Chapitre 2

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La cité rebelle ( 2 )

En cette journée d'été écrasée de chaleur, les Tours, fières gardiennes de la cité, semblent retenir pour elles la fraîcheur à l'intérieur de leur imposant corps de pierre. Elles narguent les habitants accablés de chaleur qui attendent que le soleil tombe dans la mer pour retrouver un peu de vivacité. Même sous les arcades, à l'abri des rayons ardents, les passants sont rares devant les étals des commerçants qui font grise mine. N'espérant pas la moindre brise marine, ils attendent que cette journée de feu s'étiole afin que reprennent les affaires.
Le soir venu sur le Vieux-Port, l'agitation bruisse d'un monde intense et vibrant alors que la lumière du soleil se fait caressante. La taverne du père Jean s'anime et l'ambiance prend une tournure que le tenancier se charge de contenir. Il veille à la bonne tenue de son établissement et ne tolère aucun débordement. Pour cela, il peut compter sur l'aide de Josette, sa gouailleuse de femme pour y mettre bon ordre, les discussions trop vives se font dehors. Un avertissement au-dessus du comptoir précise que la maison ne fait pas crédit. Qu'on se le dise !
Quatre années se sont écoulées depuis la fin du Grand Siège, mais parfois, aidés par des soirées nourries d'alcool, des relents amers ressurgissent en ravivant des plaies mal cicatrisées. Au comptoir ou autour d'une table, le père Jean entend ici ou là, des voix s'élever qui ne font pas mystère de leur appartenance à l'un ou l'autre des deux partis huguenots : celui des Rohan toujours rempli de défiance, prompt à la rébellion et plus sensible aux intérêts locaux qu'aux intérêts généraux. Alors pour désigner le Cardinal, circule le nom de « diable rouge ». Le tavernier sait qu'ils appartiennent à ce camp. L'autre parti, plus religieux et décidé à maintenir l'unité nationale et la tranquillité publique, celui qui survivait de la grande influence de Duplessis-Mornay, le grand défenseur de la cause réformée, est majoritaire.
Autour de la grande table centrale, quelques invités ont répondu à l'invitation de Marcellin qui souhaite fêter la naissance de ce garçon tant attendu après les arrivées successives de cinq filles. S'y trouvent installés : Edmond, Jacques, Étienne et François qui forment son premier cercle d'amis des tonneaux. Quelques piliers de bistrots se sont approchés en félicitant l'heureux père même s'ils le connaissent à peine. Leur soif insuffisamment étanchée supporterait bien qu'un autre pichet de vin s'ajoute à leur intention. Comprenant qu'il n'en sera rien, ils s'éloignent en maugréant. Edmond, le goguenard, aperçoit Adrien de l'autre côté de la rue, pressant le pas pour rentrer à la maison. Il serre contre lui une grosse boule de pain bien doré et une jolie brioche enrobée de cristaux de sucre. Adrien doté d'une réputation jamais entachée, éternel amoureux de Blandine, sa douce et belle épouse et de Judith, sa merveilleuse petite fille pétillante de vivacité qui le fait fondre de bonheur. Alors qu'il vient de dépasser la taverne, il est happé par Edmond qui l'invite à se joindre à eux. Ne voulant pas déplaire à Blandine qui n'aime pas ce genre d'établissement pour débauchés comme elle le répète, il refuse en le remerciant.

- Allons, viens goûter la bière, d' la goutteuse, bien fraîche et d' bonne qualité celle-là, brassée avec les meilleures céréales ! Pas d' la tambonne. Tu t' rappelles ?

Comment aurait-il pu oublier cette mixture infâme à base d'eau, de vinaigre, de son, de cassonade et d'un peu de gingembre, imitant la bière pendant la famine !! Alors la tentation est trop forte, il en a la bière à la bouche !

- Mais juste une chope! précise-t-il.
À l'intérieur les discussions vont bon train, aussi Josette de sa voix tonitruante, s'empresse-t-elle de ramener le calme ! Après les félicitations d'usage à l'heureux papa, Adrien s'enquiert de la bonne santé de la maman et du bébé. Marcellin lui répond que maintenant, la machine est bien rodée après six accouchements et que d'ailleurs, elle devra rester encore en bon état de marche pour un ou deux garçons de plus !
Puis poursuivant :

- Et toi Adrien ! ça lui fait quel âge à c'teure à ta p'tiote ?

- Cinq ans dans un mois.

- Alors, faut t'y r'mettre !

- Chez nous, ces affaires-là vont pas aussi vite que chez toi !

- Dame ! C'est qu' ma Lucienne, elle a des hanches larges, une poitrine forte en tétons et bien faite pour nourrir toute une marmaille !

Et Jacques, le débauché, de surenchérir :

- Y a peu, j'ai croisé ta Blandine sur la place du Château. Un beau brin de fille, gracieuse et fine, avec une belle croupe en plus d' ça !

- Parbleu ! Beaucoup plus affriolante que ta Lucienne ajoute-t-il à l'adresse de Marcellin.

- Allez trinquons à ton drôle !

Tout en choquant son verre, Adrien se dit qu'il est temps pour lui de quitter la table de ces « forts en gueule » qui s'expriment comme des poissardes ! Encore, François le décérébré n'a-t-il ouvert sa bouche que pour la remplir de bière en l'avalant bruyamment ! Reposant son verre qu'il a bu d'un trait, il salue l'assemblée avant la partie de cartes poliment refusée et prend congé...

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