Chapitre 6 (1/4)

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Une centaine de mètres sous la surface courrait une partie du grand réseau de cavernes aménagées, salles et galeries qui constituaient la cité-souterraine d’Agrisa. Au cœur de son troisième sous-sol, les murs effrités et fissurés par endroits, montraient bien la grande vétusté des lieux.

Ces mêmes endroits se trouvaient à quelques emplacements ornés de fresques en bas-relief, parfois finement détaillées et étonnamment bien conservées. Après maintes études, les érudits des Grandes archives avaient établi qu'elles illustraient divers épisodes de la vie quotidienne. Dans les plus grandes salles, elles dépeignaient des événements plus importants, voire historiques pour l'époque. Un témoignage unique, et en grande partie encore intact, des temps passés de l’antique cité.

Les flambeaux éclairaient mal les murs, projetant leur lumière inégalement sur les parois de pierre blanche. Les courants d'air froid qui passaient dans certains couloirs faisaient vaciller les flammes des torches, menaçant parfois de les éteindre. L'ambiance qui y régnait demeurait oppressante par endroits, contrastant avec la beauté silencieuse des lieux.

Ce climat sordide n'empêchait guère les malfrats de cette ville d'y mener à bien leurs affaires, s'en servant depuis toujours comme d'une plate-forme de transit. Avec le port à proximité et l'aide des Grandes archives, les contrebandiers, dont les Noirelames, avaient fini par obtenir un monopole sur le réseau de galeries souterraines. Elles reliaient l'intérieur de la cité à l'extérieur et permettaient le passage des marchandises illégales de façon simple et efficace.

Garance et Sérion avançaient dans les souterrains depuis maintenant une dizaine de minutes quand ils firent face à une bifurcation. Sérion passa en premier, suivi de près par sa collègue. Ils empruntèrent le couloir de gauche.

— Deux cimetières en moins de vingt-quatre heures... Je commence à en avoir plus qu'assez des cimetières. J'ai eu ma dose pour ce mois-ci avec les trois autres imbéciles.

— Tu préfères peut-être la vieille cave poussiéreuse de la banque des frères Laurentois ? lui demanda-t-il le sourire aux lèvres.

— Ah non ! Tout sauf ces deux idiots. Bien que... Après réflexion, rester à patrouiller dans le troisième sous-sol ne m'aurait pas déplu.

Sérion se tourna vers elle. Il était rare que Garance insiste autant sur un tel sujet à moins d'une bonne raison. Son ton se fit plus sérieux.

— Le quatrième t'effraie tant que cela ?

— Ce n'est pas de la peur que j'éprouve mais plutôt de...l'inconfort. (Elle soupira.) En particulier quand nous nous rapprochons du cinquième sous-sol et des profondeurs d'Agrisa. Il y a quelque chose qui me met mal à l'aise là-bas...

Malheureusement pour Garance, l'elfe ne voyait toujours pas où elle voulait en venir. Les sensations qu'elle décrivait lui étaient demeurées étrangères, comme à Walther et à Morga.

— Garance, les trois derniers niveaux sont les trois parties d'Agrisa à avoir été quasiment englouties par les Abysses. N'importe qui serait mal à l'aise par là-bas, même moi.

La jeune femme serra ses poings. Pourquoi ne comprenait-il pas ?

— Ce n'est pas ce que je... (Elle soupira de dépit.) Laisse-tomber... J'ai compris... A t'entendre, c'est moi qui délire...

Cette dernière remarque sonna comme un reproche.

Seul le quatrième sous-sol inquiétait Garance, pas le troisième. Plus ils allaient bas et plus elle se sentait mal. Elle était pourtant loin d'être claustrophobe mais... Et si ce qu'elle disait était vrai ? Après tout, cela faisait près d'un mois qu'il n'était pas retourné près de l'entrée du cinquième niveau. Quelque chose avait peut-être effectivement changé en son absence mais cela demeurait tout de même étrange. Les Abysses ne s’étaient pas remanifestées depuis des siècles.

Il verrait plus tard ce qu'il en serait réellement. Sérion sentit néanmoins qu'il avait involontairement blessé son amie par ses propos.

— Garance, je...

— Ce n’est pas grave. Laisse tomber. Contentons-nous plutôt de finir ce pour quoi nous sommes venus.

Garance passa devant lui sans le regarder. Sérion soupira et la suivit. Il trouverait une occasion de s'excuser à un autre moment, une fois son agacement retombé.

