8. L'orage de neige

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Constance

- Constance…

Une voix feutrée l’extirpa de son sommeil lourd. En ouvrant les yeux, les joues rosies par la fraîcheur de la nuit, Constance constata qu’il faisait encore sombre, ses compagnons dormant à poings fermés, éclairés par la pleine lune haute dans le ciel. La voix reprit de sa douce musicalité :

- Constance…

- Qui est-ce ? demanda-t-elle en s’asseyant.

- Ne veux-tu plus venir me voir ?

- Endrick, arrête ça tout de suite, ce n’est pas drôle, se plaignit-elle.

Elle plissa les yeux en direction de l’adolescent auquel elle se fiait le moins ; le nez enfoui dans son pull, la respiration lente, Endrick sommeillait sagement, des mèches brunes tombant sur son front légèrement plissé. Au plus grand regret de Constance, il ne fit aucun mouvement qui pût confirmer son accusation.

- Stancie…

Constance sentit son sang se glacer dans ses veines en entendant ce surnom. Terrifiée, elle se releva, ses longs cheveux bruns couvrant ses bras tremblants. Elle ne savait pas si elle se trouvait en plein cauchemar ou si l’on s’amusait à lui faire une blague de mauvais goût.

- Qui êtes-vous ? chuchota-t-elle.

- Constance…

La voix se perdit dans les profondeurs des terres abandonnées, l’écho de cette dernière marquant les consonnes du prénom de la jeune fille en cadence. Envoûtée, Constance suivit le son cristallin qui résonnait jusque dans son cœur battant. Elle contourna les arbres qui lui barraient la route, cheminant seule en territoire inconnu. Le regard dans le vague, Constance prit conscience qu’elle s’était arrêtée tout près d’un marais.

- Tu es finalement venue, Constance, belle enfant au teint hâlé ?

- Puis-je vous voir ? s’enquit-elle naturellement.

- Bien entendu. Constance hâlée.

Bien qu'elle ne saisit pas le sens des phrases de son interlocuteur, un petit oiseau au plumage d’algues et aux pattes semblables à des brindilles apparut sous un rayon de lune. Ses grands yeux verts luisaient de bienveillance. Constance se pencha un peu plus pour l’observer, soulagée de se retrouver face à un être aussi inoffensif. Elle avait l’impression de rêver.

- À ton tour, enfant venue. Approche-toi, toi… que je contemple ta beauté.

Toutes ces paroles retentissaient en boucle dans les oreilles de Constance. Elle se retrouva accroupie au bord du marais sans se souvenir de s’y être avancée, la vision accaparée par la tête difforme du volatile.

- Comment connais-tu mon surnom ? murmura-telle.

L’oiseau battit de l’aile, le bout de ses pattes grossissant lentement.

- Je t’ai lue à livre ouvert.

Il se déplaça péniblement derrière elle en répétant son prénom, devenu harmonieux entre les nombreux claquements de son bec. Alors que Constance somnolait, bercée par ce chant entraînant, une force exercée sur son dos lui fit soudainement perdre l’équilibre. Avant d’avoir le temps de se défendre, elle bascula dangereusement vers l'avant et tomba la tête la première dans l’eau, le visage enfoncé dans la boue. Elle eut beau se débattre sous la surface, un poids ne cessait de l’écraser davantage parmi les remous qui se formaient autour d’elle. À peine consciente de ce qu’il lui arrivait, l’esprit vide de toutes pensées, Constance finit par se laisser faire, sombrant peu à peu dans l’obscurité. Alors que son souffle lui manquait, le poids s'enleva peu à peu, mais elle n’eut pas la force nécessaire pour sortir de l’eau. Une main la saisit alors par le col pour la tirer des profondeurs, lui permettant de respirer l’air à pleins poumons malgré la boue qui la gênait.

- Constance !

Elle se laissa tomber au sol, toussant avec difficulté. Des bras la soulevèrent et elle put reconnaître son sauveur ; Endrick, le teint olivâtre, la tenait comme il pouvait contre lui.

