Chapitre 7 (2/4)

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— Mais je...je voulais pas qu'il parte...

— Et pourquoi donc ?

— Le monsieur…Il me faisait peur... J'aimais pas son regard.

— Et qu'est-ce que tu n'aimais pas dans son regard ?

— C'était un humain pour sûr, exactement comme vous mam'zelle mais ses yeux... ils étaient pas normaux... ils étaient tout blancs...

— Des yeux blancs ? Depuis quand les humains ont-ils les yeux blancs ? dit-elle surprise, tout en se rapprochant de Sérion et Dacien.

La question de sa collègue était pertinente. Même chez les utilisateurs de magie, Sérion n'avait jamais entendu parler de qui que ce soit avec des yeux blancs.

Garance posa alors une nouvelle question.

— Tu es sûr qu'il s'agissait d'un humain ?

— Oui, mam'zelle... Il y avait pas beaucoup de lumière alors... Mais il avait pas d'oreilles pointues et il était très grand et...et il avait des cheveux sombres.

— Tu te souviens de comment il était habillé ?

— Euh... Il...il avait un grand et long manteau marron...qui lui couvrait tout l'corps... Désolé...c'est tout ce dont je me souviens...

— Merci à toi, c'est déjà beaucoup, lui dit Sérion tout en souriant.

Dacien était quelque peu troublé.

— Pourquoi vous me posez ces questions ? Vous pensez que le monsieur est pourquoi mon papa est pas rentré ?

— Nous n'en savons rien et cela n'a peut-être aucun rapport.

— Mais...mais...

Sérion se redressa tandis que Dacien se remettait à pleurer de plus belle. Dans la seconde qui suivit, le garçon s'agrippa au bas de sa veste en cuir.

— S'il vous plait, retrouvez mon papa... Vous êtes des Chevaliers noirs, hein ? ... Alors s'il vous plait, retrouvez-le... Je vous en supplie... J'vous donnerais tout ce qu'il me reste... Pitié...

Il éclata en gros sanglots et se refusa encore plus à relâcher sa prise sur le vêtement de l'elfe. Au même moment, la porte du sanctuaire s'ouvrit. Deux prêtresses en sortirent, vêtues d'une épaisse robe noire décorée de motifs de chrysanthème, d’œillet blanc et de lierre dans des tons de violet et blanc. Leurs tête et cou étaient délicatement enveloppés d'un voile noir transparent brodé de dessins similaires à ceux de leur robe. Leurs cheveux, que l’on voyait aisément aux travers, étaient attachés en un simple chignon bas.

Ces prêtresses avaient entendu des pleurs et étaient sorties afin de voir si quelqu'un ne nécessitait pas leur aide. Il n'était pas rare que certains habitants viennent frapper à la porte du temple, ne serait-ce que pour discuter. Béatrix, la plus âgée des deux fut la première à réagir.

— Dacien !

Sérion entendit la voix de la prêtresse mais ne releva pas la tête dans sa direction. Il était bien trop occupé à essayer d'apaiser l'enfant. Garance avait souhaité lui venir en aide mais l'elfe lui avait demandé de ne pas intervenir d'un geste de la main.

— Pitié... S'il vous plaît...

Béatrix posa ses mains sur les bras de Dacien.    

— Voyons, mon garçon, lâche-le.

Cette fois-ci, Sérion força pour se déloger. Béatrix l'empêcha de s'agripper à nouveau à Sérion en le saisissant par les épaules. Dacien tomba alors à genoux au sol. La prêtresse passa une main dans son dos et tenta de le rassurer.

— Là... Ssshhh... Tout va bien...

— S'il vous plait... J'veux mon papa... J'veux ma maman...

Dacien se remit à pleurer.

— Allez viens... Mets-toi debout... Voilà...

Une fois sur ses deux pieds, Béatrix cala l'enfant contre elle, une main sur son épaule en un geste rassurant.

— Viens, mon garçon, nous serons mieux à l'intérieur.

Sérion et Garance observèrent les deux s'éloigner lentement et rentrer dans le sanctuaire. La deuxième prêtresse, Judith, qui avait observé la scène en silence, s'approcha des deux comparses. Elle s'inclina légèrement.

— Je vous prie de bien vouloir accepter nos excuses, Sire Altra. Le jeune Dacien est très éprouvé par la disparition brutale de sa mère. Et l'absence soudaine de son père n'arrange point les choses pour lui... La pauvre femme n'a pas cessé de réclamer son époux durant ses derniers instants. Quelle tragédie... Que les Dieux aient pitié de son âme.