— Où les Noirelames ont-ils dit avoir été attaqués par les spectres ? demanda Garance, le ton moins sec.

Son collègue hésita quelques secondes ; la réponse n'allait pas lui plaire

— Ils provenaient de l'escalier qui débouche à quelques galeries de l'entrée du cinquième sous-sol.

— Merveilleux..., répondit-elle en soupirant.

Garance n'était en effet pas des plus enjouée. Elle savait qu'ils faisaient route vers le quatrième sous-sol mais elle n'avait pas véritablement anticipé la zone précise, ni même demandé plus de précisions à Walther. De tous les endroits auxquels ils auraient pu accéder de là où ils se trouvaient, il fallait qu'il s'agisse de celui-ci.

Sérion s’avança à la hauteur de Garance et se cala sur son pas. Ils débouchèrent dans une nouvelle galerie, un peu plus grande que celle qu'ils quittaient.

— Walther m'a dit que deux Noirelames étaient censés nous indiquer plus précisément les lieux. Ils devraient se trouver plus loin, dans cette direction.

Au fond du couloir se trouvait un nouveau croisement. Sur les instructions de l’elfe, ils prirent le chemin de droite.

A partir de là, les galeries se firent beaucoup plus sombres, les torches allumées devenant rares. Garance réactiva son sortilège de vision nocturne. Sérion n’en eut aucunement besoin, les elfes étant nyctalopes.

Le duo atterrit dans une petite salle où il surprit sans le vouloir les deux contrebandiers qui les attendaient, une torche à la main. L'un des deux tira son épée courte hors de son fourreau et se tourna dans leur direction. Le second se tourna sans précipitation vers les nouveaux arrivants.

— Halte ! Qui va là !?

— Range-donc ton arme, tu vois pas qu'il s'agit de la Légion ?!

— T'en es sûr ?

— Bien sûr que oui, abruti. Tu penses vraiment que les gardes de la cité iraient aussi loin dans les souterrains sans se perdre ? Ils y foutent jamais les pieds.

— Euh... T'as pas tort là, lui répondit-il tout en rangeant son arme.

Garance haussa un sourcil.

— Eh bien, quel accueil.

— Nous en voulez pas, on est toujours un peu à cran quand on s'éloigne des deux premiers sous-sols, même si on sait pertinemment que le troisième est devenu un peu plus sûr que par le passé.

Garance et Sérion s’avancèrent calmement vers eux. Ils ne s'étaient pas alarmés de leur réaction. Les hommes qui seraient leurs guides prirent le temps de se présenter.

— Vous pouvez m’appeler James. Et l'autre idiot de demi-elfe, c'est Sigebert, expliqua rapidement l'homme à la torche.

Les deux chevaliers se contentèrent d’acquiescer de la tête.

— Suivez-nous, c'est à quelques galeries d'ici, leur dit James tout en indiquant le chemin de sa tête.

Il ouvrit la marche, talonné par son camarade. Garance suivait derrière avec Sérion à ses côtés.

Après deux courtes minutes de silence, James expliqua le contexte de l'attaque de leurs camarades.

— Depuis qu'on a commencé à investir le troisième sous-sol, on utilise fréquemment ce passage pour accéder à la zone de stockage près du port. Nos camarades se sont fait surprendre à la frontière du troisième et quatrième. C'est la première fois que ces créatures viennent aussi près de la surface.

— Cela est en effet surprenant. Les catacombes d'Agrisa se situent plus au nord dans le quatrième et ces revenants s'éloignent rarement aussi loin de leur sépulture. Qu'est-ce qui les a poussés à venir jusqu'ici ? s’étonna Garance.

— Qu'importe... Pour le moment, contentons-nous de les trouver et de les détruire. Nous aurons tous le temps de réfléchir au pourquoi plus tard.

Le groupe bifurqua à gauche dans une salle voûtée au plafond soutenu par de simples colonnes. De nombreux rats grouillaient le long de certains murs. Ils s'enfuirent aussitôt que le groupe s'approcha d'eux.

— Nous sommes presque arrivés.

Après avoir traversé la première salle, le groupe descendit un escalier en pierre qui débouchait sur une pièce deux fois plus grande que la précédente. Des piles de caisses et barils couverts de poussière et de toiles d'araignées étaient disposées le long des murs. Au centre de la pièce, un vieux lustre pendait dangereusement du plafond juste au-dessus d’une table en érable entourée de trois caisses servant de chaises. Un chandelier en fer recouvert de cire froide et de toiles d'araignées se trouvait être la seule décoration. L'endroit n'avait pas servi depuis longtemps.