- Tu vas bien ? s’inquiéta-t-il.

Les larmes s’échappèrent des yeux de Constance sans qu’elle ne pût les maîtriser, coulant silencieusement le long de ses joues terreuses. Elle s’accrocha au haut d’Endrick sans se soucier de leurs différends et sanglota, tiraillée entre la confusion et le chagrin. Justine et Ariane arrivèrent quelques secondes après, effarées, suivies de Philéas qui ne tarda pas à s’appuyer contre Endrick pour l’assaillir de questions. Constance était entourée de tous ses compagnons sans réellement saisir ce qui lui arrivait, réchauffée et saine et sauve.

- Je ne sais pas ! balbutia Endrick face à l’insistance de Philéas. Son caladrius m’a réveillé et m’a tiré par la manche. Je l’ai suivi et je suis tombé sur… enfin, elle était là, dans ce marais, en train de se faire noyer par cette… chose, je suis arrivé juste à temps.

- À quoi ressemblait-elle ? demanda Philéas d’une voix grave.

- Philéas… commença Justine d’une voix tremblante.

- Qu’est-ce que c’était ? la coupa-t-il.

- Une forme… noire, presque humaine, je l’ai seulement vue de dos ; quand je l’ai frappée, elle s’est volatilisée, répondit Endrick, désemparé.

- Elle m’appelait, lâcha Constance en serrant un peu plus le pyjama d’Endrick. Je suis désolée, je n’ai pas pu résister, elle avait une voix si douce, et…

Elle éclata en sanglots.

- D’un seul coup, je n’arrivais plus à réfléchir, j’attendais que ce cauchemar prenne fin et que je me réveille…

- Les hupeurs, déclara Justine d’une voix faible.

- Les quoi ? demanda Ariane.

- Ce sont des oiseaux des ténèbres, ils appellent les voyageurs dans leur sommeil pour mieux les hypnotiser. Ils les entraînent jusqu’à des marais ou des lacs pour leur raconter toutes sortes d’histoires, jusqu’à ce qu’ils se métamorphosent et noient leurs victimes. Je… j’ignorais, enfin, je pensais que nous n’aurions rien à craindre, on était suffisamment éloignés des bois…

Tous restèrent silencieux face à l’expression désemparée de Justine. Philéas semblait lui lancer un regard lourd de reproches, mais Constance était trop occupée à reprendre ses esprits pour y faire attention. Elle s’arrêta soudain de pleurer, vidée de tout sentiment. Elle reprenait ses esprits, et le temps de retrouver la raison, elle ferma les yeux en tremblant.

- Mais qu’est-ce qui m’arrive… chuchota-t-elle.

- C’est fini, maintenant, la rassura Philéas.

Après avoir relevé la tête vers Endrick, elle laissa échapper un hoquet de surprise et se détacha brusquement de lui.

- Ne me touche plus jamais ! s’emporta-t-elle, bouleversée.

- Ce n’est pas de ma faute si tu trouves toujours des prétextes pour te coller à moi, la railla Endrick.

- Ne joue pas au plus malin avec moi, tu as intérêt à oublier ce que tu as vu cette nuit.

- Ou sinon ? demanda Endrick en mettant les mains dans ses poches.

- Sinon, je t’étripe, grinça-t-elle.

- Vraiment ? lâcha Endrick, indifférent.

- Ça y est, on a retrouvé la vraie Constance, pouffa Ariane.

- Quel dommage, dit Endrick en fixant Constance. Je ne pourrai plus te sauver lorsque tu risqueras ta vie dans un marais.

Honteuse, l’adolescente se retourna vivement et frotta ses yeux humides sur le chemin. Jamais elle ne s’était laissée aller de la sorte ; pleurer était une faiblesse qu’elle ne supportait pas. En revenant dans le champ où ils avaient passé la nuit, elle tomba sur Colin qui dormait toujours paisiblement.

Il est tellement étrange, songea-t-elle en s’asseyant.

