9. Règlement de comptes

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Colin

Un coup au visage, sec et brutal, arracha une grimace à Colin. La vue floue, il se rendit compte qu’il était étendu au sol, bras écartés. Son alicanto marchait sur son ventre pour le ranimer à l’aide de ses petites pattes, tandis que ses camarades se tenaient au-dessus de lui, inquiets.

- Colin, ça va ? lui demanda Philéas, à genoux à côté de lui.

Colin se positionna sur ses coudes, les joues enflammées. Il croisa le regard de Philéas avec peine tant ses paupières lui paraissaient lourdes.

- Joseph ! s’exclama une voix féminine. Comment as-tu pu oser faire patienter nos hôtes au seuil de la porte par ce temps ?

- Toujours se méfier des voleurs, Émilie, gronda l’homme.

- Toi et ton sens de l’observation ! soupira la femme en soulevant Colin par les bras. Débarrasse les autres et conduis-les près du feu, sans traîner !

En deux temps, trois mouvements, Colin se retrouva assis sur une chaise face à une cheminée en bois. La maison était modeste, il faisait assez sombre malgré l’éclairage, et le vent battait aux fenêtres tremblantes. Colin sursauta en apercevant une jeune femme habillée de blanc s’accroupir à la hauteur de son menton. Ses petits yeux bruns enfoncés étaient assortis à ses mèches ondulées qui descendaient jusqu’à ses épaules frêles, un petit rictus étirant sa peau rebondie et éclatante malgré l’hiver.

- J’espère que tu te sens mieux, lui dit-elle.

Le reste du groupe les rejoignit en trombe dans la pièce. La maîtresse de maison leur indiqua où s’asseoir tout en leur donnant une couverture en laine.

- Enroulez-vous dedans, elles sont bien chaudes.

- Merci infiniment, madame, répondit Philéas.

Leurs mouvements entravés par leurs mains glaciales, les adolescents parvinrent finalement à s’emmitoufler, soulagés. Les flammes dévorant les bûches avaient capté toute l’attention de Colin qui, attiré par la chaleur dont il manquait affreusement, n’avait pas entendu la question de la jeune femme.

- J’espère que cela ne vous ennuie pas, Colin ne s’exprime que très rarement, entendit-il dire Ariane.

Honteux, l’adolescent tourna la tête et, sentant la neige fondre dans ses cheveux, il déclara :

- Pardon. Je… je ne vous ai pas écouté.

Les prunelles de l’hôtesse s’assombrirent, peinée de constater que ce garçon était en retrait.

- Je disais simplement que ce n’était pas sage de votre part de voyager avec si peu de vêtements. Vous êtes le seul parmi vos amis à n’avoir porté que quelques pulls par un temps pareil.

Ce fut au tour des autres d’être embarrassés. Aucun n’avait remarqué le peu d’affaires dont disposait Colin.

- D’où venez-vous pour ne pas vous occuper des uns et des autres ? murmura-t-elle, étonnée.

- Pas d’ici, en tout cas, répondit l’homme à la pipe en arrivant. Leurs vestes sont d’une étrangeté déconcertante.

- Joseph ! le réprimanda la jeune femme.

- Il a raison, intervint Philéas en caressant Altesse. Nous ne sommes pas de la vallée.

Les deux inconnus les fixèrent un moment, troublés. Colin en profita pour se concentrer sur leurs mains gauches, dont l’annulaire était entouré d’une discrète bague en or ; les deux inconnus semblaient être mariés.

- Émilie… les six oiseaux… articula Joseph qui venait de comprendre.

Il ne se répéta pas deux fois ; l’hôtesse, qui manqua de tomber, se rattrapa au coin d’un meuble en balbutiant une bribe de mots incompréhensibles.

- Joseph… tu allais refuser l’hospitalité aux Six ?

- Je t’interdis de me faire culpabiliser. J’ai eu raison de penser à la sécurité de nos enfants. Reprends-toi, voyons, ce ne sont pas des manières devant nos invités.

Émilie se redressa, puis scruta les adolescents un à un, admirative.

- Alors vous êtes venus ? Vous êtes là pour la couronne, n’est-ce pas ? Vous nous sauverez de la menace de l’echezac ?

