Le sang
Des flashs. J'ouvre doucement les yeux. J'ai l'impression de reprendre conscience. J'observe mes mains. Elles tremblent, mais surtout, elles sont pleines de sang. Mon deuxième meurtre ? Enfin ? Après tout ce temps ? Mais je n'ai rien travaillé... Je ne me serais pas permise d'effectuer un meurtre sans n'avoir rien prévu. Je regarde autour de moi, observe la scène pour trouver des indices. Pourquoi ? Qui ? Où ? La première chose que je remarque, c'est que je suis dans ma salle de bain. Plus très propre, certes, mais c'est bel et bien ma salle de bain. Elle est en désordre et il y a des traces de sang çà et là. J'ai dû faire une sorte de black-out... Dommage. Je n'aurai pas pu profiter de la satisfaction de voir le regard de ma victime s'éteindre. Je n'avais pas pu voir la terreur dans les yeux de mon ex, j'aurais bien aimé voir à quoi ressemblait un vrai meurtre. Une chute dans les escaliers, ça n'était pas spectaculaire. Ici, vu la quantité de sang, ça devait être tout autre chose. Qu'est-ce qui m'a pris pour que j'oublie ce qui s'est passé ?
Je retrace le chemin. Je pose un pied au sol pour avancer et... m'effondre. Merde ! Je tremble encore, je ne tiens même pas debout. Je suis blessée ? Je regarde dans le miroir et constate une belle bosse sur la tête. J'ai aussi un peu mal aux côtes. Ca ne justifie pas que je perde l'équilibre ainsi. Le choc ? Non, impossible. Je n'avais ressenti que du soulagement mélangé à une douce excitation de mon premier meurtre. Pourquoi serait-ce différent cette fois ? J'aurai été si violente ? Stoppe les questions. Je cherche des réponses.
Je me rends dans le couloir. Contre le mur, je trouve ce qui m'a assisté dans mon meurtre : un chandelier. Sérieusement ? Le colonel Moutarde dans le salon avec le chandelier s'il-vous-plaît ! Je ne peux m'empêcher de rire. Je m'approche et le prends entre mes mains. Du sang s'écoule des branches. Il était si beau, je ne sais pas si le sang est facile à nettoyer. J'espère que oui, je tiens vraiment à ce chandelier, il embellit ma table. Bon, il se trouve près des escaliers et je vois quelques gouttes sur les marches. Je descends donc et continue mon enquête.
Les traces me mènent jusqu'à la cuisine, derrière le comptoir. Enfin, je vais pouvoir comprendre. Je passe le comptoir, mais ce que j'y vois me tétanise. Mes lèvres laissent échapper un cri que je recouvre immédiatement de mes mains. Des larmes dévalent mes joues sans que je ne puisse les arrêter. Je pleure à chaudes larmes et m'écroule au sol. Mes jambes ne me tiennent plus, la gravité me semble trois fois plus puissante. Je hurle derrière mes mains. Je me souviens...
- Tu n'es qu'un monstre...
- Maman...
Je me retourne vers la voix tremblante. Celle de mon fils. Qu'est-ce qu'il fait là ? Il continue en pointant quelque chose du doigt juste à mes pieds.
- J'ai oublié ma sacoche...
Je lui souris, m'accroupis et attrape la sangle avant de lui tendre son sac.
- Tiens, mon chéri.
Il ne fait aucun geste. Mon ex s'exprime, ou la petite voix dans ma tête:
- Il sait.
Mon corps se tend. Mon fils attrape sa sacoche avec hésitation.
- Papa... Papa n'était pas violent ?
Je ris nerveusement.
Je l'ai invité ici... Pour qu'on discute de tout ça, pour lui dire qu'il avait mal compris... ça ne s'est pas passé comme je l'avais prévu.
- Alors tu as menti à tout le monde ?
- Je n'avais pas le choix. Nous n'aurions pas eu une belle vie !
Subjugué, il ne dit plus rien. Un long silence s'installe entre nous durant ce qui me semble être une éternité. Finalement, il se lève.
- Je vais m'en aller.