Elle l’observa longuement, lui trouvant un air exténué qui aggravait son habituelle mauvaise mine. Il n’était pas comme eux, cela se voyait ; le fait qu’il fût difficilement abordable l’avait immédiatement éloigné du groupe. Cependant, son visage pur ne le rendait pas aussi détestable qu’on pourrait le penser, ni sa façon de répondre avec gentillesse.

Est-ce réellement lui le fautif ou toi qui ne veux pas lui parler ? lui souffla sa conscience.

- Constance ? émit mollement Colin en s’appuyant sur ses coudes, les yeux rouges.

Il venait de s’éveiller, et ce, juste après la tempête. Constance haussa un sourcil, méfiante. Il ne lui avait jamais adressé la parole depuis qu’ils s’étaient rencontrés.

- Ton visage, dit-il spontanément. Il a comme des… traces de boue. C’est normal ?

Constance passa une main sur sa joue craquelée, prise d’un rire nerveux. Les premières lueurs de l’aube illuminaient leurs regards amusés, ce qui ne gêna pas Constance pour la première fois depuis leur aventure ; étant rarement d’humeur à rire, elle fut elle-même étonnée d’être joyeuse et détendue de si bon matin. Peut-être était-ce le fait d’avoir échappé à la mort qui la rendait ainsi.

- C’est que… articula-t-elle.

- Elle est tombée dans un marais, l’interrompit Justine en les rejoignant avec les trois autres. C’était un accident.

Constance la remercia du regard, agréablement surprise d’être soutenue dans son embarras. Les autres ne relevèrent pas ce qui s’était passé, tous soulagés que tout allât pour le mieux.

- Et vous ? Où étiez-vous ? s’enquit Colin, peu convaincu.

- Partis en éclaireurs, répondit brièvement Endrick en se baissant pour ramasser ses affaires.

- Bon, le soleil se lève, soupira Ariane. Je suppose qu’on ne peut pas partir se recoucher.

- J’espère que nous trouverons quelqu’un sur la route, soupira Philéas.

Constance rangea son sac sans grande conviction, s’assura que rien ne lui manquait et frôla Endrick sur son passage une fois le départ lancé. Elle n’arrivait pas à se faire à l’idée qu’elle s’était retrouvée dans ses bras, pleurant toutes les larmes de son corps. Endrick tâcherait de l’embêter avec cette histoire jusqu'à la fin de leurs jours, c’était inévitable. Un peu à l’écart du groupe, les ongles dans la bouche, elle tentait de réfléchir aux moyens de se défendre ; être vulnérable face à lui était ce qu’elle redoutait le plus, étant donné qu’il avait toutes les clefs en main pour la faire craquer. Il connaissait son passé, et il n’en découdrait certainement pas avec elle tant qu’il n'aurait pas eu ce qu’il voulait. Constance enfila le pull qu’elle avait attaché autour de sa taille, pensant que son anxiété la faisait frémir. Son caladrius en profita pour se poser sur son épaule, la rassurant par sa présence.

- Vous sentez ? lança Justine, une main sur son bras. Cette température… on se rapproche des montagnes.

- Pourquoi sont-elles blanches en plein été ? fit Ariane en s’approchant d’elle, curieuse.

- Je… j’ai lu qu’une reine des glaces y avait instauré l’hiver. Bien sûr, ce n’est pas partout, seulement sur quelques monts nordiques, ceux que nous voyons actuellement ; ils entourent la vallée. On appelle cette chaîne la barrière de glace.

Justine jeta un coup d’œil à Philéas qui marchait devant elle, serrant son livre entre ses mains d’un air dépité. Il était certain qu’elle se sentait coupable et qu’elle se retenait de courir jusqu’à lui.

- Ça veut dire qu’on est encore loin ? grommela Constance.

- Je n’en sais rien… qui sait, nous sommes peut-être juste en face du mont qui mène directement à la vallée ! répondit Justine avec optimisme.

- Ne traînons pas, trancha Endrick.