- Cesse de poser autant de questions, tu vois bien que tu les ennuies. Ils sont morts de froid et de faim, ils ont d’autres choses à penser pour le moment, maugréa Joseph.

- Nous tâcherons de faire de notre mieux, madame, répondit tout de même Endrick.

- Nous comptons nous diriger vers Marvegny, là-bas, nous apprendrons à élever nos oiseaux avant de partir en mission, révéla Constance.

- J’ai compris que vous aviez des enfants, nous sommes certainement des bouches en plus à nourrir. Nous ne voulons pas vous déranger plus longtemps… commença Philéas.

Émilie ouvrit grand les yeux.

- Par tous les saints !

- Il fait nuit, l’orage fait rage, et vous n’avez aucun bagage sur vous. Vous ne tiendrez pas une heure dehors, remarqua Joseph.

- De plus, certains d’entre vous ont besoin d’une bonne nuit de sommeil, ajouta la jeune femme en regardant Colin.

Celui-ci fuit aussitôt son regard insistant, calmant ses battements de cœur de plus en plus irréguliers. Il était affaibli et il détestait cette sensation. Être à la merci des autres lui rappelait les conditions dans lesquelles il avait vécu à l’hôpital, isolé et incapable de bouger. Étouffant, le jeune garçon écoutait d’une oreille inattentive la discussion qui s’enchaînait.

- Nous ne voulons pas vous causer plus de problèmes… poursuivit Ariane.

- Balivernes. Nous manquons certes de place, mais Joseph va vous installer au grenier, c’est là que nous faisons les réserves d’herbes sèches pour les cikavacs. J’ai assez de draps pour en faire des lits.

- Les quoi ? s’étonna Justine.

- C’est le nom de l’oiseau de Joseph. Son cikavac est un jour venu avec toute une colonie, alors on a décidé d’en élever plusieurs, expliqua Émilie, souriante.

Colin eut un soudain coup de chaud. Son teint pâle et son regard dans le vague alertèrent les autres.

- Excusez-moi, je ne me sens pas bien, marmonna-t-il.

- Nous avons un cabinet de toilette, viens avec moi, l’encouragea Émilie en soulevant les pans de sa robe.

Titubant, il la suivit jusqu’à une pièce étroite, y trouvant un petit meuble de toilette sur lequel étaient posées une vasque et une cruche. Il se précipita sur la vasque, se pencha par-dessus et rendit son repas du midi. Vidé, il se laissa tomber à genoux, les mains agrippées aux coins du meuble, le visage rivé vers le miroir face à lui. Il avait une mine à faire peur.

- Tout va bien ? lança Émilie depuis la porte.

- J’arrive, dit-il simplement.

Après s’être relevé avec difficulté, il se débarbouilla le visage, nettoya la vasque et ressortit du cabinet tout penaud.

- Tu n'aurais pas dû nettoyer, dit Émilie en jetant un coup d'œil par la porte. Je l'aurais fait. S'il y a quoi que ce soit d'autre, n'hésite pas.

- Je suis sincèrement désolé, je ne comprends pas...

- Pas la peine. J'imagine combien ça doit être dur pour vous.

Colin n’avait plus la force de répondre. Il émit un faible « merci » et la suivit jusqu’au salon d’un pas lourd. Émilie n’insista pas plus et, après avoir déposé une main sur son épaule pour le rassurer, lança avec gaieté :

- Joseph, tu ne les as toujours pas emmenés en haut ? C’est à croire que tu le fais exprès, parfois.

- Ils m’ont posé des questions. Je n’ai plus le droit de discuter, maintenant ?

- Tu m’énerves.

- Je sais. Mais il a fallu que tu te maries avec moi. Le destin fait mal les choses, quand même.

- Grand bêta, rit la jeune femme. Montez-vite, ajouta-t-elle aux adolescents, je vais vous apporter un bouillon et des vêtements propres pour la nuit.

- Nous vous sommes très reconnaissants, répondit Philéas.

Joseph s’empara d’une lampe à huile et monta les escaliers, menant les adolescents à un étage empli de foin. Seule une grande fenêtre rouillée au fond de la pièce leur permettait de voir les flocons de neige tomber éternellement, sans jamais désépaissir. Le grondement de l’orage faisait trembler le plancher, ce qui arracha un sourire au mari d’Émilie.