Elle joint ses mains ensembles puis posa délicatement son front sur elles. Elle demeura ainsi le temps de quelques secondes.

Sérion lui sourit.

— Ne vous excusez pas, prêtresse. Sa réaction est des plus naturelles. Comptez-vous l'accueillir au sein de l'orphelinat ?

— Oui, nous lui avons déjà préparé un lit... Nous ne pouvons pas le laisser seul dans les rues à errer comme un spectre. Notre devoir envers les vivants est tout aussi important que notre devoir envers les morts, et encore plus quand les vivants en question sont accablés par ces derniers.

La religieuse soupira.

— S'il vous plait, ne tenez pas compte de sa requête, cela ne ferait que lui donner de faux espoirs. Cet enfant n'a pas besoin de cela en ce moment. Si comme il l'explique, son père est bel et bien parti pour les souterrains et n'est toujours pas revenu... Il n'y a pas grand-chose à espérer. Il est probablement mort... Maudits soient ces contrebandiers.

Judith les considérait responsables de cet incident mais Sérion et Garance en doutaient. Elle tenta d'en savoir plus auprès de la religieuse.

— Prêtresse, avez-vous eu d'autre cas similaire à déplorer ? Des familles isolées et dans le besoin qui aurait vu des membres disparaître ces derniers temps ? Plus longtemps qu’habituellement ?

— Pas à ma connaissance... Devons-nous craindre d'autres disparitions ? demanda-t-elle, inquiète.

— Je n'en sais rien. Cela n'est peut-être qu'une affaire isolée mais... Ouvrez l'œil, on ne sait jamais.

— Dame Mortis, si d'autres disparitions comme celle-ci venaient à être déplorées, nous serions obligées de le notifier en priorité auprès de la garde de la cité. Ce genre d'affaire ne relève pas de votre juridiction et nous ne voudrions pas vous mettre dans l'embarras auprès des autorités.

— Votre sollicitude est touchante, prêtresse, mais, dans le cas malheureux où un tel scénario adviendrait... Si ces disparitions ont un lien quelconque avec les souterrains d'Agrisa, cela devient notre problème. Mais sachez que nous avertir ne vous empêche en aucun cas d'en faire part dans le même temps à la garde.

— Je comprends. Je transmettrais votre requête à l’Oth-Diath.

L’Oth-Diath, prêtresse en charge du temple, était une dame âgée, très appréciée des habitants du quartier. Au-dessus d’elle se trouvait la Diath, la grande prêtresse en charge du culte de Lilua dans ce pays.

Sérion et Garance la remercièrent. Judith s'inclina à nouveau puis se dirigea vers la porte du temple. N’ayant plus rien à faire ici, les deux mages décidèrent de quitter les lieux. Mais à peine eurent-ils entamé leur marche, Judith les interrompit brusquement.

— Attendez ! Une dernière chose... Nous parlions de la garde de la cité et cela a mis du temps à me revenir à l'esprit mais...

— Qu'y a-t-il ? demanda Sérion.

— Trois de mes sœurs et moi-même avons croisé un petit groupe de gardes en patrouille dans la matinée et nous avons entendu certains d'entre eux tenir des propos très virulents à votre encontre. Quand nous les avons croisés, l'un d'eux nous a interpellés et « conseillé » de cesser de faire appel aux services de votre ordre. Ils vous ont traités de « criminels » à de nombreuses reprises. Je ne sais pas à quoi ils font référence mais j'ai préféré sage de vous prévenir.

— Cela est en effet étrange. Merci à vous.

La prêtresse s'inclina une dernière fois puis pénétra dans le sanctuaire en refermant la porte après elle.

Garance et Sérion s'échangèrent rapidement un regard sachant pertinemment à quoi les gardes de la cité pouvaient faire référence. Une mauvaise nouvelle de plus à ajouter à leur liste de la journée et les « incidents » commençaient à se faire un peu trop nombreux aux yeux de Garance.


*****


Depuis son retour à l'hôtel Portelune, Garance avait réussi à supporter son état bien que son mal de tête et la fatigue se fassent de plus en plus insistants. La mage se sentait vidée. Elle n’avait encore rien dit à personne, ne voulant pas inquiéter les siens, mais son silence eut l'effet inverse.