Ils s’arrêtèrent à un fossé traversé par un tronc d’arbre déraciné et, sans tenir compte de la pente rude, s'enfoncèrent dans les feuilles mortes qui jonchaient le sol. Seule Ariane préféra prendre le risque de marcher en équilibre sur le frêne, l’envie brûlante de s’amuser un peu malgré les circonstances.

- Descends de là, il ne supportera pas ton poids ! s’exclama Philéas.

- Je me débrouille, regarde, dit Ariane en faisant de grands pas, les mains tendues avec grâce.

Endrick suivait sa progression avec grand intérêt, bientôt rejoint par Philéas qui la taquinait. Constance sentit ses joues s’embraser en les voyant se préoccuper autant de la jeune fille rousse.

Pourquoi tout ne tourne qu’autour d’elle ? s’irrita-t-elle.

Ariane ne tint pas longtemps en hauteur ; dérapant maladroitement, elle tomba en arrière et s’écroula sur Philéas, sa chute n’ayant heureusement rien de grave. Les deux adolescents rirent, l’un sur le dos, les cheveux couverts de feuilles, l’autre assise sur son ventre, riant aux éclats. Endrick les sépara en leur intimant d’accélérer, un sourire aux lèvres ; Ariane passa une main entre les mèches de Philéas, enroula un bras autour du sien et remonta la pente avec lui. Le silence retomba rapidement entre les adolescents. Leur moral faiblissait, car ils n'apercevaient aucun signe de vie. Ce ne fut qu’une fois sortis de la forêt qu’un homme leur passa devant, tirant avec difficulté une étrange créature.

- Monsieur ! l’interpella Philéas.

Il lâcha Ariane et se dirigea vers lui, faisant signe à Justine de le suivre. Étonnée, celle-ci se fraya un passage entre les adolescents et le rejoignit calmement sous le regard curieux de Constance.

- Auriez-vous l’amabilité de nous dire où nous nous trouvons ? demanda l’Asiatique. Nous sommes perdus.

L'inconnu se gratta la nuque, sceptique.

- Qui êtes-vous ? Quelle drôle d'apparence.

- C'est Osmond qui nous envoie. Nous cherchons la vallée, monsieur, répondit Philéas.

- Vos oiseaux... tous réunis... marmonna l'homme, de plus en plus décontenancé. Vous ne viendriez pas de l'extérieur ?

- En effet. Nous sommes bien les arrivants que vous nommez "les Six", confirma Justine.

L'homme passa une main sous sa casquette gavroche :

- Je rêve, c'est impossible autrement.

- Pouvez-vous nous indiquer le chemin ? insista Philéas.

- Bien sûr, pardonnez-moi. Ici, vous vous trouvez en terres maudites, vous êtes encore loin de la vallée. Il vous suffit de rejoindre Brumefranche, le village au sommet du plus petit mont que vous voyez face à nous. Il n'y a qu'ici que vous trouverez un refuge en attendant de pouvoir atteindre la vallée.

- Merci infiniment. Nous ne savions où aller, la barrière de glace est si longue... soupira Justine.

- Elle est censée protéger la vallée. Malheureusement, les oiseaux des ténèbres ont gagné du terrain, expliqua l'homme.

- Nous n'avons rencontré personne jusqu'à présent... nota Philéas.

- Cela n'est point étonnant, plus personne ne vit ici. Ces terres ont été désertées depuis que les compagnons de l'echezac s'y sont installés. Je suis surpris que vous ne vous soyez pas fait attaquer, voire tuer. Vos oiseaux vous ont certainement bien protégés.

- Où allez vous, dans ce cas ? s'étonna Justine.

- Je voulais vendre cette bête au marché de Brumefranche, mais elle s'est enfuie en route, grommela l'homme. J'en ai une deuxième à retrouver, si vous voulez bien m'excuser...

Le paysan abaissa son couvre-chef en guise de salut avant de continuer son chemin.

- Au revoir et encore merci ! lança Philéas avec un grand sourire.