- C’est vieux, ici. J’espère que ce sera assez confortable pour vous. Tu t’es remis, mon grand ? demanda-t-il à Colin en lui tapant dans le dos.

Celui-ci manqua de tomber, fébrile. À nouveau, il n’eut pas le courage de répondre. Le groupe remercia alors Joseph avec chaleur, s’observèrent quelques secondes à la lueur de la lampe avant que l’obscurité n’envahît à nouveau l’espace, marquant le déplacement de Joseph du grenier au salon.

- Colin, chuchota la voix de Constance. On a besoin d’explications. S'évanouir par manque de force, c'est une chose ; avoir un comportement douteux tout au long de la soirée, c'en est une autre.

Cette phrase les plongea dans un silence profond. Le jeune garçon visé ne sut que répondre, les doigts engourdis par la légère brise qui s’infiltrait par les poutres.

- On perd du temps à essayer de comprendre ce qui ne tourne pas rond chez lui, gronda Endrick.

- Tu y vas un peu fort, rétorqua Ariane.

- Émilie l’a dit elle-même ; on ne s’occupe pas correctement des uns et des autres. La faute nous revient aussi, on aurait dû remarquer qu’il n’avait rien sur le dos, risqua timidement Justine.

Endrick haussa les épaules, décrocha son regard du sol et fixa Colin par-dessus son épaule.

- Je me demande parfois pourquoi tu es là, marmonna-t-il. C’est vrai. Toi-même tu ne le sais pas. Je me trompe ?

Le jeune garçon serra les poings, ouvrit la bouche pour s’indigner puis se ravisa, impuissant. Aucun mot ne lui vint, son envie de s’exprimer disparaissant aussi vite qu'elle fut venue. Personne n’était prêt à venir à son secours, le laissant traverser seul cette épreuve qu’Endrick lui imposait.

- Très bien, soupira Endrick en fourrant les mains dans ses poches. Au moins, on est fixés.

Les adolescents ne dirent rien, à la plus grande déception de Colin. Ils avaient ainsi pointé du doigt sa faiblesse ultime, celle de ne pas savoir défendre son cas. Sa propre présence parmi eux lui échappait, mais il désirait plus que tout intégrer le groupe à part entière. Pour cela, il savait qu’il devait faire ses preuves s’il voulait rester en son sein.

- Me voilà ! lança Émilie, un plateau dans les mains.

Colin s’écarta sur son passage. Son alicanto, qu’il tenait dans les mains, vint lui picorer la manche, signe affectueux qui chassa toutes les peines qui le rongeaient. Émilie enveloppa rapidement les tas de foin de draps clairs, déposa des couvertures dessus et disposa des bols de bouillon sur le plancher. Elle distribua à chacun des adolescents des vêtements avant de reprendre le plateau vide avec délicatesse.

- Vous pouvez vous changer dans vos lits. Reposez-vous, nous verrons si la tempête se sera calmée d’ici demain matin. Bonne nuit, ajouta-t-elle en les laissant à nouveau seuls.

Et elle partit aussi vite qu’elle fut venue. Colin s’avança jusqu’au lit le plus proche, ôta ses habits humides et enfila hâtivement son nouveau pyjama. Il rejoignit ensuite le groupe en cercle autour d’une lampe à huile, prit le dernier bol qu’il restait et but en silence. Il remarqua qu’Émilie y avait fait tremper des herbes médicinales pour les remettre sur pied. Il se sentit soudain seul et épuisé mentalement, entouré des adolescents qui discutaient joyeusement. Ses épaules affaissées témoignaient de son découragement, et Justine sembla le déceler au bout de quelques minutes. Elle s’approcha discrètement de lui en se traînant sur le sol, ses cheveux blonds détachés jusqu’aux épaules frôlant le bras du jeune garçon.

- Pourquoi tu te laisses faire ? chuchota-t-elle, sans une seule once de méchanceté.

Colin hésita, les bras tremblants.

- Je ne m’attendais pas à ce que vous réagissiez comme ça, dit-il d’une voix étouffée.

Justine eut l’air désolée.

- Ne pense pas qu’on ne veut pas de toi… rien n'est facile pour personne. On est tous pris de court.

Colin hocha la tête.

- Endrick et Constance sont très durs avec toi.