Attablée dans le réfectoire aux côtés de sa belle-sœur Louise et de son fils Emile, elle avait à peine touché son repas. Son neveu s'amusait à sa droite avec un puzzle recouvert du dessin d'une forêt, tracé au fer rouge. Ces jeux étaient chers pour de simples citoyens mais le père de Louise, un riche marchand de l'est de l’Essenie, avait offert ce précieux objet à son petit-fils lors d'une de ses visites en début d'année. Une fois parvenu à placer la dernière pièce, il leva les bras au ciel, un air triomphant sur le visage. Près de lui, Louise le félicita tout en applaudissant. Le jeune garçon aimait tant ce jeu qu'il ne tarda pas à le défaire et à s'atteler une nouvelle fois à la tâche.

William, le frère aîné de Garance, était installé dans son fauteuil face à l'épaisse cheminée du réfectoire. Avec ses cheveux noirs et ses yeux verts, il ressemblait beaucoup à leur mère, contrairement à Garance qui tenait plus de Victor. Il observait sa femme et son fils un fin sourire aux lèvres et un regard aimant sur le visage. A d'autres instants, sa petite sœur était l'unique sujet de son intérêt. Depuis son retour, elle semblait mal en point et fatiguée. Il s'inquiétait pour elle, d'autant plus qu'elle lui avait à peine adressé la parole. Qu'avait-il donc bien pu arriver cet après-midi pour la mettre dans un tel état ?

Un peu plus loin, Sérion et Morga Ilbarn faisaient tout deux leur rapport à Walther à l'écart de la table principale, permettant d'épargner à Louise et Emile les sombres détails de la journée. Le commandant en second avait le menton posé sur ses mains jointes. Walther était très attentif aux moindres détails, en particulier ceux concernant la façon dont les gens autour d'eux se comportaient. Avec les récents évènements, il n'était pas surprenant qu'il redouble de prudence.

Sérion lui expliqua en détail le déroulement de l'après-midi, depuis leur départ de l'hôtel jusqu'à leur retour. Il apprit à Walther la livraison de la lettre de Victor à Alan avant d'insister sur l'ensemble des détails qui l'avait interpellé. Il lui fit part des inquiétudes de Garance, de l'étrange expédition des nains dans les souterrains et de la malheureuse expérience de sa collègue. Il n'omit pas non plus de mentionner ce mystérieux personnage aux yeux blancs dont le jeune orphelin avait parlé. Tout le long, Walther demeura impassible, tâchant de n'omettre aucune information. Ce qui ne l'empêchait pas de jeter de temps à autre un coup d'œil inquiet en direction de Garance. Il voyait bien que quelque chose n'allait pas. L'elfe, en concluant son rapport avec la mésaventure de Garance, rassura Walther sur l'état de sa subordonnée.

Morga, qui buvait son verre de vin enfoncée dans son siège, parut aussi plus soulagée. Elle posa la coupe sur la table puis refit l'attache qui maintenait ses cheveux marrons en une courte queue-de-cheval. Parmi les femmes de l'hôtel, elle était la plus reconnaissable de toutes avec son cache-œil en cuir noir qui lui couvrait l'œil gauche. William se jouait parfois d'elle en la comparant aux pirates que l'on pouvait trouver dans certaines des histoires destinées aux enfants. Elle en riait toujours, même si elle éprouvait une certaine nostalgie à l'égard de son œil, perdu dans la forêt de Lugram, après que le convoi marchand dans lequel elle se trouvait avec sa mère et un de ses frères n'eût été attaqué par une bête. Malheureusement pour elle ce jour-là, elle perdit bien plus qu’une part de sa vue. Sa mère mourut dans ses bras et son frère finit estropié.

Garance rit intérieurement en repensant rapidement à l'ensemble des histoires de vie de chacune des personnes qui l'entourait. A croire que pour faire partie de la Légion, il fallait avoir perdu quelque chose de précieux. Un nouveau vertige la prit lorsqu’elle se redressa. Elle était probablement arrivée à sa limite.

— Garance, va te coucher. Cesses-donc de résister. Plus tu agiras ainsi et plus tu auras mal à la tête, lui dit Walther avec un ton de voix qui tenait plus de l'ordre que du conseil.

William se releva du fond de son fauteuil.

— Tout va bien ?

— La porte du cinquième était entre-ouverte. Je l’ai refermé seul car la demoiselle était évanouie au centre de la pièce. Elle pourchassait un spectre et s’est fait prendre dans une illusion, résuma rapidement Sérion en se tournant vers lui.

William soupira de soulagement. Dans la vie, il y avait deux sortes de problèmes, les embêtants et les graves. Il fut rassuré de constater que celui-ci appartenait à la première catégorie. Il se leva et s'approcha de sa sœur. Il lui saisit doucement le bras gauche. Comme elle pouvait se montrer têtue parfois.

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