- C’est celui-là ! s’écria Justine en courant vers le reste de la bande, le doigt pointé vers un mont enneigé. On doit le traverser avant de trouver la vallée !

Ils se mirent en marche sans plus tarder, arrivant au pied de la petite montagne qu’ils devaient franchir. Le ventre de Constance gargouillait de faim, mais elle réussit à calmer ses envies de nourriture en sachant pertinemment qu’il n’y avait rien à manger aux alentours. Philéas leur proposa de faire une pause le temps de mettre des habits chauds et de discuter de la situation.

- Je suis sûre que ce mont surplombe la vallée, déclara Justine, son souffle faisant de la fumée.

- J’ai hâte d’y être, dit Ariane en tendant une main vers Flamme qui volait autour d’elle, excitée.

Enveloppée d’un pull et d’une veste, Constance enfila une paire de collants assez chauds sous sa robe pour éviter d’avoir les jambes gelées.

- Tu vas rester comme ça ? s’étonna-t-elle en voyant qu’Ariane ne protégeait pas le bas de son corps.

- Je… je n’ai pas pensé à prendre de collants, avoua-t-elle, gênée.

Constance hésita.

- J’en ai plusieurs, si tu veux…

- Oh, merci !

- … seulement si tu ne les files pas, acheva durement Constance.

- Toi et l’apparence physique, alors, gronda Endrick avec lassitude.

- Ignore-le, sourit Ariane en la voyant ouvrir la bouche pour se défendre. Merci beaucoup.

À peine quittèrent-ils la plaine pour emprunter un chemin onduleux et étroit qu’une fine pluie de flocons voila le paysage. Constance rabattit la capuche de sa veste sur sa tête, regrettant amèrement le beau temps en France. Elle oublia le froid qui la rongeait et tenta de se concentrer sur sa marche. Cependant, deux bonnes heures passèrent, et la jeune fille crut qu’elle ne verrait jamais la fin de ce voyage ; les doigts rougis fourrés dans les poches, le nez plissé, elle avançait péniblement dans la neige aux côtés de ses compagnons. Elle avait l’impression que le vent glacial était dû à la hauteur qu'ils avaient prise ; il lui arrachait de nombreuses larmes tant il lui fouettait au visage. Jetant un œil aux autres, elle vit au visage pâle de Colin et aux cheveux enneigés d’Endrick qui baissait la tête qu’elle n’était pas la seule à souffrir. Alors qu’elle levait sa jambe aussi lourde que du plomb pour entamer un autre pas en avant, un grondement au loin la figea sur place.

- Qu’est-ce que c’était ? s’inquiéta Ariane, le nez plongé dans son écharpe verte qui se mariait avec ses boucles rousses.

- On aurait dit de l’orage, articula Justine.

Constance ne put ajouter un mot, les lèvres scellées par le froid. Un autre grondement, plus fort cette fois, éclata à leurs oreilles. La neige redoubla d’intensité, un brouillard opaque tombant rapidement au point de les aveugler.

- Donnons-nous la main, vite ! cria Philéas à travers le bruit de la tempête furieuse.

Constance chercha hasardeusement un bras à attraper, intériorisant sa panique avec difficulté. N’arrivant plus à traîner sa grosse valise à roulettes derrière elle, elle hésita à la soulever avant de se rendre compte qu’elle n’avait plus de forces. Elle en sortit son lisseur et l’enfouit dans la petite sacoche qui pendait à son épaule avant de la refermer d’une main agitée. À contrecœur, elle abandonna sa précieuse valise à son sort, avança jusqu’à frôler une main tendue et s’arrêta afin de vérifier ce qu’elle avait senti, tremblante.

- Je suis là ! s’époumona-t-elle.

- Constance, c’est toi ?

Elle s’accrocha à la silhouette près d’elle, soulagée.

- Oui, Justine, c’est moi. Où sont les autres ?

- J’ai trouvé Ariane ! lança Endrick à côté d’elles.

