Acceptation

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Au matin, Mathilde s'était contemplée dans la glace. Même en s'admirant quotidiennement, elle ne remarquait pas la lente et régulière dégénérescence de son corps. La constatation des dégâts se produisait à intervalle régulier, certains matins, un douloureux bilan. Une phase de déni, suivie d'une période de colère précédait l'acceptation de son état. Après quelques semaines, elle finissait par tolérer la nouvelle chute de ses seins. Même si, sous la frustration, elle les poussait vers le haut, pour leur signifier qu'ils ne prenaient pas la bonne direction, cela ne s'améliorait pas. Pour dépasser ce traumatisme chronique, elle s'était entouré d'une équipe de choc : un psychiatre, un psychologue et une amie fidèle, Lucie. Car, malheureusement, sa mère, sa seule famille, vivait à plusieurs centaines de kilomètres de chez elle. L'amitié de Lucie lui était précieuse. Toutefois, depuis que cette dernière avait rencontré Jean-Marc, elle paraissait moins attentive à l'expression des angoisses de Mathilde. Lucie avait modifié son corps grâce aux finances notables de son nouvel amant. De manière générale, la présence de Lucie se faisait plus rare. Leur café hebdomadaire restait pourtant une bouffée d'air fraîche agréable. Ce jour-là, Mathilde entama sa pathétique et désespérante litanie, malgré une impatience visible de Lucie :

— Lucie, je me sens seule ...

— Tu m'as déjà dit ça la semaine passée, dit-elle sèchement.

— Je sais ... Tu vas me dire que je suis encore une belle femme et qu'un homme finira par le remarquer ...

— Ce n'est pas ce que j'allais te dire.

— Je sais ... tu es toujours là pour moi.

— Non, je vais être honnête avec toi ... T'as quarante ans, ton cul s'élargit de plusieurs centimètres tous les mois. Tes rides commencent à ressembler aux tranchées de 14-18. Tu aurais besoin d'un ravalement de façade complet. Donc oui, partie comme tu l'es, tu as de grandes chances de finir ta vie seule. Donc si tu ne veux pas que ça arrive, j'espères que tu as de bonnes économies, un joli matelas où aller piocher. Parce que tu n'as qu'une seule porte de sortie : payes-toi une liposuccion, un lifting et prends un abonnement à la salle de sport. Parce que si tu continues à me déballer ta misère sentimentale chaque semaine, non seulement tu n'auras pas de compagnon, mais je disparaîtrai de ta vie. Et je ne viendrai pas te rendre visite à l'hôpital pour te remonter le moral après tes nombreuses tentatives de suicides.

Il fallut quelques minutes pour Mathilde pour intégrer cette tirade qui avait le mérite de la sincérité :

— J'apprécie ta franchise Lucie, mais je suis une romantique et ce que tu me proposes n'a rien de romantique. La vie n'est pas une compétition de beauté.

— Le romantisme était une période du XIXème siècle. Aujourd'hui, c'est le temps de la réussite, regardes autour de toi ! Les gens respirent la réussite, pas la déprime. Ressaisis-toi ! Tu t'éloignes de la société ! Je te dis ça parce que je suis ton amie.

— Ma psychologue ne m'a jamais dit ça.

— Tu sais pourquoi ? Parce qu'elle utilise TON argent pour dégraisser SON cul à elle. Et est-ce qu'elle te donne des solutions au moins, contre la solitude, le célibat ?

— Elle me dit que c'est à moi de trouver les solutions ...

— J'espères que tu ne la paye pas trop cher pour entendre ce genre de réponses. Avant de rencontrer Jean-Marc je me disais la même chose face à mon miroir, et gratuitement. Bon, je dois te laisser, Jean-Marc m'emmène au restaurant ce soir.

— D'accord ...

— Prends soin de toi.

— Oui, bien sûr.

Lucie avait raison. Elle se trouvait en décalage avec le monde dans lequel elle vivait. Elle devait s'en aller. Si elle avait eu cinq ans de moins, elle aurait pris son baluchon et aurait sans doute voyagée à travers le monde, pour se retrouver. Mais elle n'avait plus la force de la jeunesse et sa bourse ne contenait plus rien. Alors, elle s'arrêta devant les rails de chemin de fer et choisit la seule voie qui s'offrait à elle. Elle attendit le train. Courageuse, elle fit un pas en avant. Elle venait de réaliser que peu de chose la raccrochait à l'univers.

Il restait pourtant une personne. C'est pour cela qu'elle monta dans le train pour rejoindre sa mère.

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