- Non, pas Constance, la corrigea-t-il immédiatement.

- Vraiment ? fit Justine, surprise.

Elle jeta un coup d’œil à Constance qui, l’air dégagé, coiffait ses cheveux du bout des doigts.

- Ne crois pas que tu vas t’attirer sa sympathie, c’est une solitaire.

Depuis sa place dans l’obscurité à l’écart des autres, Colin fixa le visage éclairé de la jeune fille en question. Contrit, il s’attarda sur les hautes pommettes et le menton fin qui dessinaient le portrait fermement tracé de la jolie brune. Son nez droit et son épaisse chevelure lui donnaient un air farouche qu’il connaissait bien, mais dont il ne se lassait pas. Sa force de caractère l’avait toujours impressionné. Justine soupira, repliant ses jambes sous sa poitrine.

- Endrick est peut-être insupportable avec toi, mais il n’était pas du tout comme ça quand tu t’es évanoui.

Colin détourna le regard de Constance et passa le menton par-dessus son épaule.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Quand tu es tombé, c’est le premier qui t’a traîné au sol pour te faire entrer au sec. Philéas l’a aidé pour que tu te réveilles. Tu as mis du temps à reprendre tes esprits.

Incrédule, le jeune garçon fronça les sourcils.

- Je sais que c’est difficile à croire, continua-t-elle. Mais Endrick reste quelqu’un de loyal, il ne supporte pas que l’un de nous flanche.

- En es-tu si sûre ? marmonna-t-il, peu convaincu.

La jeune fille pencha légèrement la tête vers lui, mi-embarrassée, mi-compatissante.

- On devrait aller se coucher, finit-elle par proposer en voyant les autres se lever.

Colin acquiesça, posa son bol et, après avoir jeté un dernier coup d’œil en direction de Constance, se glissa sous sa couverture en s’assurant que Brahms se couchait non loin de lui, dans le foin. Le vent claquait à la fenêtre avec vivacité et le bois de la maison grinçait. Un éclair, qui illumina le grenier pour la énième fois, effraya Ariane ; elle se faufila rapidement sous sa couette en laissant quelques boucles rousses dépasser. Les lits étant assemblés les uns aux autres, Endrick se tourna vers elle et lui demanda :

- Tu as peur ?

Ariane émergea légèrement des draps, hochant la tête en silence. Colin put voir Endrick tendre son petit doigt au moment où le grenier s’éclaira à nouveau, Ariane dépliant son bras pour l’attraper une fois la pièce replongée dans le noir.

- Je suis là, chuchota-t-il.

- Je sais, répondit-elle en souriant.

Colin ferma un instant les yeux, la respiration lente. Il ne comprenait pas ce qui n’allait pas chez lui, lui-même luttait chaque jour afin de changer sa façon d’être, et malgré cela, il n’arrivait pas à se défaire du mutisme qui le retenait. Il serra sa mâchoire, profondément peiné. Une chose était sûre ; il refusait de décevoir Osmond et d’abandonner son oiseau en raison du passé qui l’enchaînait. Leur quête était bien trop importante pour lui. Sans s’en rendre compte, Colin sombra peu à peu dans le sommeil, la tête lourde et les pieds gelés.

* * *

- Vos vêtements sont encore humides, hors de question de les remettre, déclara Émilie alors qu’ils se tenaient tous debout devant leurs lits dans leurs pyjamas trop grands pour eux.

L’hôtesse de maison tira Colin de son sommeil. Elle était en pleine discussion avec Philéas.

- J’ai gardé les habits de mes enfants les plus âgés, continua-t-elle, il doit y en avoir assez pour vous tous.

Il s’était arrêté de neiger ; le ciel était aussi blanc que le sol, la surface plane des pentes enneigées brillant à l’éclatante clarté du jour. Colin trouvait ce paysage envoûtant.

- Je ne sais comment vous remercier, entendit-il la voix de Philéas murmurer.

Émilie hocha la tête avant de se retirer.

- Je vais mourir.

Tout le monde se tourna vers Constance, ébahi. Elle avait enfilé son manteau encore mouillé de la veille après avoir pris sa douche, cachant ses cheveux trempés avec sa capuche.

- Qu’est-ce que tu dis ? répondit Ariane, assise en face d’Endrick sur son lit.