- C’est plutôt moi qui t’ai trouvé, rétorqua celle-ci.

- Où est Philéas ? demanda la voix de Colin.

Un long silence accueillit sa phrase, pesant au cœur de Constance. Pourquoi n’était-il pas auprès d’eux ? Ariane hurla son nom plusieurs fois jusqu’à obtenir une réponse.

- Ici, j’arrive ! Je voulais vérifier quelque chose.

- Tu es fou ! Et si tu t’étais perdu ? s’éleva la voix d’Ariane, à cran.

Peu habitué à la voir en colère, Philéas la calma d’une voix douce avant de rassurer tout le monde :

- J’ai cru voir le toit d’une maison. Il va falloir que vous teniez, ce n’est plus très loin.

- Allons-y vite, alors, dit Endrick en passant une main sur son front, convulsif. Je n’en peux plus.

- En espérant qu’ils veuillent bien nous ouvrir leur porte, marmonna Constance.

Philéas soupira.

- Ne désespérez pas. Ne lâchez surtout pas la main de celui qui est avec vous et référez-vous au son de ma voix, d’accord ?

- Il ne peut rien nous arriver de pire, de toutes façons… tenta de les rassurer Endrick.

Suite à sa phrase, un éclair se refléta sur la neige, sa luminosité éblouissant les adolescents. Le vent, plus puissant que jamais, les fit tous reculer d’un pas, la moitié des bagages posés à terre s’envolant sous la pression. Une explosion s’ensuivit, effrayant Constance qui s’accroupit. Edelweiss, son caladrius, se posa à ses côtés, vacillant ; la jeune fille le pressa contre sa poitrine, les larmes aux yeux. Tous ses sacs y étaient passés.

- Tu disais ? maugréa Ariane.

- C’est bien ce que je pensais, nous sommes au cœur d’un orage de neige, déclara Justine en levant les yeux vers Pia qui s’était posé sur sa tête. Si on ne part pas maintenant, c’en est fini pour nous ; on est les seuls pics susceptibles d’attirer la foudre sur ce terrain. Vite !

- Relève-toi, Constance, je t’en prie ! hurla Ariane qui lui tenait l’autre main.

Elle ne se fit pas prier deux fois, lançant un dernier regard en arrière avec amertume. Le groupe s’élança péniblement dans la brume givrante sous les paroles encourageantes de Philéas, luttant contre les bourrasques impitoyables.

- Essayez de vous pencher le plus possible en courant ! leur intima Justine.

Tous obéirent, brisés par le froid et la terreur. Devant eux se dressait un bâtiment qu’ils atteignirent avec peine, les mollets enfoncés dans la haute couche de neige. Philéas frappa faiblement à la porte en bois, les épaules crispées.

- Je vois de la lumière, chuchota-t-il.

Une détonation sonore retentit au moment où la porte s’ouvrit, un homme d’une quarantaine d’années à la mâchoire contractée examinant les adolescents depuis le palier. À la fois méfiant et stupéfait, il demanda sans une seule once de compassion :

- Qui êtes-vous ? Que venez-vous faire ici par un temps pareil ?

- S’il vous plaît, on… on n’a pas d’abri pour la nuit et l’orage nous a surpris, répondit Philéas, engourdi. Pourriez-vous nous héberger quelques heures le temps de nous reposer ?

Une pipe dans la bouche, l’homme s’appuya contre le rebord et marmonna :

- Vous n’êtes pas des voleurs, au moins ?

- Mes jambes, chuchota la voix de Colin derrière Constance.

- Quoi, tes jambes ? s’enquit Justine alors que Philéas s’expliquait tant bien que mal.

- Je… je ne les sens plus.

- Courage, Colin, lui souffla-t-elle.

Un bruit sourd s'étouffant au contact de la neige interrompit la discussion entre le jeune homme et Philas ; inerte sur le sol, la respiration anormale et le visage enfoncé dans l’épaisse couche blanche, le jeune garçon blond venait de perdre connaissance.

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