Hésitante, je me lève à a sa suite et lui demande à demi-voix :
- Tu n'en parleras à personne hein ?
Mais il hésite. Je le vois. Il baisse le regard.
- Chéri... Tu ne ferais pas ça ?
Encore un silence. Puis il me répond finalement :
- Je n'ai pas le choix, je veux rétablir la vérité. Il n'avait pas à subir ça ! Et il ne mérite pas la réputation que tu lui as donnée !
Mon coeur s'enveloppe de rage. Mon fils ne peut pas me trahir, il ne peut pas me faire ça. Je pensais qu'il comprendrait. C'est mon fils. Il devrait être comme moi ! Pourquoi n'est-il pas comme moi ? Pourquoi ne veut-il pas accepter que tuer est parfois ce qui nous permet d'avancer et de vivre ? Vraiment vivre ! Et pas seulement attendre que la vie nous offre son argent. Il faut se battre pour vivre. Il faut tuer pour vivre !
Dans un réflexe je prends l'objet le plus proche, le chandelier qui trône fièrement au centre de ma table. Il m'appelle. Je n'ai pas le choix. Je l'attrape et balance le premier coup.
- Arrête !
Il esquive, et tente même de se défendre. Ahah, le pauvre petit. Il n'a aucune chance. Je serre l'objet si fort que mes ongles plantent ma peau, que je sens la circulation sanguine qui se coupe. Je balance l'objet dans tous les sens. Mon bras dans un grand geste frappe le premier coup. Il crie de douleur. Il me parle, paniqué, mais je n'entends plus. Je n'ai pas réussi à cacher toutes ces années ce qui s'est réellement passé pour que ce morveux gâche tout ! Il m'envoie cependant un coup de coude bien envoyé sur la tête. Je ferme les yeux quelques secondes, il en profite pour s'enfuir. Mais je suis plus vive. Le chandelier toujours en main, je frappe et l'atteins une seconde fois. Le sang s'écoule le long de son crâne. Il ne se laisse pas faire et m'envoie un autre coup dans les côtes. Douloureux, mais il n'a pas frappé assez fort. Il tente de fuir derrière le comptoir. Mauvaise idée, il ne pourra plus s'échapper, il s'est coincé. Je ne l'entends pas parler, je ne vois que ses lèvres bouger. Je l'entends cependant crier lorsque le chandelier frappe son crâne. Il tombe à terre. Je serre de plus en plus l'objet entre mes doigts. Ma respiration est puissante, mes muscles tendus. Mon rythme cardiaque a considérablement augmenté.
- Tu vas mourir ! Tu vas mourir, comme ton géniteur et tu vas bientôt le rejoindre !
Effondré au sol, je ne cesse de frapper, encore et encore. Je frappe, mais je n'entends plus. Je frappe, mais ne vois plus. Je suis prise de vertige. Puis, le black-out.
J'ai tué mon fils. J'ai tué mon fils. La cuisine. Les couteaux. Je les observe. Peut-être la vraie vie se déroule-t-elle après la mort ? J'attrape une lame, tremblante. Je ne pense plus à rien. Je vois toujours au sol le cadavre de mon fils. Je me souviens maintenant. Le sang qui giclait de son crâne, le bruit des os qui s'écrasait sous l'objet, les cris de douleur, les pleurs implorants... Je ne pourrais jamais effacer ça. Je suis un monstre.
Mes yeux fixent la lame. Et si je partais moi aussi ? J'aime la vie. J'aime ce qu'elle m'a offert. J'aime tuer, mais je n'aime pas le fait que j'ai tué mon fils. Une punition de l'univers ? J'étais folle de rage. Je n'étais plus maîtresse de moi-même. L'univers m'aurait puni ? M'aurait-il contrôlé pour m'enlever ce que j'avais de plus cher ? Je ne sais pas... J'aime la vie, mais j'ai toujours côtoyer la mort. Après tout, elles se complètent. L'une n'existe pas sans l'autre. Et au fond, peut-être la mort est-elle une autre vie. J'observe mon reflet dans la lame brillante et scintillante.
J'aime la vie.
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