Constance brandit le lisseur qu'elle avait réussi à sauver lors de la tempête.

- Il n’y a aucune prise.

- Et ?

- Je ne vais pas pouvoir me lisser les cheveux ! gémit-elle.

- Tu t’attendais vraiment à ce qu’il y en ait dans la vallée ?

- Il y en avait au moins une ou deux chez Augustine, alors pourquoi pas ici ?

- Constance, soupira Justine, est-ce que tu sais au moins que le premier passage de l’Homme dans ce monde date d’au moins plusieurs siècles ? Ils ne connaissaient même pas le principe de l’électricité.

Constance croisa les bras, de mauvaise humeur.

- Je ne peux même plus me maquiller, toutes mes valises y sont passées…

- Ta touche de féminité peut ressortir sans mascara, elle s’en remettra, rit Justine.

- Ce n’est pas drôle ! fulmina Constance.

Tous explosèrent de rire.

- Attention, j’arrive ! les interrompit Émilie. J’ai tenté de prendre la taille qu’il fallait pour chacun. Fouillez dans le tas, pendant ce temps, je dois préparer le petit déjeuner.

Les trois filles firent les yeux ronds en découvrant le tas qui leur était destiné.

- Qu’est-ce que c’est que cette chose ? fit Constance en fronçant le nez, un tissu gris dans la main.

- On dirait une robe, remarqua Ariane.

Colin, quant à lui, se dirigea jusqu’au tas réservé aux garçons. Il en tira un pantalon à bretelles accompagné d’une chemise beige. Endrick et Philéas semblaient tout aussi intrigués que lui.

- Je suppose que la taille la plus fine est pour toi, déclara Philéas en tendant quelques habits pliés à Colin.

Pas le moins du monde offensé, Colin déplia ses vêtements et attendit que les filles se mettent dos à eux pour s’habiller. Une fois tous prêts, ils se retournèrent et contemplèrent leurs accoutrements. Les filles portaient de longues robes grises épaisses faites en lin, dont la coupe était droite et le décolleté rond.

- C’est… modeste, commenta Philéas.

- Parlez pour vous, le railla Ariane.

Colin regarda ses propres vêtements de haut en bas, se demandant bien de quoi il pouvait avoir l’air avec une telle allure.

- Le petit-déjeuner est prêt ! lança Émilie depuis le bas des escaliers.

Ils ne se firent pas prier, la faim leur tenant au ventre. Impatients, ils dévalèrent les escaliers, entrèrent dans la petite salle à manger et s’assirent autour de la table.

- Nous n’abuserons pas plus longtemps de votre hospitalité, déclara Philéas une fois leur repas englouti. Si nous pouvons faire quelque chose pour vous remercier...

- À vrai dire… nous aurions un service à vous demander avant que vous ne partiez, répondit Émilie.

- Tout ce que vous voudrez ! s’exclama Ariane, tout sourire.

- Un ami fermier vient de déposer de gros sacs de grains devant la maison. Cela vous dérangerait-il d’aider Joseph et les garçons à les ranger dans la réserve ?

Philéas se leva, l’air affable.

- Nous y allons de suite !

- Il y a des capes accrochées dans l’entrée. Prenez-les pour ne pas attraper froid.

Colin fut le deuxième à sortir, aveuglé par la luminosité qui transperçait les nuages mamelonnés. Cela lui faisait tout drôle de sentir le bout de sa cape marron toucher ses chevilles, puisqu’il était peu habitué à être ainsi vêtu ; les autres semblaient partager son avis. Seule Constance semblait à l’aise, ravie par la grande capuche terne sur sa tête qui cachait la moitié de son visage.

- Elle est ridicule, entendit-il gronder Endrick à voix basse.

- C’est Constance, soupira Philéas. On ne peut rien y faire.

- J’espère qu’on va bientôt pouvoir partir, lança Ariane derrière eux, inquiète.

- Il faudrait qu’on trouve un nouveau refuge avant la nuit, confirma Justine.

Toutes deux ressemblaient à d’humbles roturières tout droit sorties d’un roman chevaleresque, leurs cheveux tombant derrière leurs longues capes qui flottaient derrière elles. Pia et Flamme perchés sur leurs bras agrémentaient l'illustration de ce portrait à merveille.

