, je l’ai recueilli

Pourquoi pleurait-il ? Je ne le sais pas

Mais dans ces contrées mortifères, si un ami pleure

Il en va de notre idéal de l’accueillir.

Et, après les longs sanglots, et puisque

Deux rêveurs perdus ne le sont plus

Nous avons marché vers Aïra

Ses mots étaient comme l’ambroisie

Et ses mélodies, sucrées comme les figues de l’été.

Nous nous en sommes nourris, pour survivre aux morsures

Nous avons marché vers Aïra

Nous étions deux, aux prises avec le froid, la faim

Nous étions deux, et la mort ne pouvait nous atteindre

Nous avons marché vers Aïra

Des jours encore, des jours, marchants

Mais comme le feu qui éloigne loups affamés

Les poèmes et la prose nous protégeaient

Alors nous avons continué vers Aïra

Tant et si bien que des mois durant

Pensant nous y diriger, nous nous y trouvions

Alors nous pleurâmes, parce que nous savions

Nous y étions: nous étions Aïra

Mais nous rêvions encore

Et qu’il fallut bien, à un moment, que je me réveille

La clé d’argent toujours dans ma main

Et l’eau de mes larmes, toujours sur mes joues

La vieille nuit mourrait, mon rêve aussi

Vers Babylone, là où les rêves meurent

Et il fallut bien leur offrir une mort digne

Alors guidé par les aspects et par les sphinx

Je suis aller vers l’est à cheval

Au long des champs de pétrole, je me suis égaré

Comme un enfant hypnotisé

À la poix mauvaise, j’ai résisté

Même si je m’y suis noyé

J’ai voulu m’y vautrer

Ni l’honneur, ni la grandeur ne m’auraient sauvé

Mais ma bêtise et ma lâcheté

Ces deux là parfois deviennent qualités

Souillé mais pas vaincu

Perdu mais pas troublé

Toujours par le devant dirigé

À Babylone, je suis arrivé

Noir, honteux, haineux

Mais qu’importe, je suis venu pour mourir

Mon corps servira d’offrande

Alors qu’importe, je suis venu pour mourir.

Je suis rentré dans le fast

Partout la poix, la crasse

La fête, les vices et la masse

Le bruit, la lumière, tuez-moi !

Je suis venu pour ça, je ne suis pas déçu

Pareil Chaos, derrière de si hautes murailles !

Ceux de ma race aussi se cachent aussi pour en finir

À la seule différence que nous faisons ça en dansant

Ma tête devient un derviche

Dont la blanche robe ne finit pas de remonter

Ivresse à coup de chouffe, de pécheresse

Perché avec toutes les lettres de l’alphabet

J’ai tout bu, tout fumé, tout inhalé

Combien de fois suis-je mort ?

Trop de fois ? pas assez ?

Transpercé de part en part

Je survivrai à tes vices, à tes passions

Sans stigmate, je quitterai tes rues dodelinant

Ou les pieds devants

On ne peut mourir de trop faire la fête

Sinon, depuis longtemps, ô oui, bien trop longtemps

Je reposerais dans une quelconque hypogée

Et je ne me repose pas à Babylone, bien au contraire

Fatigué, éreinté, harassé. Oui

Mais pas mort, à mon grand dam

Peste ! Peut-être suis-je immortel !

Ma bêtise comme passe droit pour le Panthéon

Je n’ai pas réussi à mourir à Babylone

Perte de temps vaine, à peine mémorable

À ton air vicié, mes souvenirs amers

Et sur ma langue, tes acides

Délires absurdes

Zelliges du firmament

Perdu dans tes ruelles étouffantes

Égaré dans la volupté cotonneuse de mes étoffes

Je ne suis pas mort à Babylone

Alors dans l'Euphrate, j’ai voulu plonger

Face la première, le corps raid, les bras le long de mon cadavre

Pensant lentement dériver jusqu’à l’océan de la mort

Longue fut l’attente, longtemps l’eau s’écoula

Et j’étais toujours en vie , maudite relique !