— Ils sont sortis sans prévenir par l'escalier là-bas. Allez-y. Hors de question que je m'approche plus du fond de cette salle. Oh, et faites pas attention aux macchabées ou aux marchandises près du passage. On récupérera tout ça une fois qu'il n'y aura plus de problèmes.

Sérion fut le premier à s'avancer en direction de l'endroit indiqué par les contrebandiers. Garance commença à le suivre mais s'arrêta l'instant même où elle entendit ce que Sigebert chuchota maladroitement à son comparse.

— Et s'ils finissent comme les autres fous ? Tu sais là, ceux qui sont partis jouer aux explorateurs.

— C'est pas...

— Les autres fous ?

Leur faisant face, elle les interrogea du regard. Ils venaient de piquer sa curiosité. A quelques mètres d'elle, Sérion fit de même, ayant entendu sans grande difficulté ce qu'il venait de s'être dit. Au même titre que le reste de leurs collègues, ils avaient pris l'habitude d'être attentifs à tout ce que les contrebandiers avec lesquels ils travaillaient pourraient avoir à dire concernant les événements se déroulant au sein des souterrains.

La question de Garance avait surpris les deux hommes mais James ne sembla pas éprouver de réels soucis à lui conter rapidement cette histoire.

— Oh, c'est rien d'bien méchant. Juste une bande de nains un peu sonnés qui sont allés jouer aux explorateurs dans les souterrains. Ils sont partis y’a deux semaines environ. Sur les quatre qui sont descendus, on en a retrouvé qu'un. Il était dans un sale état, le bougre. Il est mort trois jours plus tard de ses blessures. Pendant le temps où il agonisait, il a déblatéré tout un tas d'idioties à propos de... (Il rit.)

— A propos de quoi ?

— Cet idiot... Il nous a parlé de squelettes humains déformés qui se déplaçait à quatre pattes comme des animaux, et même sur les murs, comme des araignées qu'il disait. Il a aussi parlé d’ombres murmurantes et je ne sais plus trop quoi d’mort qui chantait. Il a aussi affirmé avoir entendu quelqu'un lui parler et se moquer tout le temps dans son dos mais il n'y avait personne. Le pauvre... Il délirait totalement. Bah, il était sous l'emprise de la fièvre après tout.

— Pourquoi pas des squelettes danseurs tant qu'on y est, finit par lâcher Sigebert en riant.

Cette réponse déplut grandement à Garance, contrairement aux deux hommes qui s'esclaffaient en face d'elle. La mage tâcha cependant de garder son expression la plus neutre possible. Il serait malvenu que son inquiétude puisse se lire sur son visage, cela paraîtrait suspect. Elle s'adressa de nouveau à eux avec l'intention d'en savoir plus.

— Dans quelle partie des souterrains sont-ils allés ?

— Le cinquième, je crois. Mais il ne reste plus rien là-bas, à par les morts bien-sûr. Tout a été pillé les siècles passés et c'est à cause de ça que ces foutus squelettes pullulent dans le coin. Ils sont pas content que quelqu'un leur ait fait les poches.

Ils continuèrent de ricaner.

— Je vois. Une belle bande d'inconscients pour résumer. Et une histoire des plus farfelues. Nous en aurions entendu parler si de telles créatures existaient, leur répondit-elle en souriant, d’un air faussement plaisantin.

Derrière elle, Sérion n'avait ni ri, ni sourit une seule fois. Il n'avait pas non plus estimé nécessaire de changer d'expression comme sa collègue, l'obscurité de la pièce masquant parfaitement son visage. Sans parler que ce demi-elfe ventripotent ne lui prêtait guère d’attention. Il continua de tendre attentivement l'oreille.

— On se disaient la même chose. Si c'était le cas, ça fait un bout de temps que vous seriez venus faire le ménage, pas vrai ?

— En effet.

— Il y en a toujours des imbéciles qui veulent tenter leur chance plus bas. On a beau leur dire qu'il reste plus rien, ils nous écoutent jamais, finit Sigebert.

Cela ne surprit guère les deux chevaliers. De nombreuses personnes avaient l'inconscience de s'aventurer dans les profondeurs des souterrains en espérant y tirer une quelconque fortune. Cela était particulièrement vrai parmi les miséreux de la cité à qui l'on faisait miroiter de juteuses récompenses en échange de leurs services. S'aventurant dans des zones parfois méconnues, peu en revenaient.

Sérion coupa court à la conversation.

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