- Dépêchez-vous ! leur intima Constance qui était déjà arrivée auprès de Joseph.

Ils se hâtèrent de les rejoindre et, après avoir salué les jeunes garçons qui aidaient leur père, ils se mirent au travail, tous portant un sac énorme sur leurs épaules. Colin passa une main sur son front, essoufflé après un long moment d’efforts fournis ; alors qu’il s’apprêtait à soulever un autre fardeau, Endrick lui lança depuis la réserve :

- Colin, tu peux me dire quel type de grains contient le sac sur ta gauche ? J’ai un doute !

Le jeune garçon sentit son cœur accélérer.

- C’est écrit sur l’étiquette ! s’impatienta Endrick.

Colin fit mine de se pencher pour regarder, les mains tremblantes.

- Bon, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? s’exaspéra le grand brun, tenant tant bien que mal de nombreux sacs dans les mains.

- Je ne peux pas, dit Colin à voix basse.

- Quoi ?!

Colin se releva et, se préparant aux futures représailles, haussa le ton :

- Je ne peux pas !

- Tu rigoles, j’espère ?

Les autres s’arrêtèrent, surpris.

- Non, répondit Colin, frustré.

- Bon sang, lâcha Justine malgré elle.

Elle plaqua une main contre ses lèvres, gênée. Un long silence s’imposa, menaçant Colin de révéler la vérité s’il voulait être pris au sérieux. Ce qu’il ne fit bien évidemment pas.

- Alors là, finit par déclarer Endrick, les sourcils haussés. Je savais que ça n’allait pas bien chez toi, mais à ce point là ? Quoi, t’es jamais allé à l’école ?

- Non, je…

- Mais tu sors d’où ?

- Ça ne te regarde pas, s’agaça Colin.

- Il est fou. Complètement fou.

Ce fut l’insulte de trop. Colin s'assura que Joseph et ses fils étaient assez éloignés d'eux, agrippa un sac et le lança de toutes ses forces en direction d’Endrick. Celui-ci l’esquiva de peu et, après avoir marqué un temps, il leva le doigt.

- T’aurais jamais dû faire ça.

Il se précipita vers lui, le poussa vers l’arrière avec force avant de l’emporter avec lui dans la neige. Ils roulèrent ensemble, tentant de se frapper sans la moindre pitié sous les cris des filles.

- Endrick, lâche-le ! hurla Ariane.

- Endrick ! cria Justine d’une voix aiguë.

Au lieu d’obéir, celui-ci donna un coup de poing dans le ventre de Colin qui, cloué au sol, ne put parer un tel geste. Reprenant difficilement son souffle, il repoussa Endrick d’un coup de pied puissant, lui attrapa les épaules et chercha ses mots avec rage :

- Je... je t'interdis de me traiter de fou !

- Alors tu sais bel et bien te défendre, ricana Endrick. C'est pas trop tôt.

- Ça te sert à quoi de me provoquer, Endrick ? lâcha Colin à voix basse.

Endrick ne lui donna pas de réponse ; il se contenta de passer furieusement une main sur sa lèvre en sang. Colin pensa alors que la bagarre était finie, mais au moment où il se relevait, Endrick ne put retenir son poing qui lui arriva en plein visage. Colin s’écroula au sol. Endrick en profita pour se ruer sur lui, le tirant par le col afin d’en finir ; seul le ton sec de Constance l’arrêta dans son élan.

- Endrick. Lâche-le. Tout de suite.

Celui-ci hésita puis, après avoir resserré son poing, il se redressa lentement, observant avec mépris son adversaire se relever avec un coquard à l’œil.

- Justine, c’est toi qui te chargera de lui apprendre à lire, cracha Endrick.

- Et pourquoi, je te prie ? s’offusqua celle-ci après avoir assisté à une scène aussi violente.

- Tu le sais très bien, répondit-il en retournant à la réserve.

Philéas s’empressa de le suivre, inquiet. Lorsque Colin se mit debout, une main sous la paupière, il croisa le regard glacial de Constance ; il la remercia d'un hochement de tête, ce à quoi elle répondit en tournant les talons.

- Ils ont dépassé les bornes, déclara Justine.

- Je suppose que ça devait éclater entre eux deux, soupira Ariane.

- C’était immature, conclut sèchement Justine.

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