Par les eaux vives et claires

À Sion, j’ai touché terre

Choses sacrées que les eaux de Sion

Elles m’ont guidé jusque-là

Aussi m’y suis-je arrêté

J’y ai entendu ses chants et ses prières

Bu ses eaux, digne de Sidon

À mes pensés elles se sont mêlées

Et Sion désormais m’habite

Autant que j’y ai habité

Les cendres, mélasse de mon esprit passé

Ont été emportés par les flots

Alors le feu et devenu eau

L'embrasement, un torrent

Et les braises, des rivières

Voilà le cadeau que Sion m’a offert

Tributaire embrasé, devenu inexorable garant

Et sur une petite île isolé, je me suis emporté

Ô minuscule Orphalese, perle de l’océan de fer

Perdue dans la nacre de la marée

Ici, j’ai longtemps, trop peut-être, cru me plaire

Que de beauté, que de sagesse

Là où le temps passe sans qu’il ne blesse

Tout y était simple, vrai et doux

Il n’y avait rien à retenir, rien à réfléchir

De l’oisiveté, la vie dans le sous

J’y étais honnête et sans blémir

Par grands vents ou par la brise

Ici, je pouvais tranquillement rire

loin des canons, loin des fenêtres

Ici il n’y a ni armes, ni murs

Tout y était beau, pur

Loin des clairons, loin des mal-êtres

Un avant-goût, peut-être, de l’ambroisie ?

Belle, simple, douce vie

Pourquoi m’en suis-je lassé

Était-ce le tribut de cette vie falsifiée ?

Pourquoi suis-je parti d'Orphalese, pourquoi ?

Je n’ai ni bible, ni poème, ni constitution, ni plan de bataille

Je n’ai rien à livrer aux Hommes, si ce n’est qu’une piètre gouaille

Alors pourquoi ai-je quitté Orphalese ?

Peut-être parce qu’une douche vie, voluptueuse

N’est rien si elle ne se trouve en situation périlleuse

Combien arrivent à Orphalese ? Combien restent à quai ?

Combien se noient ? combien se fourvoient ?

Je devais partir, voilà la vérité

Destin, bêtise, ennui, quête d’ipséité ?

Va pour les quatre, comme autant de terribles cavaliers

Quitter Orphalese, pour moi, c’est déjà la fin du monde

Que s’est-il passé ensuite ?

Il y quelques mystères qu’il faut préserver

Car déjà la fatigue gagne mon esprit égaré

Entre Orphalese et Solitude

C’est là que je marche, sur le seuil

Entre la rage de Féral, et la folie de Chaos

À l'équilibre, sur le fil que les Moires Tissent

Ô Solitude, C’est ta voix dans ton écho

3 de Fauve

Je ne devrai pas avoir peur

Non pas que je la refuse

Mais la peur de demain, diffuse

N’a pas de place dans mon coeur

Car elle réside dans un ailleurs

Où je ne se suis, où je ne saurais-être

Golems immondes, zélotes des malheurs

Piètres ogres du beau crépuscule que nous souhaitons faire apparaître

Je souhaite votre mort

Vous et tout ce que vous protégez si servilement

Rats, vaches ou porcs

Ici peur et tolérance se meurt définitivement

2 du Mage

De l'inconstance de l’âme

De la permanence des sensations

Tout cela, comme un tourbillon

Aspire mon temps, déchire comme une lame

Qu’y puis-je, que me dis le monde ancien ?

D’y survivre, apatheia, ô la vie de chien !

La raison, la logique, parfois éloignent

De la vérité que le tangible témoigne

Que dit la folie, que dit le Grand Féral ?

Interrogation vaine, la grande méprise !

Ces deux là se vivent

Alors laissons sous le marbre les idéaux

4 de Fauve

Ai-je seulement eu peur ?

Je ne crois pas. Serait-ce cela l’honneur ?

Piètre façade ! Impossible, ce serait faire erreur

Inconscience ? Peut-être. La blême face sème la terreur

Mais je ne l’ai pas vue, pas ressentie

Pas pour moi, mais quid de mes amis ?

À Solitude, la peur n’a-t-elle pas de rue ?

C’est un boulevard, que dis-je, un quartier !

Pour mes amis, j’ai eu peur, c’est avoué !

Peur de ma rage, celle qui tue

Peur d’exploser, voyant mes amis menacés

Ce n’était pas le peur, mais la rage

Ô Féral, bénis moi de ta pulsion de saccage

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